EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

QUATRIÈME SECTION

 

AFFAIRE ERLICH ET KASTRO c. ROUMANIE

(Requêtes nos 23735/16 et 23740/16)

ARRÊT

STRASBOURG

9 juin 2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Erlich et Kastro c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Yonko Grozev, président, Iulia Antoanella Motoc, Branko Lubarda, Stéphanie Mourou-Vikström, Georges Ravarani, Jolien Schukking, Péter Paczolay, juges,

et de Andrea Tamietti, greffier de section,

Vu :

les requêtes (nos 23735/16 et 23740/16) dirigées contre la Roumanie et dont deux ressortissants israéliens, MM. Nehemia Erlich et Charli Kastro (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 20 avril 2016,

la décision de porter les requêtes à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mai 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

Les présentes requêtes ont comme objet l’allocation de repas casher dans la prison de Rahova, où les requérants, deux ressortissants israéliens de religion juive, ont purgé des peines de prison.

EN FAIT

1. Les requérants sont nés en 1965 et sont détenus à Giurgiu. Ils sont représentés par Me Caraman, avocat.

2. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme Brumar, représentante permanente de Roumanie à la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Au moment des faits, les requérants purgeaient une peine d’emprisonnement à la prison de Rahova.

4. À des dates non précisées, les requérants se plaignirent séparément auprès du juge chargé du contrôle de la privation de liberté (judecătorul de supraveghere a privării de libertate) dans cet établissement de ne pas recevoir de repas casher conformes aux préceptes de leur religion. Leurs plaintes furent jointes. Par un jugement avant dire droit du 10 juillet 2015, le juge susmentionné les rejeta au motif que les requérants avaient reçu certains produits de la part de leurs familles respectives. Le juge précisa aussi que les requérants pouvaient demander à la direction de la prison de Rahova de se voir offrir la possibilité d’acheter des produits certifiés casher par l’intermédiaire du magasin de la prison et qu’ils n’avaient pas fait une telle demande. Le juge rappela que la législation en vigueur ne permettait pas aux détenus de recevoir des aliments qui devaient ensuite être réchauffés, bouillis ou cuits (à l’exception du café, du thé et du lait).

5. Les requérants contestèrent la décision du juge chargé du contrôle de la privation de liberté. Par un jugement du 1er octobre 2015, le tribunal de première instance de Bucarest fit droit à leurs contestations. Il nota que la prison de Rahova ne disposait pas des facilités nécessaires pour la préparation des repas casher et que l’acquisition par la prison de tels repas auprès d’un prestataire extérieur supposait la dotation d’un budget spécifique et la mise en œuvre d’une procédure d’achats publics. Il précisa que ces aménagements prendraient un certain temps, ce qui priverait les requérants du droit à des repas conformes aux exigences de leur religion pendant ce laps de temps. En conséquence, le tribunal ordonna à la prison de Rahova :

« (...) de permettre aux parties demanderesses de recevoir quotidiennement (en [en] supportant le coût) des repas de type casher, en quantité nécessaire pour satisfaire leurs besoins personnels (y compris des repas [nécessitant] d’être réchauffés, cuits ou bouillis ou [de subir] d’autres traitements thermiques en vue de la consommation), de pourvoir à la distribution des repas dans les mêmes conditions que celles [offertes aux] autres personnes détenues, ainsi que d’assurer les facilités pour la conservation des repas les jours où [ceux-ci] ne peuvent pas être livrés. »

6. Le tribunal jugea que les dispositions normatives qui ne permettaient pas aux détenus de recevoir des aliments nécessitant d’être réchauffés ou cuits ne pouvaient pas être appliquées en l’espèce car elles étaient d’une valeur juridique inférieure à la loi organique sur l’exécution des peines, à la Constitution et à la Convention, lesquelles garantissaient le droit à la liberté de religion. De plus, il considéra que la prison de Rahova ne disposait pas des facilités à même de permettre aux requérants l’exercice du droit en cause.

7. S’agissant du coût des repas, le tribunal jugea que les requérants pouvaient en demander le remboursement dans les limites prévues par les normes alimentaires (norma de hrană) applicables aux détenus. Il précisa toutefois que la compétence en la matière revenait aux juridictions civiles de droit commun, auxquelles il incombait de se prononcer à cet égard. Il ne ressort pas du dossier que les requérants aient saisi les juridictions civiles d’une telle action.

8. Les parties n’ont pas indiqué si des aliments certifiés casher étaient en vente au magasin de la prison de Rahova.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

La Constitution

9. En ses dispositions pertinentes en l’espèce, la Constitution roumaine est ainsi libellée ː

Article 29

« 1. La liberté de pensée et d’opinion ainsi que la liberté de croyance religieuse ne peuvent être limitées d’aucune manière. Nul ne peut être contraint à adopter une opinion ou à adhérer à une croyance religieuse contre ses convictions.

2. La liberté de conscience est garantie ; elle doit se manifester dans un esprit de tolérance et de respect réciproque.

(...) »

La loi sur la liberté religieuse

10. La loi no 489/2006 sur la liberté religieuse et le régime général des cultes comporte, en annexe, une liste des « cultes reconnus en Roumanie », comprenant la désignation des cultes et des associations religieuses légalement admis. La Fédération des communautés juives de Roumanie figure dans cette annexe sous le numéro 16.

La loi sur l’exécution des peines

11. La loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté décidées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal (« la loi no 254/2013 ») prévoit ce qui suit en ses parties pertinentes en l’espèce ː

Article 50 – Alimentation des personnes condamnées

« 1. L’administration de chaque établissement pénitentiaire assure des conditions adéquates pour la préparation, la distribution et le service des repas selon les normes d’hygiène alimentaire, en fonction de l’âge, de l’état de santé, de la nature du travail effectué, en respectant les croyances religieuses assumées par la personne condamnée par une déclaration sur l’honneur.

(...)

3. Les normes alimentaires minimales obligatoires (normele minime obligatorii de hrană) sont établies, après la consultation de spécialistes en nutrition, par arrêté du ministre de la Justice. »

Article 56 – Exercice des droits des personnes condamnées

« 1. L’exercice des droits des personnes condamnées ne peut être restreint que dans les limites et les conditions prévues par la Constitution et les lois.

2. Les personnes condamnées peuvent contester les mesures relatives à l’exercice des droits prévus dans la présente loi prises par l’administration de l’établissement pénitentiaire devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté dans un délai de 10 jours à compter de la date à laquelle elles ont pris connaissance de la mesure décidée.

(...) »

Article 58 – Liberté de conscience et d’opinion, et liberté de croyance religieuse

« 1. La liberté de conscience et d’opinion, ainsi que la liberté de croyance religieuse des personnes condamnées ne peuvent être restreintes.

2. Les personnes condamnées ont le droit à la liberté de croyance religieuse, sans préjudice de la liberté de croyance religieuse des autres personnes condamnées.

3. Les personnes condamnées peuvent participer, sur la base du libre consentement, aux services ou réunions religieux organisés dans les prisons, peuvent recevoir des visites de la part des représentants [de leur] culte et peuvent se procurer et détenir des publications à caractère religieux ainsi que des objets de culte. »

Les arrêtés du ministère de la Justice et du gouvernement

12. L’arrêté du ministère de la Justice no 1072/2013 portant approbation du règlement sur l’assistance religieuse des personnes privées de liberté placées sous la garde de l’Administration nationale des établissements pénitentiaires était en vigueur du 3 avril 2013 au 28 novembre 2016. Il se lisait comme suit en ses dispositions pertinentes en l’espèce :

Article 6

« (...)

4. Les personnes placées sous la garde de l’Administration nationale des établissements pénitentiaires peuvent demander des repas [conformes aux] préceptes des cultes ou des associations religieuses reconnus par la loi (...). Les repas conformes aux préceptes des cultes ou des associations religieuses reconnus par la loi peuvent être reçus [selon les conditions] du régime réglementaire relatif à la réception des colis. »

13. L’arrêté du gouvernement no 157/2016 portant approbation du règlement d’application de la loi no 254/2013 est ainsi libellé en ses dispositions pertinentes en l’espèce :

Article 113 – Alimentation des détenus

« 1. L’administration de l’établissement pénitentiaire fournit aux détenus, trois fois par jour, une alimentation variée, qui correspond aux règles qualitatives et quantitatives d’hygiène alimentaire, en considération de l’âge, de l’état de santé et de la nature du travail effectué, en respectant les croyances religieuses déclarées par le détenu lors de l’incarcération ou, le cas échéant, lors de l’adhésion, librement consentie et prouvée, à d’autres religions reconnues par l’État roumain, pendant l’exécution de la peine.

(...)

4. L’administration de l’établissement pénitentiaire assure des conditions de service des repas, principalement dans des salles à manger, ainsi que l’équipement nécessaire pour la préparation, la distribution et le service des repas, selon les normes établies par le ministère de la Santé.

5. La préparation des repas se fait sous le contrôle et la surveillance du personnel spécialisé de l’établissement pénitentiaire. »

Article 148 – Poids, nombre de colis, et catégories de marchandises pouvant être reçues, achetées, conservées et utilisées par les personnes purgeant des peines privatives de liberté

« 1. Les détenus ont le droit de recevoir, d’acheter, de conserver et d’utiliser pendant la détention des biens de la nature de ceux prévus à l’annexe no 1.

(...)

4. Les détenus ont le droit de recevoir chaque mois un colis avec des produits alimentaires d’un poids de 10 kilos maximum, auquel peut s’ajouter une quantité de fruits et légumes de 6 kilos maximum.

5. Les colis prévus au paragraphe 4 ainsi que les articles et les objets prévus à l’annexe no 1 peuvent être reçus à l’occasion des visites.

6. La réception, l’utilisation et la conservation des marchandises, y compris des [denrées] alimentaires, doivent se faire dans le respect des règles d’hygiène et des mesures de sécurité imposées par l’administration de l’établissement pénitentiaire.

(...)

8. Il est interdit aux détenus :

a) de recevoir des produits alimentaires qui, en vue de leur consommation, nécessitent d’être réchauffés, cuits ou bouillis ou [de subir] un autre traitement thermique ;

b) d’acheter des produits alimentaires qui sont rapidement périssables ou qui, en vue de leur consommation, nécessitent d’être réchauffés, cuits ou bouillis ou [de subir] un autre traitement thermique, à l’exception du café, du thé, du lait et des soupes instantanées ;

c) de recevoir et d’acheter des citrons et des dérivés de ceux-ci.

(...) »

LE DROIT EUROPÉEN PERTINENT

14. La Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes (adoptée par le Comité des Ministres le 11 janvier 2006) prévoit ce qui suit en ses parties pertinentes en l’espèce ː

Régime alimentaire

« 22.1 Les détenus doivent bénéficier d’un régime alimentaire tenant compte de leur âge, de leur état de santé, de leur état physique, de leur religion, de leur culture et de la nature de leur travail.

22.2 Le droit interne doit déterminer les critères de qualité du régime alimentaire en précisant notamment son contenu énergétique et protéinique minimal.

22.3 La nourriture doit être préparée et servie dans des conditions hygiéniques.

22.4 Trois repas doivent être servis tous les jours à des intervalles raisonnables.

(...) »

Liberté de pensée, de conscience et de religion

« 29.1 Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion des détenus doit être respecté.

29.2 Le régime carcéral doit être organisé, autant que possible, de manière à permettre aux détenus de pratiquer leur religion et de suivre leur philosophie, de participer à des services ou réunions menés par des représentants agréés des dites religions ou philosophies, de recevoir en privé des visites de tels représentants de leur religion ou leur philosophie et d’avoir en leur possession des livres ou publications à caractère religieux ou spirituel.

29.3 Les détenus ne peuvent être contraints de pratiquer une religion ou de suivre une philosophie, de participer à des services ou des réunions religieux, de participer à des pratiques religieuses ou bien d’accepter la visite d’un représentant d’une religion ou d’une philosophie quelconque. »

15. Le Commentaire de la Recommandation Rec(2006)2 comporte les précisions suivantes ː

Régime alimentaire – Règle 22

« Une fonction essentielle des autorités pénitentiaires est de veiller à ce que les détenus reçoivent une alimentation satisfaisante. La modification de l’intitulé de cette section des règles (« Régime alimentaire » au lieu de « Alimentation ») vise à souligner ce fait. Des arrangements selon lesquels le détenu assure individuellement son alimentation ne sont pas interdits par la règle mais, si tel devait être le cas, il conviendrait de veiller à ce que le détenu ait trois repas par jour. Dans certains États, les autorités pénitentiaires permettent aux détenus de préparer eux-mêmes leurs repas, car cela leur donne un aperçu des aspects positifs de la vie en communauté. Dans ce cas, elles mettent à leur disposition les installations adéquates ainsi qu’une quantité de nourriture suffisant à satisfaire leurs besoins nutritionnels.

La Règle 22.2 oblige maintenant de façon spécifique les autorités nationales à inscrire les critères de qualité du régime alimentaire dans le droit interne. Ces critères doivent tenir compte des besoins alimentaires de différentes catégories de détenus. Une fois de telles normes spécifiques définies, les systèmes d’inspection interne ainsi que les organes nationaux et internationaux de contrôle disposeront d’une base leur permettant d’établir si les besoins alimentaires des détenus sont satisfaits conformément à la loi.

(...) »

Liberté de pensée, de conscience et de religion – Règle 29

« Les règles pénitentiaires ont considéré jusqu’ici la place de la religion en prison comme non problématique et se sont limitées à formuler des recommandations positives sur les meilleurs moyens d’organiser la vie religieuse en prison. Cependant, l’augmentation dans certains pays du nombre de détenus animés de fortes convictions religieuses nécessite une approche mieux fondée quant aux principes, ainsi que l’adoption d’exigences positives.

La Règle 29.1 vise à assurer la reconnaissance de la liberté de religion et de la liberté de pensée et de conscience, conformément à l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

La Règle 29.2 ajoute l’obligation positive pour les autorités pénitentiaires de faciliter la pratique religieuse et le respect des croyances des détenus. Diverses mesures pourront être prises à cet égard. La Règle 22 prévoit déjà que les exigences liées à des convictions religieuses soient prises en compte dans le régime alimentaire des détenus. Dans la mesure du possible, des lieux de culte et de réunion doivent être fournis dans chaque prison aux détenus de diverses religions et confessions. Lorsqu’une prison contient un nombre suffisant de détenus appartenant à une même religion, un représentant de cette religion doit être agréé. Lorsque le nombre de détenus le justifie et si les conditions le permettent, la personne désignée devra remplir cette fonction à plein temps. Le représentant qualifié doit être autorisé à tenir des services réguliers, à organiser des activités et à avoir des entretiens en privé avec les détenus appartenant à sa religion. Aucun détenu ne doit se voir refuser l’accès au représentant agréé d’une religion.

La Règle 29.3 vise à protéger les détenus de toute pression indue en matière religieuse. Ces questions sont abordées dans la section générale afin de souligner que la pratique religieuse ne doit pas être conçue principalement comme un aspect du programme de détention, mais comme une question d’intérêt général concernant tous les détenus. »

EN DROIT

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES Sur la jonction des requêtes

16. Compte tenu de la similitude des requêtes, la Cour estime approprié d’ordonner leur jonction (article 42 § 1 du règlement de la Cour).

Sur l’objet des requêtes

17. La Cour note de prime abord que dans leurs formulaires de requêtes, les requérants ont soulevé des doléances relatives à l’allocation de repas casher à la prison de Rahova, et que ces griefs ont été communiqués au Gouvernement. Pour autant que, dans leurs observations, les requérants allèguent que la situation a perduré aux prisons de Mărgineni et de Giurgiu, où ils ont été ensuite transférés, force est de constater que les intéressés n’ont pas indiqué concrètement quels aménagements ont été mis en place dans ces établissements et qu’ils n’ont pas démontré avoir fait, après leur transfert, des demandes d’allocation de repas casher et s’être heurtés à un refus.

18. La Cour estime qu’il s’agit là de doléances nouvelles, non circonstanciées par des éléments de preuve, et que celles-ci ne constituent pas des griefs sur lesquels les parties ont échangé leurs observations. Dès lors, il convient de ne pas examiner ces griefs à ce stade de la procédure (voir, mutatis mutandis, Nuray Şen c. Turquie (no 2), no 25354/94, §§ 199‑200, 30 mars 2004 ; Piryanik c. Ukraine, no 75788/01, §§ 19-20, 19 avril 2005 ; et M.C. et autres c. Italie, no 5376/11, § 54, 3 septembre 2013).

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

19. Les requérants allèguent une atteinte à leur liberté de religion à raison d’un manquement des autorités pénitentiaires de Rahova à leur fournir des repas conformes aux préceptes de leur religion. Ils invoquent les articles 3 et 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 12 à la Convention.

La Cour rappelle qu’elle n’est pas tenue par les moyens de droit avancés par un requérant en vertu de la Convention et de ses Protocoles et qu’elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d’un grief en examinant celui-ci sur le terrain d’articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par le requérant (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018).

20. En l’espèce, elle estime que le grief susmentionné doit être examiné sous l’angle de l’article 9 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Sur la recevabilité

21. Le Gouvernement n’a pas soulevé d’exception d’irrecevabilité des requêtes.

22. La Cour note que l’applicabilité de l’article 9 de la Convention n’est pas contestée par le Gouvernement. En effet, elle a déjà retenu que les restrictions ou prescriptions alimentaires peuvent relever de la pratique d’une religion (Vartic c. Roumanie (no 2), no 14150/08, § 35, 17 décembre 2013). Les préceptes alimentaires spécifiques de la religion juive, en particulier quant aux aliments qui peuvent ou ne peuvent pas être mangés et à la façon de les préparer, sont expliqués en détail dans l’arrêt Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France ([GC], no 27417/95, §§ 13‑19, CEDH 2000‑VII).

23. Constatant en outre que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

Sur le fond Arguments des parties

a) Le Gouvernement

24. Le Gouvernement indique que les requérants ont bénéficié de la « norme alimentaire no 18 », applicable aux détenus malades adeptes d’autres religions que la religion majoritaire en Roumanie, aux fins d’une prise en compte tant de leurs convictions que de leur état de santé (le premier requérant souffre de diabète). Il expose ce qui suit : la prison de Rahova a procédé à l’aménagement d’une cuisine destinée à la préparation des repas casher, à laquelle les détenus de confession juive sont amenés à participer ; les conditions de préparation des repas ont été approuvées par la fondation Chabad Lyubavitshi, qui a aussi fourni des produits alimentaires ; le président de cette fondation s’est rendu à la prison de Rahova le 21 octobre 2015 afin de consacrer la cuisine ; par la suite, les représentants de cette fondation ont rendu visite aux requérants en prison à six reprises lors des fêtes religieuses, à l’occasion desquelles ces derniers ont reçu des objets de culte et des produits alimentaires spécifiques pour ces fêtes ; par ailleurs, en 2011, l’Administration nationale des établissements pénitentiaires avait conclu un protocole de collaboration avec la Fédération des communautés juives de Roumanie afin d’assister les détenus en vue de leur réinsertion dans la société. Le Gouvernement ajoute que les requérants n’ont pas formé d’action civile en remboursement du coût des repas qu’ils se sont procurés par leurs propres moyens.

25. Dans ses observations supplémentaires, le Gouvernement a transmis des documents fournis par la prison de Rahova au sujet des prix des produits alimentaires disponibles dans le magasin de la prison. Il en ressort que les autorités pénitentiaires ont régulièrement vérifié en 2014 et 2015 les prix pratiqués dans ce point de vente, qu’elles les ont comparés avec les prix moyens affichés dans des magasins du voisinage et qu’elles ont indiqué aux gérants du magasin de la prison de les revoir à la baisse lorsqu’ils étaient supérieurs à ces prix moyens.

b) Les requérants

26. Les requérants soutiennent que la Roumanie n’a pas adopté de législation pour reconnaître la religion juive et pour établir les exigences en matière de nourriture. Ils estiment qu’une obligation de résultat pèse à cet égard sur les autorités.

27. Les requérants se plaignent qu’ils aient dû obtenir une décision judiciaire pour se voir reconnaître le droit de bénéficier de repas conformes aux exigences de leur religion et que cette décision ait été sans effet sur la période antérieure à son prononcé. Ils considèrent que les diligences des autorités n’ont pas été suffisantes, dès lors que l’exercice de leur religion relèverait du quotidien et qu’il ne serait pas limité aux seules fêtes religieuses. Ils allèguent que le budget consacré par leurs familles et amis respectifs à l’achat de denrées alimentaires pour eux s’élève à environ 1 000 euros par mois, que les prix pratiqués par le magasin de la prison sont exorbitants et que certains produits ne sont pas certifiés casher. Ils précisent que les préceptes religieux auxquels ils adhèrent impliquent notamment la mise à disposition d’une cuisine séparée et la présence du rabbin pour le service religieux lors de la préparation de la nourriture. Enfin, ils estiment que l’État devrait assurer un budget supplémentaire spécifique pour pourvoir à l’approvisionnement en repas des détenus de confession juive, et ils arguent qu’un tel budget ne requerrait pas un effort extraordinaire de la part de l’État. Ils en veulent pour preuve le fait que, selon eux, le nombre de personnes de confession juive détenues dans les prisons roumaines était seulement de huit au moment des faits.

Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

28. La Cour rappelle que, telle que la protège l’article 9 de la Convention, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de cet instrument. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer (S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 124, CEDH 2014 (extraits)).

29. Si la liberté de religion relève d’abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. L’article 9 de la Convention énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou d’une conviction, à savoir le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (Cha’are Shalom Ve Tsedek, précité, § 73, et Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 105, CEDH 2005‑XI).

30. Dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 33 in fine, série A no 260-A). Cela découle à la fois du paragraphe 2 de l’article 9 et des obligations positives qui incombent à l’État au titre de l’article 1 de la Convention de reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés définis dans celle-ci (Leyla Şahin, précité, § 106).

31. Il faut également rappeler le rôle fondamentalement subsidiaire du mécanisme de la Convention. Les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe et, ainsi que la Cour l’a affirmé à maintes reprises, se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur les besoins et les contextes locaux. Lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. S’agissant de l’article 9 de la Convention, il convient, en principe, de reconnaître à l’État une ample marge d’appréciation pour décider si et dans quelle mesure une restriction au droit de manifester sa religion ou ses convictions est « nécessaire » (S.A.S. c. France, précité, § 129). Cela étant, pour déterminer l’ampleur de la marge d’appréciation dans une affaire donnée, la Cour doit également tenir compte de l’enjeu propre à l’espèce (voir, notamment, Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, § 44, Recueil 1996‑IV, et Leyla Şahin, précité, § 110).

32. Enfin, si la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au regard de la Convention ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables n’en sont pas moins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation (Eweida et autres c. Royaume-Uni, nos 48420/10 et 3 autres, § 84 in fine, CEDH 2013 (extraits)).

b) Application de ces principes en l’espèce

33. La Cour estime qu’il convient d’examiner les griefs des requérants à la lumière des obligations positives qui découlent de l’article 9 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Vartic (no 2), précité, § 44).

34. À cet égard, la Cour observe que l’État roumain a consacré expressément le droit à la liberté religieuse tant au niveau de la Constitution qu’au niveau législatif et que la religion juive figure parmi les cultes officiellement reconnus (paragraphes 9 et 10 ci-dessus). L’argument des requérants selon lequel l’État défendeur n’a pas adopté de législation pour reconnaître la religion juive (paragraphe 26 ci-dessus) doit donc être écarté. Pour autant que l’argument des intéressés consiste à dire que l’État défendeur n’a pas adopté de réglementation spécifique relative aux conditions dans lesquelles les détenus de confession juive peuvent se voir attribuer des repas casher lorsqu’ils purgent une peine d’emprisonnement, la Cour note que la loi no 254/2013 et la réglementation décidée en vue de son application définissent les modalités d’exercice du droit à la liberté religieuse en détention, y compris en ce qui concerne l’alimentation requise par l’observance des préceptes religieux (paragraphes 11-13 ci-dessus). Elle estime que cette législation pose un cadre normatif général, suffisamment prévisible et détaillé quant à l’exercice du droit à la liberté de religion en milieu pénitentiaire. En ce qui concerne l’argument des requérants visant l’absence alléguée d’une réglementation spécifique établissant en détail les modalités d’allocation, de préparation et de distribution des repas casher en milieu carcéral, la Cour considère que le choix d’adopter ou pas une réglementation détaillée relative aux modalités d’exercice d’une religion donnée en milieu pénitentiaire relève plutôt de la marge d’appréciation des autorités de l’État, qui sont mieux placées pour se prononcer sur les besoins et les contextes locaux (voir, mutatis mutandis, S.A.S. c. France, précité, § 129). À cet égard, la Cour retient que, d’après les requérants eux-mêmes, au moment des faits, seules huit personnes de confession juive étaient détenues dans les prisons roumaines (paragraphe 27 ci-dessus).

35. De plus, la Cour note que le tribunal de première instance de Bucarest a tranché en faveur d’une solution sur mesure adaptée aux besoins particuliers des requérants et a permis ainsi de pallier l’absence d’un cadre réglementaire spécifique pour les détenus de confession juive et d’offrir une solution applicable sans délai (paragraphe 5 ci-dessus). La Cour voit les mérites d’une telle approche, qui cadre bien avec le principe de subsidiarité, dans la mesure où le tribunal de première instance a adopté une solution concrète qui a eu l’avantage de pouvoir être appliquée immédiatement par les autorités pénitentiaires de Rahova.

36. Plus concrètement, la Cour relève que le tribunal de première instance a ordonné à l’administration pénitentiaire de Rahova de permettre aux requérants de recevoir quotidiennement des repas casher, en quantité nécessaire pour satisfaire leurs besoins personnels, de pourvoir à la distribution des repas dans les mêmes conditions que celles offertes aux autres personnes détenues, ainsi que d’assurer les facilités pour la conservation des repas les jours où ceux-ci ne pouvaient pas être livrés (paragraphe 5 ci-dessus). Elle note que, selon les observations du Gouvernement, non contestées par les requérants, le jugement du tribunal de première instance a été mis en application par les autorités pénitentiaires de Rahova (paragraphe 24 ci-dessus). Elle écarte donc l’argument des requérants selon lequel ils ont dû obtenir une décision judiciaire pour se voir reconnaître le droit de bénéficier de repas conformes aux exigences de leur religion (paragraphe 27 ci-dessus) dans la mesure où il revient aux requérants de saisir dans un premier temps les autorités nationales pour dénoncer une éventuelle atteinte à leurs droits. En l’espèce, les juridictions nationales ont dûment examiné les demandes des requérants et ont rendu en temps utile une décision judiciaire en leur faveur. La Cour note également qu’il n’apparait pas des éléments soumis devant elle par les intéressés qu’ils aient demandé aux juridictions nationales une réparation pour la période antérieure à la saisine de celles-ci quand ils n’ont pas bénéficié de repas conformes aux exigences de leur religion.

37. La Cour rappelle avoir déjà dit qu’elle était prête à accepter que la décision de mettre en place des aménagements spécifiques pour un détenu pouvait avoir des conséquences financières directes pour un établissement pénitentiaire, et donc se répercuter de manière indirecte sur la qualité du traitement des autres détenus, et qu’elle devait ainsi vérifier si les autorités nationales avaient ménagé un juste équilibre entre les intérêts de l’établissement, ceux de ces autres prisonniers et les intérêts particuliers du détenu concerné (Jakóbski c. Pologne, no 18429/06, § 50, 7 décembre 2010). À cet égard, elle note que la situation en l’espèce est différente de celle qui prévalait dans les affaires Jakóbski et Vartic (no 2) (précitées, respectivement § 52 et § 49), dans lesquelles elle a observé que les requérants demandaient des repas végétariens qui ne nécessitaient pas d’être préparés, cuits ou servis d’une manière particulière et que l’allocation de tels repas n’avait pas de conséquences négatives pour la gestion des établissements pénitentiaires ou pour la qualité des repas fournis aux autres détenus. En revanche, dans la présente espèce, l’alimentation demandée par les requérants consistait en des repas casher, qui devaient contenir des ingrédients spécifiques obtenus en suivant des règles très précises et qui devaient être préparés à part, dans des contenants et avec des ustensiles séparés, de manière spéciale et sous la supervision d’un représentant religieux (Cha’are Shalom Ve Tsedek, précité, §§ 13-19 ; voir également les observations des requérants, résumées au paragraphe 27 ci‑dessus). La Cour voit ici une différence importante par rapport aux affaires dont elle a déjà eu à connaître, et elle la prendra en considération pour examiner si les autorités pénitentiaires de Rahova ont agi dans les limites de leur marge d’appréciation.

38. Ainsi, il ressort des observations du Gouvernement, non contestées par les requérants, qu’un espace séparé a été aménagé dans la cuisine de la prison de Rahova (paragraphe 24 ci-dessus). Il s’agit, de l’avis de la Cour, d’un élément important dans la mesure où les repas casher doivent être préparés dans des conditions spéciales (Cha’are Shalom Ve Tsedek, précité, §§ 13-19). Ces conditions semblent avoir été respectées en l’espèce puisqu’elles ont reçu l’aval d’une fondation religieuse juive. La Cour note également que les détenus de confession juive participent à la préparation des repas (paragraphe 24 ci-dessus). Elle relève que les Règles pénitentiaires européennes, telles qu’expliquées dans leur commentaire (paragraphes 14 et 15 ci-dessus), confirment une telle approche dans le but de permettre aux détenus d’avoir un aperçu des aspects positifs de la vie en communauté.

39. La Cour note ensuite que les autorités pénitentiaires de Rahova ont collaboré avec une fondation religieuse juive pour la mise en application du jugement du tribunal de première instance de Bucarest (voir, a contrario, Vartic (no 2), précité, § 47, où le Gouvernement n’avait pas fourni d’informations quant aux résultats obtenus grâce à la prise de contact avec une association religieuse). Cette fondation a ensuite été présente dans la prison lors des fêtes religieuses juives et a fourni aux requérants des aliments spécifiques à ces occasions (paragraphe 24 ci-dessus). La Cour prend note de l’argument des requérants selon lequel l’exercice de leur religion relève du quotidien et n’est pas limité aux seules fêtes religieuses (paragraphe 27 ci-dessus). Elle estime toutefois que l’implication, à l’initiative des autorités pénitentiaires, d’une fondation religieuse en vue de la détermination des modalités d’aménagement des conditions dans lesquelles les requérants pouvaient se voir allouer des repas conformes aux préceptes de leur religion, même si non décisive, est un élément important à prendre en considération pour examiner la manière dont les autorités nationales ont rempli leurs obligations positives découlant de l’article 9 de la Convention.

40. La Cour constate de plus que le tribunal de première instance de Bucarest a permis aux requérants de se procurer, par dérogation aux normes en vigueur, des produits qui pouvaient être cuisinés et préparés sur place (paragraphe 5 ci-dessus). Elle prend en compte le fait que les requérants se sont procuré par leurs propres moyens ces produits, ce qui constitue d’ailleurs la critique principale formulée par les intéressés dans leurs observations présentées devant elle (paragraphes 26 et 27 ci-dessus). Elle note qu’un tel arrangement n’est pas en soi contraire à la règle 22 des Règles pénitentiaires européennes, telles qu’expliquées dans leur commentaire (paragraphes 14 et 15 ci-dessus). Elle rappelle toutefois que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, pour un rappel de ce principe, İzzettin Doğan et autres c. Turquie [GC], no 62649/10, § 114, 26 avril 2016, et Osmanoğlu et Kocabaş c. Suisse, no 29086/12, § 93, 10 janvier 2017). Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime qu’un arrangement par lequel un détenu est autorisé à se procurer par ses propres moyens les produits alimentaires conformes aux préceptes de sa religion ne doit pas lui imposer une charge qu’il ne serait pas en mesure d’assumer pour des raisons financières objectives. À cet égard, elle note que le tribunal de première instance a indiqué aux requérants qu’ils pouvaient demander le remboursement des frais qu’ils avaient engagés par le biais d’une action civile séparée et qu’il ne ressort pas du dossier que les intéressés aient saisi les juridictions compétentes en la matière (paragraphe 7 ci-dessus). Les requérants n’ont pas non plus soutenu devant la Cour que des raisons objectives les avaient empêchés de former une telle action.

41. La Cour rappelle que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non‑utilisation du recours en question (voir, entre autres, Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 74, 25 mars 2014). En l’espèce, les requérants n’ont avancé aucun argument permettant de faire douter de l’effectivité d’une action civile telle qu’indiquée par le tribunal de première instance de Bucarest.

42. La Cour observe que les requérants n’ont pas non plus allégué avoir soumis aux autorités pénitentiaires une demande précise et détaillée pour se voir rembourser les coûts des aliments qu’ils se sont procurés par leurs propres moyens et s’être heurtés à un refus de donner suite à leur demande. Soucieuse de faire respecter le principe de subsidiarité, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le montant effectivement dépensé par les requérants pour se procurer des produits alimentaires casher, en l’absence d’une décision des autorités nationales à cet égard.

43. La Cour relève donc que les autorités pénitentiaires de Rahova ont procédé à l’aménagement d’une cuisine séparée destinée à la confection des repas casher et que les conditions de préparation de ces repas ont été approuvées par une fondation religieuse juive. Cette fondation a été consultée lors du processus et a fourni aux requérants des produits alimentaires spécifiques. En application du jugement du tribunal de première instance de Bucarest, les requérants ont pu se procurer les produits nécessaires à la préparation des repas sur place dans la cuisine de la prison. Un ensemble de mesures ont ainsi été mises en place par les autorités pénitentiaires de Rahova. La Cour ne saurait accepter l’argument des requérants selon lequel l’obligation qui pèse sur les autorités nationales dans ce cas est une obligation de résultat (paragraphe 26 ci-dessus). En effet, elle estime que ces mesures ont eu un caractère adéquat et que les autorités nationales ont fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé d’elles pour respecter les convictions religieuses des requérants, d’autant que les repas casher doivent être préparés dans des conditions spéciales strictes (paragraphe 37 ci-dessus ; voir, a contrario, Vartic (no 2), précité, §§ 51‑52 ; voir, également, X c. Royaume-Uni, no 5947/72, décision de la Commission du 5 mars 1976, Décisions et rapports (DR) 5, p. 8, concernant l’allocation de repas casher à un détenu juif orthodoxe incarcéré dans un établissement pénitentiaire n’abritant qu’un petit nombre de détenus de confession juive).

44. À la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la marge d’appréciation dont l’État défendeur jouit en la matière, la Cour estime que les autorités nationales ont satisfait, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’espèce, à leurs obligations positives découlant de l’article 9 de la Convention.

45. Pour ces raisons, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

Décide de joindre les requêtes ; Déclare les requêtes recevables ; Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juin 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Andrea TamiettiYonko Grozev GreffierPrésident