EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

QUATRIÈME SECTION

 

 

AFFAIRE SARAN c. ROUMANIE

(Requête no 65993/16)

ARRÊT

STRASBOURG

10 novembre 2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Saran c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Yonko Grozev, président, Iulia Antoanella Motoc, Branko Lubarda, Carlo Ranzoni, Georges Ravarani, Jolien Schukking, Péter Paczolay, juges, et de Andrea Tamietti, greffier de section,

Vu la requête (no 65993/16) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant moldave, M. Ion Saran (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 mai 2017 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »),

Vu les observations des parties,

Vu le fait que le gouvernement moldave n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention),

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 septembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

inTRODUCTION

1. La requête concerne les exigences imposées au requérant afin de prouver son appartenance religieuse et de pouvoir exercer, au cours de sa détention, son droit à la liberté de religion, notamment en ce qui concerne l’allocation de repas conformes aux préceptes de sa religion.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1983 et réside à Braşov. Il a été représenté devant la Cour par Me Văduva, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

4. Le requérant a purgé une peine de prison dans plusieurs établissements pénitentiaires roumains. Il a été remis en liberté le 21 août 2018.

5. Il indique qu’il est musulman et qu’il s’est déclaré comme tel lorsqu’il a été incarcéré, le 28 avril 2016. Devant la Cour, il a produit une copie de sa fiche de détenu de la prison de Codlea, où il est indiqué qu’il est musulman (paragraphe 10 ci-dessous). Le Gouvernement, pour sa part, soutient que le requérant s’est déclaré chrétien orthodoxe au moment de son incarcération. Pourtant, il produit, en annexe à ses observations, une fiche d’assistance morale et religieuse (fişa de asistenţă moral-religioasă) remplie le 24 mai 2016 à la prison de Iaşi, sur laquelle il est indiqué que l’intéressé est musulman.

6. Le requérant fut d’abord incarcéré à la prison de Botoşani. Devant la Cour, il indique que, lors de son incarcération, il s’est déclaré musulman, il a demandé à ce que les repas qui lui seraient servis soient conformes à sa religion, et cette demande a été accueillie.

7. Le 19 mai 2016, il fut transféré à la prison de Iaşi, où il fut détenu avec quelques interruptions jusqu’au 6 décembre 2016. Il demanda à bénéficier de repas conformes aux préceptes de sa religion et à disposer d’un lieu de prière, mais ces demandes furent rejetées par l’administration pénitentiaire. Il contesta ce refus devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté (judecătorul de supraveghere a privării de libertate) compétent pour la prison de Iaşi. Dans un jugement avant dire droit du 8 juillet 2016, ce juge constata qu’il s’était déclaré chrétien orthodoxe au moment de son incarcération, qu’il n’avait produit ensuite aucun document propre à prouver qu’il était musulman, et qu’il bénéficiait de repas adéquats par rapport à la maladie chronique dont il souffrait.

8. À une date non précisée de 2016, le requérant contesta cette décision devant le tribunal de première instance de Iaşi. Celui-ci rejeta ce recours par un jugement du 28 mars 2017. Notant que le requérant s’était déclaré orthodoxe lors d’une séance de conseil moral et religieux (consiliere moral‑religioasă) et qu’il avait présenté plusieurs versions contradictoires de sa conversion à l’islam, il jugea applicables les dispositions normatives relatives à la preuve du changement d’affiliation religieuse en détention. Il tint le raisonnement suivant :

« Or la simple déclaration par laquelle le demandeur a affirmé pendant sa détention qu’il était musulman ne suffit pas à prouver son appartenance au culte musulman en l’absence d’un acte de confirmation (act de confirmare) de l’affiliation religieuse conforme aux dispositions du règlement. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’enjoindre à l’administration de la prison de Iaşi de lui proposer [des repas] répondant aux prescriptions du culte musulman.

L’argument du demandeur qui consiste à dire qu’étant privé de liberté il n’est pas en mesure d’obtenir pareil document est dépourvu de fondement. Le règlement sur l’assistance spirituelle aux personnes privées de liberté détenues dans les établissements pénitentiaires relevant de l’administration nationale permet à tout détenu de bénéficier, sur demande écrite adressée au directeur du centre de détention, d’une assistance spirituelle dispensée par un ministre du culte ou par un représentant d’une association religieuse reconnue par la loi, sous la forme de séances individuelles ou collectives. Lors d’une telle séance, le demandeur pourrait solliciter la délivrance de ce document. »

Enfin, le tribunal rejeta la demande de mise à disposition d’un lieu de prière, au motif que la réglementation exigeait que les établissements pénitentiaires aménagent des espaces de prière alloués à une utilisation collective par les membres d’un culte ou d’une association religieuse reconnue par la loi, mais non à une utilisation individuelle par chaque détenu.

9. Au cours de sa détention à Iaşi, le requérant fut transféré pendant deux brèves périodes à la prison de Miercurea-Ciuc. Il y fut détenu du 14 juillet au 21 octobre 2016 et du 31 octobre au 11 novembre 2016. Il contesta devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté, compétent pour cette prison, le refus de l’administration pénitentiaire de lui fournir des repas conformes à ses préceptes religieux. Par un jugement avant dire droit du 16 août 2016, ce juge rejeta la contestation, au motif que le requérant n’avait pas prouvé son appartenance religieuse. Il constata que l’intéressé ne se trouvait pas objectivement dans l’impossibilité de se procurer la preuve de son affiliation religieuse. Sur recours du requérant, le tribunal de première instance de Miercurea-Ciuc confirma ce raisonnement, par un jugement du 20 septembre 2016. Le Gouvernement indique que cette décision a été communiquée au requérant les 23 et 26 septembre 2016.

10. Selon les informations fournies par les parties, le 6 décembre 2016, le requérant fut transféré à la prison de Codlea. Il indique y avoir reçu des repas conformes aux préceptes de la religion musulmane.

11. Le 17 mars 2017, le requérant fut transféré pendant une courte période à la prison de Deva. Il contesta devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté, compétent pour cette prison, le refus de l’administration pénitentiaire de lui fournir des repas conformes à ses préceptes religieux.

12. Le juge chargé du contrôle de la privation de liberté rendit son jugement avant dire droit le 6 avril 2017. Il constata d’abord que le requérant était inscrit dans certains registres en tant que chrétien orthodoxe et dans d’autres en tant que musulman, et que, la prison de Codlea n’ayant pas transmis à la prison de Deva son dossier d’éducation et d’assistance psychosociale (dosarul de educaţie şi asistenţă psihosocială), l’administration pénitentiaire lui avait proposé des repas conformes aux recommandations médicales. Il considéra que cette mesure n’était pas abusive, étant donné que les juges de Iaşi et de Miercurea-Ciuc avaient déterminé que l’intéressé était chrétien orthodoxe, et que rien ne prouvait qu’il fût d’une autre religion. Notant ensuite que le 5 avril 2017, la prison de Deva avait reçu de la prison de Codlea le dossier en question, où il était indiqué que le requérant était musulman, il rejeta le recours pour défaut d’objet.

13. Le Gouvernement indique qu’à partir du 7 avril 2017, le requérant a bénéficié à la prison de Deva de repas conformes aux préceptes de la religion musulmane.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

La loi sur l’exécution des peines

14. La loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté décidées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal (« la loi no 254/2013 ») dispose en ses parties pertinentes (voir également Erlich et Kastro c. Roumanie, nos 23735/16 et 23740/16, § 11, 9 juin 2020) :

Article 50 – Alimentation des personnes condamnées

« 1. L’administration de chaque établissement pénitentiaire assure des conditions adéquates pour la préparation, la distribution et le service des repas selon les normes d’hygiène alimentaire, en fonction de l’âge, de l’état de santé, de la nature du travail effectué, en respectant les croyances religieuses assumées par la personne condamnée par une déclaration sur l’honneur.

(...)

3. Les normes alimentaires minimales obligatoires (normele minime obligatorii de hrană) sont établies, après la consultation de spécialistes en nutrition, par arrêté du ministre de la Justice. »

Article 56 – Exercice des droits des personnes condamnées

« 1. L’exercice des droits des personnes condamnées ne peut être restreint que dans les limites et les conditions prévues par la Constitution et par la loi.

2. Les personnes condamnées peuvent contester les mesures relatives à l’exercice des droits prévus dans la présente loi prises par l’administration de l’établissement pénitentiaire devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté dans un délai de 10 jours à compter de la date à laquelle elles ont pris connaissance de la mesure décidée.

(...)

9. Les personnes condamnées et l’administration de l’établissement pénitentiaire peuvent contester la décision avant dire droit du juge chargé du contrôle de la privation de liberté devant le tribunal de première instance dont relève l’établissement pénitentiaire, dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision contestée.

(...) »

Article 58 – Liberté de conscience, d’opinion et de religion

« 1. La liberté de conscience et d’opinion, ainsi que la liberté de croyance religieuse des personnes condamnées ne peuvent être restreintes.

2. Les personnes condamnées ont le droit à la liberté de croyance religieuse, sans préjudice de la liberté de croyance religieuse des autres personnes condamnées.

3. Les personnes condamnées peuvent participer, sur la base du libre consentement, aux services ou réunions religieux organisés dans les prisons, peuvent recevoir des visites de la part des représentants [de leur] culte et peuvent se procurer et détenir des publications à caractère religieux ainsi que des objets de culte. »

Les arrêtés du ministère de la Justice et du gouvernement

15. L’arrêté du ministère de la Justice no 1072/2013 portant approbation du règlement sur l’assistance religieuse des personnes privées de liberté placées sous la garde de l’Administration nationale des établissements pénitentiaires (« l’arrêté no 1072/2013 ») était en vigueur du 3 avril 2013 au 28 novembre 2016. Il se lisait comme suit en ses dispositions pertinentes en l’espèce (voir également Erlich et Kastro, précité, § 12):

Article 4

« 1. Les personnes privées de liberté peuvent déclarer sur l’honneur leur confession ou leur appartenance religieuse, lors de leur incarcération et ultérieurement en cours d’exécution de la peine privative de liberté ou de la mesure d’internement.

2. Au moment de l’exécution de la peine privative de liberté ou de la mesure d’internement, les personnes privées de liberté détenues par l’administration nationale des établissements pénitentiaires peuvent exprimer l’option de participer à toute activité à caractère religieux exercée par les représentants des cultes ou des associations religieuses reconnus par la loi.

3. Le changement de la confession ou de l’appartenance religieuse pendant la période de détention est prouvé par une déclaration sur l’honneur et par l’acte de confirmation de l’appartenance au culte respectif.

4. On entend par acte de confirmation l’acte délivré par les représentants du culte ou de l’association religieuse concerné, par lequel est prouvée la qualité de la personne privée de liberté demanderesse en tant que membre du culte ou de l’association religieuse en question.

5. Lorsque la personne privée de liberté qui souhaite déclarer ou changer sa confession ou son appartenance religieuse ne sait pas écrire, celle-ci peut faire une déclaration verbale sur l’honneur qui est consignée dans un procès-verbal par le personnel du lieu de détention. »

Article 6

« (...)

4. Les personnes placées sous la garde de l’Administration nationale des établissements pénitentiaires peuvent demander des repas [conformes aux] préceptes des cultes ou des associations religieuses reconnus par la loi (...). Les repas conformes aux préceptes des cultes ou des associations religieuses reconnus par la loi peuvent être reçus [selon les conditions] du régime réglementaire relatif à la réception des colis. »

16. L’arrêté gouvernemental no 157/2016 portant approbation du règlement d’application de la loi no 254/2013 dispose, en ses parties pertinentes en l’espèce (voir également Erlich et Kastro, précité, § 13) :

Article 113 – Alimentation des détenus

« 1. L’administration de l’établissement pénitentiaire fournit aux détenus, trois fois par jour, une alimentation variée, qui correspond aux règles qualitatives et quantitatives d’hygiène alimentaire, en considération de l’âge, de l’état de santé et de la nature du travail effectué, en respectant les croyances religieuses déclarées par le détenu lors de l’incarcération ou, le cas échéant, lors de l’adhésion, librement consentie et prouvée, à d’autres religions reconnues par l’État roumain, pendant l’exécution de la peine.

(...)

4. L’administration de l’établissement pénitentiaire assure des conditions de service des repas, principalement dans des salles à manger, ainsi que l’équipement nécessaire pour la préparation, la distribution et le service des repas, selon les normes établies par le ministère de la Santé.

5. La préparation des repas se fait sous le contrôle et la surveillance du personnel spécialisé de l’établissement pénitentiaire. »

LE DROIT EUROPÉEN PERTINENT

17. En ses parties pertinentes en l’espèce, la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes (adoptée par le Comité des Ministres le 11 janvier 2006), en vigueur au moment des faits, prévoyait ce qui suit (voir également Erlich et Kastro, précité, § 14) :

Régime alimentaire

« 22.1 Les détenus doivent bénéficier d’un régime alimentaire tenant compte de leur âge, de leur état de santé, de leur état physique, de leur religion, de leur culture et de la nature de leur travail.

22.2 Le droit interne doit déterminer les critères de qualité du régime alimentaire en précisant notamment son contenu énergétique et protéinique minimal.

22.3 La nourriture doit être préparée et servie dans des conditions hygiéniques.

22.4 Trois repas doivent être servis tous les jours à des intervalles raisonnables.

(...) »

Liberté de pensée, de conscience et de religion

« 29.1 Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion des détenus doit être respecté.

29.2 Le régime carcéral doit être organisé, autant que possible, de manière à permettre aux détenus de pratiquer leur religion et de suivre leur philosophie, de participer à des services ou réunions menés par des représentants agréés desdites religions ou philosophies, de recevoir en privé des visites de tels représentants de leur religion ou leur philosophie et d’avoir en leur possession des livres ou publications à caractère religieux ou spirituel.

29.3 Les détenus ne peuvent être contraints de pratiquer une religion ou de suivre une philosophie, de participer à des services ou des réunions religieux, de participer à des pratiques religieuses ou bien d’accepter la visite d’un représentant d’une religion ou d’une philosophie quelconque. »

18. On trouve dans le Commentaire de la Recommandation Rec(2006)2 les précisions suivantes ː

Régime alimentaire – Règle 22

« Une fonction essentielle des autorités pénitentiaires est de veiller à ce que les détenus reçoivent une alimentation satisfaisante. La modification de l’intitulé de cette section des règles (« Régime alimentaire » au lieu de « Alimentation ») vise à souligner ce fait. Des arrangements selon lesquels le détenu assure individuellement son alimentation ne sont pas interdits par la règle mais, si tel devait être le cas, il conviendrait de veiller à ce que le détenu ait trois repas par jour. Dans certains États, les autorités pénitentiaires permettent aux détenus de préparer eux-mêmes leurs repas, car cela leur donne un aperçu des aspects positifs de la vie en communauté. Dans ce cas, elles mettent à leur disposition les installations adéquates ainsi qu’une quantité de nourriture suffisant à satisfaire leurs besoins nutritionnels.

La Règle 22.2 oblige maintenant de façon spécifique les autorités nationales à inscrire les critères de qualité du régime alimentaire dans le droit interne. Ces critères doivent tenir compte des besoins alimentaires de différentes catégories de détenus. Une fois de telles normes spécifiques définies, les systèmes d’inspection interne ainsi que les organes nationaux et internationaux de contrôle disposeront d’une base leur permettant d’établir si les besoins alimentaires des détenus sont satisfaits conformément à la loi. »

Liberté de pensée, de conscience et de religion – Règle 29

« Les règles pénitentiaires ont considéré jusqu’ici la place de la religion en prison comme non problématique et se sont limitées à formuler des recommandations positives sur les meilleurs moyens d’organiser la vie religieuse en prison. Cependant, l’augmentation dans certains pays du nombre de détenus animés de fortes convictions religieuses nécessite une approche mieux fondée quant aux principes, ainsi que l’adoption d’exigences positives.

La Règle 29.1 vise à assurer la reconnaissance de la liberté de religion et de la liberté de pensée et de conscience, conformément à l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

La Règle 29.2 ajoute l’obligation positive pour les autorités pénitentiaires de faciliter la pratique religieuse et le respect des croyances des détenus. Diverses mesures pourront être prises à cet égard. La Règle 22 prévoit déjà que les exigences liées à des convictions religieuses soient prises en compte dans le régime alimentaire des détenus. Dans la mesure du possible, des lieux de culte et de réunion doivent être fournis dans chaque prison aux détenus de diverses religions et confessions. Lorsqu’une prison contient un nombre suffisant de détenus appartenant à une même religion, un représentant de cette religion doit être agréé. Lorsque le nombre de détenus le justifie et si les conditions le permettent, la personne désignée devra remplir cette fonction à plein temps. Le représentant qualifié doit être autorisé à tenir des services réguliers, à organiser des activités et à avoir des entretiens en privé avec les détenus appartenant à sa religion. Aucun détenu ne doit se voir refuser l’accès au représentant agréé d’une religion.

La Règle 29.3 vise à protéger les détenus de toute pression indue en matière religieuse. Ces questions sont abordées dans la section générale afin de souligner que la pratique religieuse ne doit pas être conçue principalement comme un aspect du programme de détention, mais comme une question d’intérêt général concernant tous les détenus. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

19. Le requérant allègue que dans les prisons de Iaşi et de Miercurea‑Ciuc il n’a bénéficié ni de repas conformes aux préceptes de sa religion ni d’un lieu de prière adéquat. Il se plaint de ne pas avoir été traité de la même manière dans les différents établissements pénitentiaires où il a été détenu. Il estime aussi avoir subi un traitement discriminatoire par rapport à la majorité des détenus, qui étaient de religion chrétienne orthodoxe. Il invoque les articles 9 et 14 de la Convention.

La Cour rappelle qu’elle n’est pas tenue par les moyens de droit avancés par le requérant en vertu de la Convention et de ses Protocoles et qu’elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d’un grief en examinant celui-ci sur le terrain d’articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par l’intéressé (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018).

20. En l’espèce, elle estime que le grief doit être examiné uniquement sous l’angle de l’article 9 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Sur la recevabilité

21. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité pour non‑respect du délai de six mois quant au grief relatif à la prison de Miercurea-Ciuc. Il indique que la décision définitive relative à la période passée par le requérant dans cette prison a été notifiée à l’intéressé les 23 et 26 septembre 2016 (paragraphe 9 ci-dessus), soit plus de six mois avant que celui-ci ne saisisse la Cour, le 4 mai 2017.

22. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur la recevabilité de sa requête.

23. La Cour rappelle que le recours devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté prévu par la loi no 254/2013 présente l’effectivité requise par l’article 35 § 1 de la Convention ; les détenus sont donc tenus de l’exercer avant de la saisir d’un grief fondé sur l’article 9 (voir, mutatis mutandis et par rapport aux dispositions en partie analogues de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines, en vigueur avant les faits en la présente espèce, Sanatkar c. Roumanie, no 74721/12, § 32, 16 juillet 2015 ; pour une application de ce même principe par rapport aux dispositions de la loi no 254/2013, qui sont en jeu en la présente espèce, voir Berghea et Turan c. Roumanie [Comité], nos 7242/14 et 7853/14, § 35, 8 novembre 2016).

24. En l’espèce, elle note que le requérant a été détenu dans plusieurs établissements pénitentiaires roumains et qu’il indique que sa situation a été différente dans chacun de ces établissements (paragraphe 19 ci-dessus). Elle observe ainsi que dans les prisons de Botoşani et de Codlea sa demande de repas conformes à sa religion a été accueillie sans qu’il ait à saisir les tribunaux internes pour faire valoir son droit (paragraphes 6 et 10 ci-dessus). Toutefois, dans les prisons de Miercurea-Ciuc et de Deva, l’administration pénitentiaire a rejeté ses demandes de repas conformes et, dans la prison de Iaşi, ses demandes de repas conformes ainsi que d’un lieu de prière, et il a saisi à chaque fois le juge chargé du contrôle de la privation de liberté compétent (paragraphes 7, 9 et 11 ci-dessus). Le requérant n’a d’ailleurs pas soutenu que cette voie de recours ne présentait pas l’effectivité requise s’agissant des deux branches de son grief, l’allocation de repas conformes, d’un côté, et l’allocation d’un lieu de prière, de l’autre côté. Ainsi, les faits de la présente espèce ne relèvent pas d’une situation continue étant donné qu’il s’agit de mesures mises en place dans des établissements distincts pendant des périodes de détention précises (voir, en ce sens, Iacov Stanciu c. Roumanie, no 35972/05, § 137, 24 juillet 2012).

25. Dès lors, le requérant était tenu d’exercer le recours prévu par la loi no 254/2013 contre les refus que lui ont opposés chacun des établissements pénitentiaires où il a été incarcéré. Il a d’ailleurs fait usage de cette possibilité dans tous les cas où l’administration pénitentiaire lui a refusé un traitement conforme aux préceptes de sa religion (paragraphes 7, 9 et 11 ci‑dessus), et la Cour observe qu’il n’a pas fait état devant elle de difficultés juridiques, financières ou autres qui l’auraient empêché de saisir plusieurs fois le juge chargé du contrôle de la privation de liberté.

26. La Cour note également que le Gouvernement a indiqué, sans être contredit par l’intéressé, que la décision définitive relative à la prison de Miercurea-Ciuc avait été communiquée au requérant les 23 et 26 septembre 2016 (paragraphes 9 et 21‑22 ci-dessus). Or la requête a été introduite le 4 mai 2017, c’est-à-dire après l’expiration du délai de six mois fixé par l’article 35 § 1 de la Convention. Il y a lieu dès lors d’accueillir l’exception de tardivité soulevée par le Gouvernement et de rejeter le grief relatif à la prison de Miercurea-Ciuc, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

27. En ce qui concerne le grief relatif à la prison de Iaşi, la Cour note que le Gouvernement n’a pas soulevé d’exception d’irrecevabilité. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, elle le déclare recevable.

Sur le fond Thèses des parties

28. Le requérant maintient son grief.

29. Le Gouvernement expose que, en vertu de la législation pertinente, les personnes qui déclarent une affiliation religieuse doivent la prouver par un document délivré par l’organisation religieuse correspondante. Il admet que cette exigence peut s’analyser en une ingérence dans l’exercice de la liberté religieuse, mais seulement à l’égard de convictions ne relevant pas de l’exercice collectif d’une religion. Il ajoute qu’en toute hypothèse, elle est prévue par la loi et poursuit un but légitime, à savoir la prévention de l’abus de droit – abus qui dilue selon lui l’importance de la question de l’appartenance religieuse – et la protection des religions. Il indique que le document requis par la législation peut être obtenu directement auprès de l’organisation religieuse correspondante ou d’un représentant de celle-ci autorisé à se rendre dans la prison. Il affirme qu’en l’espèce, rien n’empêchait le requérant de se procurer cette preuve de son affiliation religieuse.

30. Enfin, le Gouvernement affirme que le requérant s’est déclaré chrétien orthodoxe au moment de son incarcération et qu’il a participé à des activités organisées par un prêtre orthodoxe. Il ajoute qu’il a bénéficié de repas adaptés à sa maladie chronique.

2. Appréciation de la Cour

a) Les principes généraux

31. La Cour rappelle que, telle que la protège l’article 9 de la Convention, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de cet instrument. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer (S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 124, CEDH 2014 (extraits), et Erlich et Kastro c. Roumanie, nos 23735/16 et 23740/16, § 28, 9 juin 2020).

32. Si la liberté de religion relève d’abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. L’article 9 de la Convention énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou d’une conviction, à savoir le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France [GC], no 27417/95, § 73, CEDH 2000‑VII ; Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 105, CEDH 2005‑XI ; et Erlich et Kastro, précité, § 29).

33. Dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 33 in fine, série A no 260‑A). Cela découle à la fois du paragraphe 2 de l’article 9 et des obligations positives qui incombent à l’État au titre de l’article 1 de la Convention de reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés définis dans celle-ci (Leyla Şahin, précité, § 106, et Erlich et Kastro, précité, § 30).

34. Il faut également rappeler le rôle fondamentalement subsidiaire du mécanisme de la Convention. Les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe et, ainsi que la Cour l’a affirmé à maintes reprises, se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur les besoins et les contextes locaux. Lorsque sont en jeu des questions de politique générale, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. S’agissant de l’article 9 de la Convention, il convient, en principe, de reconnaître à l’État une ample marge d’appréciation pour décider si et dans quelle mesure une restriction au droit de manifester sa religion ou ses convictions est « nécessaire » (S.A.S. c. France, précité, § 129). Cela étant, pour déterminer l’ampleur de la marge d’appréciation dans une affaire donnée, la Cour doit également tenir compte de l’enjeu propre à l’espèce (voir, notamment, Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV ; Leyla Şahin, précité, § 110 ; et Erlich et Kastro, précité, § 31).

35. Enfin, si la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au regard de la Convention ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables n’en sont pas moins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation (Eweida et autres c. Royaume-Uni, nos 48420/10 et 3 autres, § 84 in fine, CEDH 2013 (extraits), et Erlich et Kastro, précité, § 32).

b) Application de ces principes en l’espèce

36. La Cour note que, tel que l’intéressé l’a formulé, le grief relatif à la période pendant laquelle le requérant était incarcéré à la prison de Iaşi a un double objet : d’une part, le fait de ne pas avoir bénéficié de repas conformes aux préceptes de la religion musulmane et, d’autre part, le fait de ne pas avoir disposé d’un lieu de prière adéquat. Elle estime qu’il convient d’examiner l’un et l’autre élément de ce grief à la lumière des obligations positives qui découlent de l’article 9 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Vartic c. Roumanie (no 2), no 14150/08, § 44, 17 décembre 2013, et Erlich et Kastro, précité, § 33).

37. En ce qui concerne la question des repas, la Cour note d’abord que la loi no 254/2013 et la législation secondaire prise en application de ce texte consacrent expressément un droit pour les personnes détenues à bénéficier de repas conformes aux préceptes de leur religion (paragraphes 14‑16 ci‑dessus). Il y avait donc un cadre normatif général, suffisamment prévisible et détaillé, quant à l’exercice du droit à la liberté de religion en milieu pénitentiaire (Erlich et Kastro, précité, § 34). Les Règles pénitentiaires européennes, en vigueur au moment des faits, lues à la lumière de leur commentaire (paragraphes 17‑18 ci-dessus), allaient par ailleurs dans le même sens.

38. La Cour observe ensuite que l’arrêté no 1072/2013, qui constitue le droit national applicable en la matière, dispose que les détenus peuvent déclarer sur l’honneur leur appartenance religieuse au moment de leur incarcération et, le cas échéant, indiquer qu’ils se sont convertis au cours de leur détention, en produisant alors une déclaration sur l’honneur et un acte de confirmation de leur nouvelle affiliation religieuse (voir l’article 4 de l’arrêté no 1072/2013, cité au paragraphe 15 ci‑dessus). En l’espèce, le Gouvernement soutient que le requérant s’est déclaré chrétien orthodoxe au moment de son incarcération et qu’il aurait dû produire ensuite une attestation de sa conversion à l’islam pour bénéficier de repas conformes aux préceptes de la religion musulmane (paragraphes 29‑30 ci-dessus).

39. À cet égard, la Cour relève que le requérant a affirmé, sans être contredit par le Gouvernement, qu’il avait reçu des repas conformes aux préceptes de la religion musulmane à la prison de Botoşani, où il a été détenu tout au début de son incarcération (paragraphe 6 ci-dessus). Elle note également que, lorsqu’il a ensuite été transféré à la prison de Iaşi, il a été inscrit comme musulman sur la fiche d’assistance morale et religieuse de l’établissement (paragraphe 5 ci-dessus). Qui plus est, il ressort du jugement avant dire droit du 6 avril 2017 qu’il était également inscrit en tant que musulman dans le dossier d’éducation et d’assistance psychosociale des établissements pénitentiaires de Codlea et de Deva (paragraphe 12 ci‑dessus). Le Gouvernement n’a pas expliqué comment il se faisait que ce dossier indiquât qu’il était musulman s’il s’était déclaré chrétien orthodoxe au moment de son incarcération : il a seulement avancé que le requérant aurait dû produire une attestation conforme à la législation pertinente. Or il ressort clairement des décisions internes que l’intéressé n’a pas fourni pareil document (paragraphes 8‑9 et 12 ci-dessus). Compte tenu de ces éléments, la Cour examinera la manière dont les juridictions nationales ont vérifié l’allégation selon laquelle le requérant s’est déclaré musulman lorsqu’il a été incarcéré (paragraphe 5 ci‑dessus).

40. La Cour note que le tribunal de première instance de Iaşi a rejeté le recours du requérant au motif que celui-ci s’était déclaré chrétien orthodoxe au moment de son incarcération et n’avait pas prouvé ensuite son appartenance à la religion musulmane (paragraphe 8 ci-dessus). Elle observe toutefois que ces conclusions factuelles du 28 mars 2017 ne concordent pas avec la fiche d’assistance morale et religieuse remplie le 24 mai 2016 à la prison de Iaşi, où il est indiqué que le requérant est musulman (paragraphes 5 et 8 ci‑dessus). Il ne ressort pas non plus que le tribunal de première instance ait essayé de contrôler les données factuelles enregistrées par l’administration pénitentiaire quant à l’appartenance religieuse du requérant. Le Gouvernement n’a d’ailleurs pas expliqué les divergences quant à l’appartenance religieuse du requérant qui ponctuent les différents documents délivrés par les autorités nationales (paragraphes 5 et 12 ci‑dessus). Or la Cour estime que les autorités doivent s’organiser et se coordonner entre elles de manière à assurer une circulation et un partage adéquats de l’information notamment dans une situation comme celle en l’espèce, où l’arrêté du ministère de la Justice a introduit une distinction entre la déclaration initiale de la religion, que le détenu peut faire librement et sans formalités particulières au moment de son incarcération, et le changement de religion, survenu au cours de la détention, que le détenu doit prouver par un document provenant du nouveau culte (voir l’article 4 de l’arrêté en question, cité au paragraphe 15 ci-dessus).

41. La Cour estime qu’en refusant d’allouer au requérant pendant sa détention à la prison de Iaşi des repas conformes aux préceptes de sa religion, les autorités nationales n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts de l’établissement, ceux des autres prisonniers et les intérêts particuliers du détenu concerné (voir, mutatis mutandis, Jakóbski c. Pologne, no 18429/06, § 50, 7 décembre 2010). La Cour note d’ailleurs que le requérant a bénéficié de repas conformes à sa religion à Botoşani, à Codlea et à Deva (paragraphes 6 et 10‑13 ci-dessus), ce qui indique que le système pénitentiaire roumain pouvait accommoder de telles demandes.

42. La Cour prend en considération également la durée de la procédure relative aux repas servis à la prison de Iaşi. Elle note que le jugement du tribunal de première instance de Iaşi a été rendu le 28 mars 2017, alors que le requérant avait été transféré à la prison de Codlea le 6 décembre 2016 (paragraphes 7‑8 et 10 ci-dessus). Le Gouvernement n’a pas expliqué les raisons du retard pris dans cette procédure.

43. À la lumière de ce qui précède et malgré la marge d’appréciation dont l’État défendeur jouit en la matière (paragraphe 34 ci-dessus), la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas satisfait, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’espèce, aux obligations positives découlant pour elles de l’article 9 de la Convention en ce qui concerne les repas servis au requérant à la prison de Iaşi.

44. Partant, il y a eu violation de l’article 9 de la Convention.

45. Au vu de ce constat, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les allégations du requérant concernant le refus des autorités de mettre à sa disposition un lieu de prière adéquat à la prison de Iaşi.

SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

46. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

Dommage

47. Le requérant demande 15 000 euros (EUR) pour dommage matériel. Il précise qu’il inclut dans cette somme le montant de ses frais et dépens. Il demande également 500 000 EUR pour dommage moral.

48. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas prouvé avoir subi un dommage matériel. En outre, il considère que la somme réclamée au titre du dommage moral est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour.

49. La Cour estime que le requérant n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande formulée à ce titre. En revanche, elle octroie au requérant 5 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

Frais et dépens

50. La somme de 15 000 EUR réclamée par le requérant pour dommage matériel (paragraphe 47 ci-dessus) inclut le montant des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre des procédures menées devant les juridictions internes et devant la Cour. L’intéressé a d’abord indiqué qu’ayant été remis en liberté le 21 août 2018, il n’avait pas pu se procurer les justificatifs nécessaires et qu’il entendait les soumettre à la Cour dans les plus brefs délais. Il a ensuite informé la Cour qu’il s’en remettait à sa sagesse pour l’évaluation du montant de la satisfaction équitable.

51. Le Gouvernement argue que le requérant n’a pas démontré la nécessité des dépenses effectuées ni ventilé les frais par catégorie de coût.

52. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, en l’absence de documents justificatifs, la Cour rejette la demande présentée au titre des frais et dépens.

Intérêts moratoires

53. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

Déclare recevable le grief tiré de l’article 9 de la Convention dans la mesure où il concerne la prison de Iaşi, et déclare la requête irrecevable pour le surplus ; Dit qu’il y a eu violation de l’article 9 de la Convention en ce qui concerne le refus des autorités de fournir au requérant, à la prison de Iaşi, des repas conformes aux préceptes de sa religion ; Dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le grief relatif au refus des autorités de mettre à la disposition du requérant, à la prison de Iaşi, un lieu de prière adéquat ; Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 novembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.ignatureature_p_2}

Andrea TamiettiYonko Grozev GreffierPrésident