EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

 

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PAROISSE GRECO-CATHOLIQUE LUPENI ET AUTRES c. ROUMANIE

(Requête no 76943/11)

ARRÊT

STRASBOURG

19 mai 2015

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président, Luis López Guerra, Ján Šikuta, Kristina Pardalos, Johannes Silvis, Valeriu Griţco, Branko Lubarda, juges, et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 76943/11) dirigée contre la Roumanie et dont une paroisse, un évêché et un archiprêtré sis dans cet État, à savoir la Paroisse gréco-catholique de Lupeni, l’Évêché gréco-catholique de Lugoj et l’Archiprêtré (Protopopiatul) gréco-catholique de Lupeni (« les requérants »), ont saisi la Cour le 14 décembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Mes D.O. Hatneanu et C.T. Borsanyi, avocates respectivement à Bucarest et à Timișoara. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Dénonçant un refus des juridictions nationales de statuer sur ce qu’ils estiment être leur droit de propriété sur un édifice de culte sur le fondement du droit commun, les requérants se plaignent en particulier d’une atteinte à leur droit d’accès à un tribunal et au respect du principe de la sécurité juridique. Ils se plaignent également de la durée de la procédure visant à la restitution du lieu de culte. Se fondant principalement sur les mêmes faits, ils se plaignent en outre d’une atteinte à leur droit de propriété et à leur droit à la liberté de religion ainsi que d’une violation de l’interdiction de la discrimination.

4. Le 18 décembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. Le 8 avril 2014, la chambre a décidé, en vertu de l’article 54 § 2 c) du règlement de la Cour, d’inviter les parties à lui présenter par écrit des observations complémentaires sur la recevabilité et sur le fond de la requête.

6. À la suite du déport de Mme Iulia Antoanella Motoc, juge élue au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. Les requérants appartiennent à l’Église catholique de rite oriental (gréco-catholique ou uniate).

A. Le contexte historique de l’affaire

1. Le cadre légal régissant les paroisses gréco-catholiques

8. Jusqu’en 1948, les paroisses gréco-catholiques possédaient différents biens immeubles, dont des églises et les terrains afférents, des maisons paroissiales et des cimetières.

9. Par le décret-loi no 358/1948, le culte uniate fut dissous. En vertu du même décret-loi, les biens appartenant à ce culte furent transférés à l’État, à l’exception des biens des paroisses. Une commission interdépartementale chargée de fixer l’affectation finale de ces biens ne concrétisa jamais cette mission. Les biens des paroisses furent transférés à l’Église orthodoxe en vertu du décret no 177/1948 qui énonçait que, si la majorité des fidèles d’une Église devenaient membres d’une autre Église, les biens ayant appartenu à la première seraient transférés dans le patrimoine de la seconde.

10. Après la chute du régime communiste, en décembre 1989, le décret no 358/1948 fut abrogé par le décret-loi no 9/1989. Le culte uniate fut reconnu officiellement par le décret-loi no 126/1990 relatif à certaines mesures concernant l’Église roumaine unie à Rome (Église gréco‑catholique). L’article 3 de ce décret-loi prévoyait que la situation juridique des biens ayant appartenu aux paroisses uniates devait être tranchée par des commissions mixtes constituées de représentants du clergé des deux cultes, uniate et orthodoxe. Pour rendre leurs décisions, ces commissions devaient prendre en compte « la volonté des fidèles des communautés détentrices de ces biens » (paragraphe 38 ci-dessous).

11. L’article 3 du décret-loi no 126/1990 fut complété par l’ordonnance du gouvernement no 64/2004 du 13 août 2004 et la loi no 182/2005. Selon le décret ainsi modifié, en cas de désaccord entre les représentants cléricaux des deux cultes religieux au sein de la commission mixte, la partie ayant un intérêt à agir pouvait introduire une action en justice fondée sur le droit commun (paragraphe 40 ci-dessous).

2. La situation juridique des requérants et de leur église

12. Les requérants ont été dissous sur le fondement du décret-loi no 358/1948. En 1967, l’église et la cour attenante ayant appartenu à la paroisse requérante ont été transférées sur le livre foncier dans la propriété de l’Église orthodoxe roumaine de Lupeni I.

13. La paroisse requérante a été légalement reconstituée le 12 août 1996. Elle relève de l’Évêché gréco-catholique de Lugoj (le deuxième requérant) et de l’Archiprêtré gréco-catholique de Lupeni (le troisième requérant). Les requérants entamèrent des démarches pour obtenir la restitution de l’église et de la cour attenante.

B. Les démarches menées entre l’Église orthodoxe roumaine et l’Église gréco-catholique en vue d’un règlement amiable

1. Les réunions de la commission mixte

14. L’Église orthodoxe et l’Église gréco-catholique organisèrent des réunions dans le cadre d’une commission mixte composée des hauts représentants des deux Églises pour trancher le sort des églises ayant appartenu au culte gréco-catholique. De 1998 à 2003, la commission mixte se réunit sept fois. La partie gréco-catholique présenta une liste des églises qu’elle revendiquait, dont celle de la paroisse requérante. Elle proposa également une solution amiable : elle préconisait que, dans les communes où il y avait deux églises, l’une d’entre elles fût restituée, et que, dans les communes où existaient une seule église et deux communautés religieuses, un service religieux fût organisé en alternance. La partie orthodoxe rejeta cette proposition.

15. Au cours des réunions, les représentants des deux cultes constatèrent que le litige serait long et ils prônèrent le dialogue au niveau local et la construction de nouvelles églises pour les deux cultes. Lors de la dernière réunion, la partie orthodoxe refusa de restituer les biens en invoquant la volonté de la majorité des fidèles.

16. La paroisse requérante convoqua pour le 9 novembre 2004 une réunion au niveau local avec la paroisse orthodoxe détentrice du bien litigieux. La partie orthodoxe ne se présenta pas. Elle ne se rendit pas non plus à une nouvelle réunion convoquée par la partie requérante pour le 10 juin 2006.

2. La réunion des parties intéressées sous l’égide du ministère de la Culture et des Cultes

17. Entre-temps, le 5 avril 2002, à l’initiative du ministère de la Culture et des Cultes (« le ministère »), une rencontre appelée « Dialogue fraternel » avait eu lieu au siège du secrétariat d’État pour les cultes de Bucarest. Lors de cette rencontre, les représentants du culte orthodoxe avaient défendu l’importance de la construction de nouvelles églises pour la résolution du problème. À cette occasion, l’intention du gouvernement de démarrer un programme de construction de nouvelles églises avait été saluée. Le ministère avait demandé à la partie gréco-catholique de lui fournir une liste plus précise des lieux de culte qu’elle revendiquait.

18. D’après la paroisse requérante, la partie gréco-catholique a bien remis les documents demandés au ministère, mais celui-ci n’a pas donné suite.

C. L’action judiciaire des requérants

19. Auparavant, le 23 mai 2001, le deuxième requérant, à savoir l’Évêché gréco-catholique de Lugoj, en se référant aux deux autres requérants, avait saisi les juridictions nationales d’une action contre l’Archidiocèse orthodoxe de Arad et la Paroisse orthodoxe de Lupeni. Il demandait l’annulation de l’expropriation, opérée sur la base du décret no 358/1948, de l’église et du cimetière situés à Lupeni et la restitution de cette église à la paroisse requérante.

20. Par un jugement du 10 octobre 2001, le tribunal départemental de Hunedoara (« le tribunal départemental ») déclara l’action irrecevable au motif que le litige devait être résolu par la voie de la procédure spéciale instituée par le décret-loi no 126/1990, c’est-à-dire devant la commission mixte.

21. L’appel que le deuxième requérant fit de ce jugement fut rejeté par un arrêt rendu par la cour d’appel de Alba Iulia (« la cour d’appel ») le 25 mars 2003, qui jugea l’action prématurée. Sur recours de la paroisse requérante et du deuxième requérant, par un arrêt définitif du 24 novembre 2004, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») renvoya l’affaire devant la même cour d’appel pour un nouveau jugement au fond.

22. Le 12 mai 2006, en application des modifications législatives qui donnaient compétence aux tribunaux pour juger le fond des affaires (paragraphe 11 ci-dessus), la cour d’appel fit droit à l’appel du deuxième requérant et transmit le dossier au tribunal départemental.

23. Le 27 juillet 2006, lorsque l’affaire fut réinscrite au rôle du tribunal départemental, l’action fut complétée afin d’inscrire la paroisse requérante et le troisième requérant comme parties demanderesses dans la procédure. Le 8 novembre 2006, les parties requérantes complétèrent leur action par une action en revendication, fondée sur le droit commun, de l’église en question.

24. Le tribunal départemental demanda aux parties gréco-catholique et orthodoxe d’organiser une réunion afin de décider du sort de l’église en litige et de lui faire part du résultat des négociations avant le 25 avril 2007.

25. Le 20 avril 2007, une réunion eut lieu entre les représentants des requérants, de l’Église orthodoxe et du maire de Lupeni. L’Église orthodoxe refusa la restitution de l’église, arguant que la majorité des fidèles de la commune étaient orthodoxes. La paroisse requérante répliqua que le droit de propriété n’était pas lié au nombre de pratiquants d’un culte. Le procès‑verbal de la réunion fut transmis au tribunal départemental qui poursuivit l’examen de l’affaire.

26. Par un jugement du 27 février 2008, le tribunal départemental rejeta l’action des requérants au motif que la paroisse orthodoxe de Lupeni était devenue légalement propriétaire du bien en litige en vertu du décret no 358/1948. Les requérants interjetèrent appel. Par un arrêt du 26 septembre 2008, la cour d’appel annula le jugement du 27 février 2008 pour vice de forme et renvoya l’affaire devant le tribunal départemental.

27. Par un jugement du 13 février 2009, le tribunal départemental fit droit à l’action des requérants et ordonna la restitution de l’église à la paroisse requérante. Procédant à une comparaison des titres de propriété des parties en litige quant au bien en cause, le tribunal départemental nota que la partie gréco-catholique était inscrite depuis 1940 sur le livre foncier en tant que propriétaire du bien et qu’en 1967 l’église orthodoxe avait inscrit son droit de propriété sur le livre foncier en vertu du décret no 358/1948. Il jugea que l’abrogation du décret no 358/1948 avait eu en l’espèce comme effet la cessation du droit de propriété de la partie orthodoxe sur le bien en litige. Il ajouta que la paroisse requérante n’avait pas de lieu de culte et qu’elle était obligée de faire appel à l’église romano-catholique qui lui louait ses locaux pour le service religieux.

28. La paroisse orthodoxe interjeta appel de ce jugement.

29. Par un arrêt du 11 juin 2010, la cour d’appel accueillit l’appel et rejeta l’action des requérants. Elle décrivit le déroulement de la procédure et indiqua que l’affaire avait été engagée par le deuxième requérant en 2001 et qu’elle avait été complétée en juillet 2006, après son réinscription au rôle du tribunal départemental, par les deux autres requérants. Sur la base des preuves versées au dossier, elle constata tout d’abord que l’église revendiquée et deux maisons paroissiales de Lupeni avaient été construites entre 1906 et 1920 par des orthodoxes de rite oriental et des gréco‑catholiques, et que, après sa construction, l’église avait abrité alternativement les offices des deux cultes. Elle prit note du fait que, en 1948, les fidèles gréco-catholiques avaient été contraints de « passer » au culte orthodoxe et que l’église était passée dans le patrimoine de l’Église orthodoxe qui l’avait entretenue et qui avait réalisé des travaux d’amélioration.

30. La cour d’appel interrogea trois témoins, dont deux orthodoxes qui déclarèrent qu’ils n’entendaient plus revenir à présent au culte gréco‑catholique auxquels ils avaient appartenu avant 1948. Le troisième témoin indiqua qu’elle faisait partie du nombre, restreint d’après elle, des gréco-catholiques de Lupeni. La cour d’appel nota que les déclarations de ces témoins confortaient les données statistiques qui montraient qu’à Lupeni le nombre des orthodoxes était supérieur à celui des gréco-catholiques.

31. Elle jugea ensuite que le tribunal départemental avait procédé à la comparaison des titres de propriété sans tenir compte de la volonté de la majorité des détenteurs actuels de l’immeuble, critère selon elle prévu par l’article 3 § 1 du décret-loi no 126/1990. Elle indiqua que, dans la mesure où les orthodoxes étaient plus nombreux que les gréco-catholiques à Lupeni si l’on comptait également les convertis qui ne voulaient plus revenir au culte gréco-catholique, il fallait trancher l’action en tenant compte de leur refus. Elle estima que, « si l’on considérait les réalités sociales et historiques, ignorer la volonté des fidèles et la proportion des fidèles orthodoxes, majoritaires, par rapport aux fidèles gréco-catholiques, d’un poids moins significatif, porterait atteinte à la stabilité et à la sécurité des rapports juridiques ».

32. La cour d’appel nota enfin que l’abrogation du décret no 358/1948 ne signifiait pas automatiquement l’annulation du titre de propriété de l’Église orthodoxe et que ce décret constituait la loi en vigueur à l’époque du transfert du droit de propriété. Elle estima dès lors que, même s’il était abusif, le titre de l’Église orthodoxe était valable à partir de la date à laquelle le transfert avait été opéré, de sorte que l’action en revendication était mal fondée.

33. Les requérants formèrent un recours devant la Haute Cour, alléguant que la cour d’appel avait appliqué de manière erronée les dispositions légales régissant l’action en revendication. Ils soulignaient que le droit de propriété ne pouvait être lié au caractère majoritaire d’une religion, car la propriété était, à leurs dires, une notion juridique indépendante de l’importance numérique et de la volonté des parties.

34. Par un arrêt définitif du 15 juin 2011, rendu à la majorité, la Haute Cour rejeta le recours des requérants et confirma l’arrêt rendu en appel. Elle statua ainsi :

« S’agissant d’une demande de restitution d’un lieu de culte qui a appartenu à l’église roumaine unie à Rome (gréco-catholique), la juridiction d’appel a correctement établi le cadre juridique spécial pour trancher lesdites prétentions.

Conformément au décret-loi no 126/1990 (...) une distinction est faite entre deux situations : a) celle où les biens se trouvent dans le patrimoine de l’État (...) b) celle où les lieux de culte et les paroisses ont été repris par l’Église orthodoxe roumaine et pour lesquelles la restitution sera décidée par une commission mixte formée par des représentants cléricaux des deux cultes, commission qui tiendra compte de la volonté des fidèles de la communauté détentrice des biens.

Compte tenu de ces dispositions, la juridiction d’appel, saisie d’une action en restitution d’un lieu de culte, a, à bon droit, appliqué le critère concernant la volonté des fidèles (majoritaires orthodoxes) de la communauté détentrice du bien, en soulignant en même temps le caractère irrégulier du raisonnement de la juridiction ayant statué en première instance qui avait procédé à une simple comparaison des titres en ignorant la norme spéciale. (...)

Le fait de compléter l’article 3 [du décret-loi no 126/1990] avec un alinéa selon lequel « Si la commission ne se réunit pas au terme du délai établi pour sa convocation, ou si dans le cadre de la commission elle ne parvient pas à un résultat ou si la décision prise par la commission mécontente l’une des parties, la partie ayant un intérêt à agir peut introduire une action en justice fondée sur le droit commun » ne signifie pas que les requêtes en restitution régies par les normes spéciales sont transformées en demandes en revendication selon le droit commun.

Saisi d’une telle requête, le tribunal ne peut pas ignorer la réglementation spéciale en la matière qui indique le critère à prendre en compte dans la résolution de telles prétentions, à savoir la volonté des fidèles de la communauté détentrice du bien.

Autrement dit, en vertu de sa plénitude de juridiction, le tribunal peut être appelé à trancher une requête sur le fond alors que la procédure préalable n’a pas été achevée par une décision de la commission mixte cléricale, afin de ne pas compromettre l’accès à la justice, mais, en même temps, sans qu’il puisse sortir des limites imposées par le cadre normatif spécial.

La préférence pour le critère de la volonté des fidèles relève du choix du législateur, qui a voulu ainsi réglementer une matière qui concerne les immeubles dotés d’une certaine affectation (lieux de culte), le tribunal n’étant pas autorisé à censurer la loi.

Par ailleurs, se prononçant sur l’inconstitutionnalité alléguée de l’article 3 du décret no 126/1990 et du critère de la volonté des fidèles, la Cour constitutionnelle a affirmé que le texte n’enfreignait pas le principe de démocratie de l’État roumain ni celui de la liberté des cultes religieux (décision C.C. no 23/1993, décision C.C. no 49/1995).

En effet, la démocratie « implique également l’application du principe de la majorité, comme l’énonce la partie finale de l’article 3 – la volonté des fidèles de la communauté détentrice de ces biens – qui institue un critère social, celui du choix de la majorité des fidèles. »

De même, il a été établi que « la liberté des cultes religieux implique non seulement leur autonomie à l’égard de l’État, mais également la liberté de croyance religieuse » ; lorsque « dans la même commune il y a des fidèles orthodoxes et des fidèles gréco‑catholiques, l’application du critère social de la majorité des paroissiens pour décider de l’attribution des lieux de culte et des maisons paroissiales est conforme au principe démocratique de détermination de l’usage religieux dudit bien, dès lors que c’est la volonté de la majorité de ceux qui sont les bénéficiaires de ladite utilisation » parce que « autrement, cela signifierait que, de manière injustifiée, les fidèles orthodoxes majoritaires, à moins passer au culte gréco-catholique, seraient empêchés de pratiquer leur religion ».

En outre, les modalités de réglementation des relations sociales et de reconstitution du patrimoine (averi) des communautés religieuses relèvent de la politique législative (et non du droit prétorien, qui tenterait de régler de telles questions par la voie judiciaire en excluant la loi spéciale) ; il ne peut être soutenu que, en instaurant le critère de la volonté des fidèles, une telle loi a manqué son but réparateur.

La cour d’appel a estimé que le fait que l’État avait dépossédé de manière abusive l’Église gréco-catholique de ses lieux de culte en 1948 ne peut pas être réparé dans un État de droit par un abus en sens inverse, qui ne tiendrait pas compte du choix de la majorité des fidèles à la date de l’adoption de ladite mesure. Or restituer des biens qui avaient appartenu à l’Église gréco-catholique sans respecter les conditions imposées par l’article 3, alinéa premier, du décret-loi no 126/1990 porterait atteinte à la stabilité et à la sécurité des rapports juridiques. La reconstitution du droit ne peut pas se faire de manière abstraite, en ignorant les réalités sociales et historiques, et l’atténuation des anciens préjudices ne doit pas créer de nouveaux problèmes disproportionnés (...).

Pour engager une action en revendication de droit commun sans être soumis à la loi spéciale, les requérants doivent pouvoir se prévaloir de l’existence d’un « bien » ou d’un droit de propriété dans leur patrimoine.

Or, par le décret no 358/1948, le culte gréco-catholique a été mis hors la loi et ses biens ont été transférés à l’État, l’immeuble en litige ayant été inscrit dans le patrimoine de l’Église orthodoxe roumaine Lupeni I.

Le fait que par le décret-loi no 9/1989 l’Église roumaine unie à Rome (gréco‑catholique) a été reconnue officiellement, à la suite de l’abrogation du décret no 358/1948, ne signifie pas qu’elle a été rétablie dans son droit de propriété dans la mesure où la reconstitution du droit de propriété est soumise à une procédure (à savoir les dispositions du décret-loi no 126/1990 avec ses modifications ultérieures), l’espérance d’obtenir un droit de propriété n’étant pas assimilée à un bien (...).

Contrairement à ce que soutient les parties qui ont formé le pourvoi en recours [recurentilor], la solution adoptée ne porte pas atteinte à la liberté de pratiquer une religion, car, comme elle le soutient dans ses propres observations, « la pratique d’une religion est une question intime » qui consiste principalement en un « investissement spirituel fort et personnel ». En même temps, le législateur a prévu l’hypothèse dans laquelle les lieux de culte ne pouvaient pas être restitués en nature ; ainsi, l’article 4 du décret-loi no 126/1990 prévoit que « dans les communes où le nombre de lieux de culte est insuffisant par rapport au nombre des fidèles, l’État apportera son soutien à la construction de nouvelles églises ; à cette fin, il mettra à la disposition de ces cultes le terrain requis si le culte n’en dispose pas et il contribuera à la collecte des fonds nécessaires ».

De cette manière, l’État, en tant qu’autorité compétente pour contrôler la vie sociale, va garantir que les conditions nécessaires à la manifestation des croyances religieuses sont réunies sans que (...) l’exercice de ce droit soit limité par le nombre des fidèles (limitation d’ordre matériel). Il s’agit ici pour l’État de remplir une obligation positive afin de contribuer à la réalisation de l’exercice effectif du droit à la liberté de conscience et de religion (...) »

35. Dans une opinion séparée, l’un des juges de la formation de jugement relevait que le renvoi au droit commun par le législateur ne pouvait pas être réduit à une dimension purement procédurale, mais qu’il devait être interprété comme l’application d’une règle de droit matériel. Se référant aux règles concernant l’élaboration des actes normatifs, le juge indiquait que, si le législateur avait voulu donner une signification spécifique à la ladite référence au « droit commun », il aurait dû le faire expressément. Il citait également l’article 31 § 3 de la loi no 489/2006 relative à la liberté religieuse et au régime général des cultes, selon lequel les différends patrimoniaux entre des cultes se régleraient par la voie amiable et, le cas échéant, sur le fondement du droit commun. Après avoir indiqué que l’action en revendication impliquait la comparaison des titres de propriété, le juge conclut que l’Église orthodoxe n’en possédait pas sur le lieu de culte en litige.

D. Autres informations concernant l’affaire

36. D’après une note fournie par l’institut national de statistique, il y avait en 2002 à Lupeni 501 fidèles gréco-catholiques et 24 815 fidèles orthodoxes. À ce jour, la paroisse requérante organise le service religieux à un horaire préétabli dans des locaux que lui loue l’Église romano-catholique de Lupeni.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Les dispositions légales concernant les lieux de culte

37. Le droit interne pertinent en l’espèce, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, à savoir les articles pertinents de la Constitution et du décret no 177/1948 relatif au régime général des cultes religieux, sont décrits dans l’affaire Paroisse gréco-catholique Sâmbata Bihor c. Roumanie (no 48107/99, §§ 35-37, 12 janvier 2010).

38. Le décret-loi no 126/1990 relatif à certaines mesures concernant l’Église roumaine unie à Rome (Église gréco-catholique) a été publié au Journal officiel no 54 du 25 avril 1990. Il est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

Article 1

« À la suite de l’abrogation du décret no 358/1948 par le décret-loi no 9 du 31 décembre 1989, l’Église roumaine unie à Rome est reconnue officiellement (...) »

Article 3

« La situation juridique des édifices religieux et des maisons paroissiales qui ont appartenu à l’Église uniate et que l’Église orthodoxe roumaine s’est appropriés sera fixée par une commission mixte, formée des représentants du clergé de chacun des deux cultes religieux, qui prendra en compte la volonté des fidèles des communautés détentrices de ces biens (dorinţa credincioşilor din comunităţile care deţin aceste bunuri). »

Article 4

« Dans les communes où le nombre de lieux de culte est insuffisant par rapport au nombre des fidèles, l’État apportera son soutien à la construction de nouvelles églises ; à cette fin, il mettra à la disposition de ces cultes le terrain requis si le culte n’en dispose pas et il contribuera à la collecte des fonds nécessaires. »

39. L’article 3 du décret-loi susmentionné a été complété par l’ordonnance du gouvernement no 64/2004 du 13 août 2004 (« l’ordonnance no 64/2004 »), entré en vigueur le 21 août 2004, qui a ajouté à cette disposition un deuxième paragraphe, ainsi libellé :

« Au cas où les représentants cléricaux des deux cultes religieux ne trouvent pas un accord au sein de la commission mixte prévue à l’article 1er, la partie ayant un intérêt à agir peut introduire une action en justice fondée sur le droit commun. »

40. La loi no 182/2005 du 13 juin 2005 (« la loi no 182/2005 »), entrée en vigueur le 17 juin 2005, a modifié le deuxième alinéa de l’article 3 introduit par l’ordonnance no 64/2004 et en a ajouté deux autres, ainsi rédigés :

« La partie ayant un intérêt à agir convoquera l’autre partie, en lui communiquant par écrit ses prétentions et en lui fournissant les preuves sur lesquelles elle fonde ses prétentions. La convocation sera faite par lettre recommandée avec accusé de réception ou par la remise des lettres en mains propres. La date de la convocation de la commission mixte ne sera fixée que trente jours après la date de réception des documents. La commission sera constituée de trois représentants de chaque culte. Si la commission ne se réunit pas au terme du délai établi pour sa convocation ou si elle ne parvient pas à un résultat ou si la décision prise par la commission mécontente l’une des parties, la partie ayant un intérêt à agir peut introduire une action en justice fondée sur le droit commun.

L’action sera examinée par les tribunaux.

L’action sera exemptée de la taxe judiciaire. »

41. L’ordonnance d’urgence du gouvernement no 94/2000 relative à la restitution des immeubles ayant appartenu aux cultes religieux de Roumanie, telle que modifiée le 25 juillet 2005 et publiée au Journal officiel le 1er septembre 2005, énonce ce qui suit :

Article 1

« (2) Le régime juridique des immeubles qui constituaient des lieux de culte sera réglementé par une loi spéciale. »

42. La loi no 165/2013 relative à la finalisation du processus de restitution, en nature ou par équivalent, des biens immeubles transférés abusivement dans le patrimoine de l’État sous le régime communiste en Roumanie ne s’applique pas aux demandes de restitution formulées par la communauté gréco-catholique concernant les lieux de culte.

B. La disposition pertinente en l’espèce du code civil portant sur le droit de propriété

43. L’article 480 du code civil est ainsi libellé :

« La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois. »

44. La doctrine et la jurisprudence définissent l’action en revendication, qui n’est pas réglementée par la loi, comme l’action par laquelle le propriétaire d’un bien, qui en a perdu la possession au profit d’un tiers, cherche à faire rétablir son droit de propriété sur le bien en question et à recouvrer sa possession auprès du tiers.

45. Les juridictions roumaines ont estimé qu’il suffisait au cours d’une procédure en revendication que le tribunal saisi examine les deux titres de propriété, celui du demandeur et celui du défendeur, pour en déclarer un comme primant (este mai caracterizat) sur l’autre (voir, par exemple, l’arrêt no 2543/1996 de la cour d’appel de Ploieşti, publié dans M. Voicu, M. Popoacă, Dreptul de proprietate şi alte drepturi reale. Tratat de jurisprudenţă 1991 – 2002 (Le droit de propriété et les autres droits réels. Traité de jurisprudence), Ed. Lumina Lex, Bucarest, 2002, p. 358 ; voir aussi l’arrêt no 1554/2000 de la cour d’appel de Cluj) en raison par exemple de son ancienneté ou de son inscription antérieure dans un registre foncier.

C. La jurisprudence interne concernant les actions engagées par différentes paroisses gréco-catholiques aux fins de la restitution d’églises

46. Les parties ont versé au dossier de l’affaire des décisions de justice relatives à des actions engagées par des Églises gréco-catholiques contre des Églises orthodoxes aux fins de la restitution de lieux de culte. Ces actions étaient fondées majoritairement sur l’article 480 du code civil et visaient la rectification des livres fonciers sur lesquels les Églises orthodoxes avaient fait inscrire leur droit de propriété sur les biens en litige.

1. Les décisions rendues par la Haute Cour de cassation et de justice

47. La Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») examine les actions en tant que dernier degré de juridiction sur pourvoi en recours des parties.

48. Dans une série de décisions versées au dossier (voir, par exemple, les arrêts de la Haute Cour des 5 février 2013, mars 2013, 19 mars 2013, 16 mai 2013 et 2 octobre 2013, des 16 mai 2012 et 12 décembre 2012, et des 26 janvier 2011 et 24 novembre 2011 ), la Haute Cour a jugé que, bien que la partie gréco-catholique eût saisi les tribunaux d’une action en revendication de droit commun, elle ne pouvait pas faire abstraction du critère de la volonté des fidèles des communautés détentrices de ces biens, établi par la loi spéciale, à savoir le décret-loi no 126/1990. Dans une autre série d’affaires, la Haute Cour a cassé les décisions des juridictions inférieures en renvoyant les affaires pour réexamen, au motif que le critère fixé par la loi spéciale n’avait pas été appliqué (voir, par exemple, les arrêts du 24 mars 2009, du 9 novembre 2010, des 14 novembre 2012 et 11 décembre 2012, et du 7 février 2013).

49. Dans un arrêt du 20 juin 2013, la Haute Cour a admis l’action en revendication dans un contexte où deux églises existaient dans la localité et où, bien que seulement deux des quatre-vingt-dix habitants de la commune fussent gréco-catholiques, l’église revendiquée n’était pas utilisée par le culte orthodoxe.

50. Dans certains arrêts, la Haute Cour a tranché l’action en revendication en comparant les titres des parties en litige inscrits sur le livre foncier (voir par exemple, les arrêts du 10 mars 2011, et des 16 mai 2012, 2 octobre 2012 et 21 novembre 2012, et du 1er octobre 2013). Dans un arrêt définitif du 25 novembre 2008, la Haute Cour a renvoyé une affaire pour jugement aux juridictions inférieures après avoir noté que l’Église orthodoxe était inscrite dans le livre foncier et que le critère de la volonté des fidèles n’était applicable que pendant la procédure préalable devant les commissions mixtes.

2. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

51. La Cour constitutionnelle a été saisie d’une exception d’inconstitutionnalité de l’article 3, premier alinéa, in fine du décret-loi no 126/1990, article selon lequel la situation juridique des lieux de culte sera fixée en prenant en compte « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens ». Selon l’auteur de l’exception d’inconstitutionnalité, ce texte de loi contrevenait aux dispositions de la Constitution protégeant la liberté de conscience et le droit de propriété. Dans sa décision no 23 du 27 avril 1993, la Cour constitutionnelle a rejeté cette exception et a jugé que ce critère, appliqué par les commissions mixtes, était conforme à la Constitution. À la suite d’une nouvelle saisine, elle a confirmé sa position par une décision no 49 du 19 mai 1995.

52. Par une décision du 27 septembre 2012, la Cour constitutionnelle a confirmé sa jurisprudence antérieure et a rejeté l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 3 susmentionné, statuant comme suit :

« (...) la démocratie implique l’application du principe de la majorité, or la dernière partie de l’article 3, « qui prendra en compte la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens », énonce ce principe en instituant un critère social, celui du choix de la majorité des paroissiens.

La Cour [constitutionnelle] a jugé que la liberté des cultes religieux impliquait non seulement leur autonomie à l’égard de l’État (...) mais également la liberté de croyance religieuse (...). Lorsque, dans la même communauté religieuse, il y a des fidèles orthodoxes et gréco-catholiques, se servir du critère social de la majorité des fidèles pour fixer le sort du lieu de culte et des maisons paroissiales est conforme au principe démocratique de détermination de l’utilisation religieuse de ce bien, dès lors que c’est la volonté de la majorité de ceux qui jouissent de cette utilisation. Si cela n’était pas le cas, on aboutirait, de manière injustifiée, à ce que les fidèles orthodoxes majoritaires, à défaut de passer au culte gréco-catholique, fussent empêchés, par une mesure contraire à leur volonté, de pratiquer leur religion.

Or cela serait contraire à l’article 57 de la Constitution, selon lequel les citoyens doivent exercer leurs droits et libertés avec bonne foi, sans porter atteinte aux droits et libertés d’autrui. Si, dans l’hypothèse de la reconstruction du droit de propriété, abstraction était faite du choix de la majorité, cela porterait atteinte à la bonne foi et au respect des droits d’autrui (...)

Une telle mesure porterait atteinte à l’article 29 de la Constitution qui consacre la liberté des cultes religieux dans ses deux acceptions – culte, en tant qu’association et organisation religieuses, et pratique d’un rite. De même, elle porterait atteinte aux dispositions constitutionnelles régissant les rapports entre les religions (...), selon lesquelles « la liberté de conscience est garantie ; elle doit être exercée dans un esprit de tolérance et de respect réciproque », ainsi qu’à l’alinéa 4 de l’article 29, [selon lequel] (...) « dans les relations entre les cultes sont interdits toutes formes, tous moyens, tous actes et toutes actions de discorde religieuse ». En effet, dans de tels cas, la majorité se verrait imposer la volonté d’une minorité. »

D. Le recours dans l’intérêt de la loi

53. Selon l’article 329 du code de procédure civile et l’article 514 du nouveau code de procédure civile en vigueur depuis février 2013, le procureur général du parquet près la Haute Cour, d’office ou sur demande du ministre de la Justice, ainsi que les collèges directeurs des cours d’appel, et, plus récemment, le collège directeur de la Haute Cour et l’ombudsman ont le droit de demander à la Haute Cour de se prononcer sur des questions de droit qui ont été tranchées de manière différente par les tribunaux, dans le souci d’assurer une interprétation et une application uniformes de la loi sur l’ensemble du territoire. Les décisions sont rendues dans l’intérêt de la loi, elles n’ont pas d’effet sur les décisions judiciaires examinées ni sur la situation des parties dans la procédure. Les tribunaux doivent se plier à la solution adoptée par la Haute Cour.

III. LES RAPPORTS DU CONSEIL DE L’EUROPE RELATIFS À LA ROUMANIE

54. Le troisième rapport sur la Roumanie de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (« l’ECRI »), adopté le 24 juin 2005 et publié le 21 février 2006, mentionne ce qui suit :

« Législation sur les cultes religieux

(...)

15. L’ECRI note avec inquiétude les informations selon lesquelles, bien qu’elle n’ait pas le statut de religion d’État, l’Église orthodoxe, qui est la religion majoritaire en Roumanie, occuperait une place dominante dans la société roumaine. Ainsi, les autres religions estiment que cette église exerce une trop grande influence sur la politique des autorités. Elle recevrait également des avantages que les autres religions n’ont pas, tels que des chapelles dans les centres pénitentiaires et carcéraux. Cette église aurait en outre une influence importante sur les décisions du gouvernement concernant des questions telles que l’attribution du statut de culte religieux à des associations religieuses. L’ECRI note également qu’étant donné le nombre et la diversité des cultes officiellement reconnus et pratiqués en Roumanie, le dialogue interreligieux entre l’Église orthodoxe et les autres dénominations religieuses pourrait être amélioré. En particulier, le dialogue entre cette Église et l’Église gréco-catholique ne serait pas près d’aboutir, en raison principalement de la manière dont les autorités gèrent la question de la restitution des biens confisqués pendant la période communiste.

16. L’ECRI note également avec inquiétude les informations selon lesquelles des membres de l’Église orthodoxe se livraient à des actes de harcèlement en tout genre envers des adeptes de l’Église gréco-catholique non sans une certaine complaisance des autorités.

(...)

45. L’ECRI note avec inquiétude que la restitution des églises ayant appartenu à l’Église gréco-catholique est devenue une source de tensions entre celle-ci et l’Église orthodoxe. Bien qu’il y ait eu des tentatives d’aboutir à un accord à l’amiable, l’Église orthodoxe refuse de rendre ces églises à l’Église gréco-catholique, et les autorités ne semblent pas agir pour faire appliquer la loi. L’ECRI espère donc que les autorités s’engageront plus activement dans la résolution des questions relatives à la restitution des églises gréco-catholiques afin que la loi soit appliquée équitablement, dans un esprit de tolérance et de respect mutuel (...) »

55. Le quatrième rapport sur la Roumanie de l’ECRI, adopté le 19 mars 2014 et publié le 3 juin 2014 mentionne ce qui suit :

« 22. Dans son troisième rapport, l’ECRI recommandait aux autorités roumaines de faire appliquer la loi sur la restitution des biens, et d’inciter les confessions religieuses, particulièrement l’Église orthodoxe et les minorités religieuses, à ouvrir un dialogue constructif sur cette question. Elle leur recommandait aussi d’établir des mécanismes de médiation, de tenir des colloques et des séminaires interreligieux, et de mener des campagnes d’information visant à promouvoir l’idée d’une société multiconfessionnelle.

23. Les autorités ont confirmé que le contentieux sur cette question des biens a suscité des tensions entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique grecque. D’une manière générale, l’Église orthodoxe n’a guère montré d’empressement à restituer les églises catholiques grecques reçues en 1948 par l’État, et s’est même fréquemment refusée à le faire.

24. Une commission mixte formée de représentants du clergé des deux Églises a été créée en 1999 pour régler ces questions de propriété ; son travail ne semble toutefois pas avoir donné de résultats notables. L’Autorité nationale pour la restitution des biens a fait savoir à l’ECRI que sur 6 723 demandes de restitution, 1 110 ont été instruites depuis 2005. (...). Un conseil consultatif des églises et cultes a été créé au mois d’avril 2011 pour promouvoir la solidarité et la coopération, et prévenir les conflits entre les religions de Roumanie ; il se réunit jusqu’à deux fois par an. L’ECRI se félicite des efforts évoqués ci-dessus, et invite les autorités à jouer un rôle de chef de file dans le règlement de litiges liés, il faut le rappeler, à la confiscation de biens par l’État. »

56. La réponse du gouvernement roumain au quatrième rapport de l’ECRI est ainsi rédigée dans sa partie pertinente pour l’affaire (traduction du greffe de la Cour) :

« En ce qui concerne les paragraphes 22 à 25, le secrétariat d’État aux cultes a constamment cherché à recourir à la médiation pour apaiser les tensions entre l’Église orthodoxe roumaine et l’Église roumaine unie à Rome (gréco-catholique) et a joué un rôle actif dans la recherche de solutions satisfaisantes pour les deux parties dans leur litige patrimonial ; le secrétariat d’État aux affaires religieuses finance les projets de construction de nouveaux lieux de culte dans les zones où l’une des parties devient irrévocablement propriétaire du lieu de culte précédemment en litige.

En outre, l’Autorité nationale pour la restitution (...) des biens a poursuivi avec les représentants des deux Églises les réunions au cours desquelles ont été examinés divers aspects concernant le stade de règlement des demandes déposées devant la commission spéciale de restitution et les difficultés rencontrées dans le processus de restitution.

Durant ces réunions, la situation des biens appartenant à l’Église gréco-catholique et actuellement détenus par l’Église orthodoxe roumaine a également été examinée, le dialogue entre les deux Églises en vue d’un règlement amiable du contentieux patrimonial étant encouragé.

Pour ce qui est du stade actuel de règlement des demandes de restitution déposées par l’Église gréco-catholique devant la commission spéciale, il y a lieu de souligner que 1 100 demandes sur 6 723 ont été réglées (16,51 %).

Ces demandes ont été réglées de la façon suivante :

Restitution en nature : 139

Proposition d’indemnisation : 52

Rejet : 66

Autres solutions (réorientation, renonciation) : 853 »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

57. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent d’une méconnaissance de leur droit d’accès à un tribunal. Ils reprochent à cet égard aux juridictions nationales d’avoir tranché leur litige non pas en appliquant les règles du droit commun, mais en leur imposant le respect d’un critère énoncé par la loi spéciale relativement à la procédure amiable (à savoir le souhait des fidèles de la communauté détentrice du bien) alors que, selon les requérants, l’application de ce critère n’était pas prévisible. La Cour a déjà estimé que, lorsque de telles questions se posaient les garanties de l’article 13 se trouvaient absorbées par les garanties plus strictes de l’article 6 (Ravon et autres c. France, no 18497/03, § 27, 21 février 2008). Dès lors, il y a lieu d’examiner les allégations des requérants uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.

Les requérants se plaignent également de la durée de la procédure.

58. L’article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

59. La Cour note à titre liminaire que l’action des requérants relevait de l’article 6 § 1 de la Convention dans sa branche civile dès lors qu’elle avait pour but la reconnaissance de leur droit de propriété sur un immeuble, droit de caractère patrimonial (Paroisse gréco-catholique Sâmbata Bihor, précité, § 65).

60. Constatant ensuite que ces griefs des requérants ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Sur le droit d’accès à un tribunal

a) Les arguments des parties

i. Les requérants

61. Les requérants estiment que leur droit d’accès à un tribunal n’était qu’illusoire, dans la mesure où, selon eux, les tribunaux n’ont pas eu plénitude de juridiction pour trancher le litige concernant le lieu de culte. Ils précisent à cet égard que, en faisant appliquer le critère de la loi spéciale, à savoir la volonté des fidèles de la communauté détentrice du bien – la partie défenderesse dans le litige –, les juridictions ont vidé de son contenu leur droit d’accès à un tribunal.

62. Dans leurs observations complémentaires, les requérants indiquent que, dans la mesure où la majorité serait toujours orthodoxe, il était difficile d’obtenir la restitution du lieu de culte. Ils considèrent que les juridictions internes saisies d’une action en revendication devaient appliquer le droit commun et procéder à une comparaison des titres de propriété des parties, et que la prise en considération de la contribution des deux cultes à la construction de l’édifice ou l’usage de ce dernier ne constituaient pas des critères pertinents dans l’établissement des titres de propriété. Ils soutiennent enfin que l’absence, selon eux, de disposition légale claire et prévisible quant à la manière dont le critère de la volonté de la majorité des fidèles devait se combiner avec le droit commun a eu pour effet de rendre leur droit d’accès à un tribunal ineffectif.

ii. Le Gouvernement

63. Le Gouvernement ne nie pas l’existence d’une limitation dans le droit d’accès des requérants à un tribunal, mais il soutient que cette limitation était justifiée et proportionnée. Il expose qu’il ne faut pas perdre de vue le caractère spécial de l’affaire et la qualité des parties, des communautés religieuses, qui sont, selon lui, guidées par des principes de tolérance et d’entente interconfessionnelles. Il estime que l’intervention de l’État dans la réglementation de l’usage des biens religieux doit être minimale dès lors qu’elle doit respecter le principe de neutralité envers les communautés religieuses. Le Gouvernement relève ensuite que les tribunaux internes ont rejeté l’action des requérants non pas comme irrecevable mais comme mal fondée, après avoir, selon lui, procédé à une analyse comparative des titres de propriété et donné la préférence à celui présenté par la partie défenderesse.

64. Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement revient sur les arguments tenant aux circonstances de l’affaire et ayant conduit tant la juridiction d’appel que celle de recours à rejeter l’action des requérants. Il ajoute que ces juridictions ont recherché dans l’histoire de l’édification de l’église des éléments à prendre en considération pour déterminer quelle était la volonté des fidèles.

b) L’appréciation de la Cour

i. Les principes applicables

65. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention garantit à chacun le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect. Ce droit n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, car il commande de par sa nature même une réglementation de l’État. Toutefois, même si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation en la matière, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 230, CEDH 2012). Les limitations imposées ne doivent en aucun cas restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que le droit d’accès à la justice s’en trouve atteint dans sa substance même (Stagno c. Belgique, no 1062/07, § 25, 7 juillet 2009, et Stanev précité, § 230).

66. La Cour rappelle ensuite qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes : c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII, et Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil 1998-I). Son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation.

ii. L’application des principes en l’espèce

67. La Cour note que la présente affaire s’inscrit dans le contexte spécial de la restitution des lieux de culte ayant appartenu à l’Église gréco‑catholique qui a été supprimée par le régime communiste. Elle a conscience que le problème de restitution de ces édifices de culte se pose à une échelle relativement importante et qu’il constitue une question socialement sensible. À ce sujet, elle rappelle qu’elle a déjà jugé que, même dans un tel contexte, une exclusion générale de la compétence des tribunaux des litiges portant sur les lieux de culte contrariait en soi le droit d’accès à un tribunal, et ce d’autant plus que les systèmes de résolution de conflits préalables mis en place par le décret-loi no 126/1990 n’étaient pas suffisamment réglementés et que le contrôle juridictionnel sur la décision de la commission mixte n’était pas adéquat (Paroisse gréco-catholique Sâmbata Bihor, précité, §§ 66-75).

68. En l’espèce, la Cour constate que l’article 3 du décret-loi no 126/1990, tel que modifié successivement par l’ordonnance no 64/2004 et par la loi no 182/2005, offrait aux requérants la possibilité d’agir en justice pour établir la situation juridique du lieu de culte (voir, a contrario, Tserkva Sela Sossoulivka c. Ukraine, no 37878/02, § 51, 28 février 2008). De même, l’article 3 ainsi modifié prévoyait les délais à respecter et la procédure à suivre devant la commission mixte, de sorte que cette étape préalable n’a pas constitué un obstacle à la saisine d’un tribunal (voir, a contrario, Paroisse gréco-catholique Sâmbata Bihor, précité, § 71).

69. La Cour observe ensuite que les requérants ont fait usage de la voie ouverte par l’article 3 du décret-loi no 126/1990 modifié et qu’ils ont assigné l’Église orthodoxe détentrice du bien devant le tribunal départemental par le biais d’une action en revendication du lieu de culte litigieux. Cela étant, les requérants soutiennent que le critère fixé par la loi spéciale, selon lequel la situation juridique des lieux du culte s’établit en prenant en compte « la volonté des fidèles des communautés détentrices de ces biens », constitue une limitation à leur droit d’accès à un tribunal au motif qu’il fait prévaloir la volonté de la partie défenderesse dans la procédure.

70. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas d’apprécier en soi le système législatif mis en place par le législateur roumain pour régler la situation juridique des lieux de culte ayant appartenu aux églises gréco‑catholiques et transférés pendant le régime totalitaire dans le patrimoine de l’Église orthodoxe. Il ne lui appartient pas non plus de trancher quant aux règles de droit applicables en général dans une action en revendication portant sur un lieu de culte. La Cour se bornera donc, autant que possible, à examiner les problèmes concrets dont elle se trouve saisie (Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 34, série A no 333‑B). Si elle n’a pas qualité pour substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales quant à l’application du droit interne, il lui appartient de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention. À cette fin, elle doit néanmoins en l’espèce se pencher sur le critère de la « volonté des fidèles des communautés détentrices de ces biens » pour décider si l’application de celui-ci a porté atteinte au droit d’accès des requérants à un tribunal.

71. À cet égard, la Cour constate que les juridictions internes ne se sont pas déclarées incompétentes pour connaître de l’affaire mais qu’elles ont examiné celle-ci au fond avant de la déclarer manifestement mal fondée. Elles ont exposé qu’elles entendaient appliquer le critère de la loi spéciale en recourant à des éléments de fait concrets. Ainsi, elles ont tenu compte du contexte historique, des contributions financières des différentes parties à la construction de l’église et de la manière dont cet édifice a été utilisé (paragraphes 28 à 30 ci-dessus). Elles ont procédé à un examen dans le temps du critère de la volonté des fidèles des communautés détentrices du bien, et elles ont pris en compte des éléments historiques et sociaux et non pas uniquement des éléments statistiques. Elles ont examiné tous les moyens des requérants au fond, point par point, sans jamais se voir contraintes de décliner leur compétence pour y répondre ou pour rechercher les faits pertinents. Elles ont rendu des arrêts soigneusement motivés et les arguments des requérants qui étaient importants pour l’issue de l’affaire ont fait l’objet d’un examen approfondi. La Cour constate ainsi que les juridictions internes ont disposé en l’espèce de la plénitude de juridiction pour appliquer et interpréter la loi interne, sans avoir été tenues par le refus formulé par la partie orthodoxe dans la procédure amiable préalable. En outre, le contrôle auquel elles ont procédé était d’une étendue suffisante pour satisfaire aux exigences de l’article 6 § 1 (voir, mutatis mutandis, Potocka et autres c. Pologne, no 33776/96, §§ 56-59, CEDH 2001‑X, et, a contrario, Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas, 17 décembre 1996, § 52, Recueil 1996‑VI).

72. La Cour rappelle que l’effectivité du droit d’accès à un tribunal demande qu’un individu jouisse d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits (Bellet, précité, § 36). Elle constate qu’en l’espèce les requérants ont bénéficié d’un examen approfondi de leur action par un juge. Le seul fait qu’ils estiment injuste le critère prévu par la loi spéciale, à savoir « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens », n’est pas suffisant pour rendre ineffectif leur droit d’accès à un tribunal.

73. Eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, la Cour estime que les requérants ont pu exercer leur droit d’accès à un tribunal. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

2. Sur la méconnaissance alléguée du principe de la sécurité juridique

a) Les arguments des parties

i. Les requérants

74. Les requérants considèrent que l’application du critère prévu par la loi spéciale dans une action en revendication de droit commun n’était pas prévisible. Ils arguent à cet égard que la jurisprudence de la Haute Cour à ce sujet a été inconstante dans les années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi no 182/2005 et que ce n’est que dans les années 2012 et 2013 que la jurisprudence de la haute juridiction a, selon eux, atteint une quasi‑constance dans l’application du critère litigieux. Ils dénoncent ainsi la divergence de jurisprudence qui existerait à la fois au sein de la plus haute juridiction dans des décisions qui sont, d’après eux, rendues parfois par les mêmes juges, et au niveau des juridictions inférieures.

75. Ils indiquent que, bien que vingt-quatre ans se soient écoulés depuis l’entrée en vigueur du décret-loi no 126/1990, le droit interne applicable aux litiges portant sur les lieux de culte n’est toujours pas clair, surtout quant à la manière dont la loi spéciale et le code civil devraient se combiner. Selon eux, il ressort clairement de la jurisprudence des juridictions internes que celles-ci prenaient en compte et interprétaient différents éléments dans le seul but de désavantager la partie gréco-catholique. Les requérants indiquent enfin que l’ordonnance du gouvernement no 94/2000 prévoyait que le régime juridique des lieux de culte serait réglementé par une loi spéciale. Or, d’après eux, à ce jour, aucune loi n’a été adoptée à ce sujet.

ii. Le Gouvernement

76. Le Gouvernement estime que l’application dans le cadre de l’action en revendication du critère de la volonté des fidèles était prévisible et que la norme spéciale devait prévaloir sur la norme générale. À cet égard, il indique que le décret-loi no 126/1990 énonçait que ce critère devait être pris en considération dans la restitution des lieux de culte en même temps qu’il reconnaissait officiellement le culte gréco-catholique. Selon lui, ce décret‑loi permettait ainsi aux anciens paroissiens qui le souhaitaient de revenir au culte gréco-catholique auquel ils avaient été contraints de renoncer en 1948 et de trouver une solution pour la propriété du lieu de culte dans la perspective de la restructuration de la communauté locale.

77. Disant se référer aux décisions rendues par la Cour constitutionnelle (paragraphes 51 et 51 ci-dessus), le Gouvernement indique que ce critère a été jugé conforme à la Constitution et en accord avec la réalité sociale. Il expose que les amendements apportés par la loi no 182/2005 portaient sur la reconnaissance de l’accès à la justice sans introduire de perspective différente quant aux relations patrimoniales entre les cultes. Il ajoute qu’il ressort de la pratique des juridictions internes que le critère de la volonté des fidèles était pris en compte dans la décision de restitution d’un lieu de culte. Selon le Gouvernement, l’application de ce critère uniquement dans la procédure préalable et son ignorance dans la procédure judiciaire aboutiraient à un anéantissement de la volonté de la communauté qui utilise le lieu de culte et qui a contribué à sa construction, et ce d’autant plus que la procédure préalable ne serait pas obligatoire.

78. Le Gouvernement indique enfin que les juridictions n’appliquent pas le critère concernant la volonté des fidèles uniquement en fonction du nombre des fidèles d’une communauté, mais qu’elles sont appelées à établir leur volonté après avoir examiné une multitude de facteurs sociaux, historiques et juridiques.

b) L’appréciation de la Cour

i. Les principes applicables

79. Comme la Cour l’a indiqué plus haut, c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Dès lors, sauf dans les cas d’un arbitraire évident, elle n’est pas compétente pour mettre en cause l’interprétation de la législation interne par ces juridictions (voir, par exemple, Ādamsons c. Lettonie, no 3669/03, § 118, 24 juin 2008). De même, il ne lui appartient pas, en principe, de comparer les diverses décisions rendues, même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes, par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle (Gregório de Andrade c. Portugal, no 41537/02, § 36, 14 novembre 2006, et Ādamsons, précité, § 118).

80. La Cour souligne ensuite avoir déjà reconnu que l’éventualité de divergences de jurisprudence est inhérente par nature à tout système judiciaire reposant sur un ensemble de juridictions du fond ayant autorité sur leur ressort territorial. De telles divergences peuvent également apparaître au sein d’une même juridiction. Cela en soi ne saurait être jugé contraire à la Convention (Santos Pinto c. Portugal, no 39005/04, § 41, 20 mai 2008).

81. Saisie à maintes reprises déjà de litiges mettant en jeu la question de divergences de jurisprudence (voir, notamment, Beian c. Roumanie (no 1), no 30658/05, CEDH 2007‑XIII, et Iordan Iordanov et autres c. Bulgarie, no 23530/02, 2 juillet 2009), la Cour s’est prononcée sur le point de savoir dans quelles conditions des contradictions dans la jurisprudence d’une juridiction nationale suprême portaient atteinte aux exigences du procès équitable prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Ce faisant, elle a précisé quels étaient les critères qui guidaient son appréciation, lesquels consistent à rechercher s’il existe « des divergences profondes et persistantes » dans la jurisprudence d’une juridiction suprême, si la législation interne prévoit des mécanismes permettant de supprimer ces incohérences, si ces mécanismes ont été appliqués et quels ont été, le cas échéant, les effets de leur application (Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 53, 20 octobre 2011).

ii. L’application des principes en l’espèce

82. La Cour note que les requérants ont saisi les juridictions internes d’une action en revendication fondée sur le droit commun. Contrairement à leur attente, la cour d’appel et la Haute Cour statuant dans l’affaire ont estimé qu’elles ne pouvaient trancher l’affaire comme une action en revendication de droit commun et elles ont privilégié l’application d’une loi spéciale, à savoir le décret-loi no 126/1990. Les requérants y voient une absence de prévisibilité de l’application du critère de la loi spéciale dans le cadre d’une action en revendication fondée sur le droit commun et, dès lors, un manquement au principe de la sécurité juridique.

83. La Cour note que l’ordonnance du gouvernement no 64/2004 du 13 août 2004 (« l’ordonnance no 64/2004 ») prévoit que, au cas où les représentants cléricaux des deux cultes religieux ne trouvent pas un accord au sein de la commission mixte, la partie ayant un intérêt à agir peut introduire une action en justice fondée sur le droit commun.

84. Pour définir la situation qui est celle des requérants, la notion « en vertu du droit commun » introduite par l’ordonnance no 64/2004 et ses corrélations avec les dispositions du décret-loi no 126/1990 semblent essentielles. En effet, en faisant ainsi référence au droit commun, ni cette ordonnance ni une autre loi ultérieure n’ont apporté des précisions supplémentaires pour son interprétation. En général, le « droit commun » en matière de protection du droit de propriété est représenté par l’action en revendication régie par l’article 480 du code civil tel qu’interprété par la doctrine et la jurisprudence (paragraphes 43 à

45 ci-dessus).

85. La Cour constate également que, en juillet 2005, l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 94/2000 (« l’OUG no 94/2000 ») portant sur la restitution des immeubles ayant appartenu aux cultes religieux de Roumanie a été modifiée pour énoncer que « le régime juridique des immeubles qui constituaient des lieux de culte sera[it] réglementé par une loi spéciale. » Or, à ce jour, aucune loi n’a été adoptée à ce sujet. Par ailleurs, la modification de l’OUG no 94/2000 ne renvoie pas aux dispositions du décret-loi no 126/1990 qui mentionnait le critère de la volonté de la majorité des fidèles, décret-loi qui existait déjà lors de l’adoption de la modification en question.

86. Il en ressort que, dans les procédures judiciaires telles que l’action en revendication en cause, les juridictions ont été appelées à trancher les litiges alors qu’elles ne disposaient pas d’un cadre législatif suffisamment clair et prévisible. Cela a eu pour conséquence que différents tribunaux nationaux sont parvenus à des conclusions juridiques différentes sur la même question de droit qui avait été portée devant eux. En effet, les juridictions internes, y compris la Haute Cour, saisies d’une action en revendication fondée sur l’article 480 du code civil ont interprété cette notion de deux manières : certaines juridictions ont considéré qu’elles devaient examiner l’action en revendication de manière classique en comparant les titres de propriété (paragraphes 49 ci-dessus) ; d’autres, comme en l’espèce, ont jugé qu’elles devaient trancher l’action en revendication en appliquant le critère établi par le décret-loi no 126/1990 (paragraphe 48 ci-dessus).

87. La Cour rappelle que l’élaboration d’un consensus jurisprudentiel est un processus qui peut s’inscrire dans la durée : des phases de divergence de jurisprudence peuvent dès lors être tolérées sans qu’il y ait pour autant remise en cause de la sécurité juridique (Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, § 83). En effet, la jurisprudence n’étant pas immuable mais au contraire évolutive par essence, le principe d’une bonne administration de la justice ne saurait s’entendre comme imposant une exigence stricte de constance jurisprudentielle (Unédic c. France, no 20153/04, § 73, 18 décembre 2008, et Atanasovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 36815/03, § 38, 14 janvier 2010).

88. Cette divergence peut en outre être tolérée dès lors que l’ordre juridique interne offre la capacité de la résorber. En l’espèce, bien que le mécanisme de recours dans l’intérêt de la loi n’ait pas été utilisé (paragraphe 52 ci-dessus), les plus hautes juridictions du pays, à savoir la Haute Cour et la Cour constitutionnelle, ont réglé ces divergences en alignant leurs positions sur la question de l’applicabilité du critère de la loi spéciale. En effet, en 2012 et en 2013, la jurisprudence de la Haute Cour marquait une tendance donnant la préférence au critère prévu par la loi spéciale, à savoir la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens. De même, la Cour constitutionnelle a jugé avec constance que ce critère était conforme à la Constitution (paragraphes 50 et 51 ci-dessus).

89. La Cour rappelle de plus que l’unification de la jurisprudence qui passe par la mise en place dans le système judiciaire de mécanismes censés assurer la cohérence de la pratique nécessite un certain temps (Schwarzkopf et Taussik c. République tchèque (déc.), no 42162/02, 2 décembre 2008). Dès lors, en l’espèce, le fait que la décision litigieuse a été rendue avant l’unification de la jurisprudence en la matière ne saurait à lui seul enfreindre les principes de prévisibilité et de sécurité juridique dans la mesure où le système judiciaire interne a été apte à mettre fin à cette incertitude par ses propres moyens (voir, mutatis mutandis, Albu et autres c. Roumanie, § 42, 10 mai 2012). Par ailleurs, la solution adoptée dans l’affaire des requérants était similaire à la décision adoptée un an plus tard par la Cour constitutionnelle et à la jurisprudence quasi unanime de la Haute Cour (Usnul c. République tchèque, no 33945/06, 29 mars 2011).

90. La Cour note que les pièces produites par les parties ne permettent pas de savoir pendant combien de temps cette incertitude juridique a eu cours au niveau interne. Cela étant, s’il est indéniable que l’unification de leur jurisprudence par les juridictions internes a nécessité plusieurs années, la Cour prend en compte la complexité de la question que soulèvent la présente affaire et son impact social. En outre, il ne s’agissait pas en l’espèce de clarifier l’interprétation divergente d’une disposition légale, mais de décider par voie jurisprudentielle de la manière dont le droit commun et les normes spéciales devaient s’appliquer.

91. La Cour rappelle enfin qu’apprécier l’existence et la portée d’une divergence de jurisprudence ne signifie pas, pour elle, apprécier l’opportunité des choix de politique jurisprudentielle opérés par les juridictions internes en l’absence d’arbitraire (Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, § 89). En l’espèce, la Cour estime que, même si l’interprétation donnée par la Haute Cour à la notion de « droit commun » et son articulation avec la norme spéciale ont été défavorables aux requérants, cette seule interprétation n’est pas en soi constitutive d’une atteinte à l’article 6 de la Convention. Il convient également de souligner que les requérants ne peuvent pas non plus prétendre avoir subi un déni de justice puisque leur litige a fait l’objet d’un examen par la cour d’appel et la Haute Cour. La Cour considère en outre que ces juridictions ont dûment motivé leurs décisions en fait et en droit, et que l’interprétation de celles-ci quant aux circonstances soumises à leur examen n’est pas arbitraire, déraisonnable ou de nature à entacher l’équité de la procédure, mais qu’elle relève simplement des modalités d’application du droit interne.

92. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut à la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention sur ce point.

3. Sur la durée de la procédure

a) Les arguments des parties

93. Les requérants dénoncent la durée de la procédure qui est, selon eux, de dix ans et un mois et qu’ils estiment imputable aux autorités nationales. Ils soutiennent que leur affaire n’était pas complexe et que les preuves avaient été versées au dossier dès la saisine des juridictions.

94. Le Gouvernement est d’avis que la durée de la procédure en cause est compatible avec la condition de jugement dans un « délai raisonnable ». Pour ce qui est de la période à considérer, il indique que l’affaire a été suspendue du 22 février 2002 au 23 mars 2003, soit pendant un an et un mois. Il estime ensuite que la présente affaire revêt une complexité particulière qui serait liée à ses aspects de fait et de droit. Il soutient enfin qu’il n’y a pas de période d’inactivité ou de retard significatifs à imputer aux juridictions nationales.

b) L’appréciation de la Cour

95. La Cour note que la période à considérer a débuté pour le deuxième requérant le 23 mai 2001 et qu’elle s’est terminée le 15 juin 2011. Elle a donc duré dix ans et trois semaines environ, pour trois instances.

96. Pour ce qui est de la période à prendre en considération pour les deux autres requérants, la Cour note que, bien qu’ils soient mentionnés dans la demande introductive d’instance (paragraphe 19 ci-dessus), les juridictions ont jugé dans le première cycle procédural qu’elles avaient été saisies uniquement par le deuxième requérant, et cela bien qu’elles aient accepté à examiner le pourvoi en recours formé par la paroisse requérante (paragraphe

21 ci-dessus). Étant donné que devant la Cour, les parties n’ont pas précisé si ces deux requérants avaient ou non qualité pour ester en justice dans le premier cycle procédural, il convient de prendre en compte comme date de départ de la procédure pour ces intéressés la date où l’affaire a été réinscrite au rôle du tribunal départemental en 2006 et où l’affaire a été complétée par ces parties (paragraphe

23 ci-dessus). Ces faits sont d’ailleurs précisés dans l’arrêt de la cour d’appel du 11 juin 2010 (paragraphe 29 ci‑dessus). Il ne fait pas de doute que pour ces requérants la procédure s’est également terminée par l’arrêt définitif de la Haute Cour du 15 juin 2011. Elle a donc durée cinq ans environ pour trois degrés de juridiction.

97. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).

98. La Cour observe d’emblée qu’en l’espèce aucun retard dans la procédure ne peut être reproché aux requérants. L’affaire a été suspendue à plusieurs reprises afin de permettre aux parties de tenter la procédure amiable prévue par la loi. De même, il convient de noter que, pendant les premières années, les juridictions nationales saisies ne s’étaient pas estimées compétentes pour trancher le fond de l’affaire (paragraphes 19 et

20 ci‑dessus). Par la suite, après que les trois requérants étaient devenus parties à la procédure, il a été nécessaire de poursuivre la procédure devant la commission mixte, bien que les tribunaux eussent déjà été saisis du fond de l’affaire (paragraphe 24 ci-dessus). À cela s’ajoute le fait qu’un jugement a été annulé pour vice de forme (paragraphe

23 ci-dessus). Partant, la Cour conclut que la prolongation de la procédure est essentiellement imputable aux autorités nationales.

99. S’il est vrai que pour la paroisse requérante et le troisième requérant la procédure a duré moins de temps que pour le deuxième requérant, la Cour ne peut s’empêcher de constater que les premiers ont été mentionnés dans la demande introductive d’instance (paragraphe 19 ci-dessus) et que la paroisse requérante a participé activement au déroulement de la procédure (paragraphe 21 in fine ci-dessus). La Cour note également que, lorsque ces deux requérants sont intervenus dans la procédure (paragraphe 23 ci‑dessus), l’affaire était déjà pendante depuis cinq ans devant les juridictions internes. Par la suite, il a fallu trois ans aux juridictions internes pour rendre un premier jugement valable sur le fond de l’affaire et deux années supplémentaires environ pour rendre un arrêt définitif.

100. Ayant examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et tenant compte de sa jurisprudence en la matière, la Cour est d’avis que la cause des requérants n’a pas été entendue dans un délai raisonnable.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention sur ce point.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

101. Les requérants soutiennent qu’ils ont subi une discrimination dans leur droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, discrimination qui était fondée, selon eux, sur leur appartenance à une religion minoritaire dans le pays. Ils invoquent l’article 14 de la Convention, ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A. Sur la recevabilité

102. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Les requérants

103. Les requérants estiment avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur la religion dans la mesure où les dispositions du décret-loi no 126/1990 établiraient la volonté des fidèles détenteurs du bien revendiqué comme critère pour fixer la situation juridique des lieux de culte. Ils indiquent que, si, en théorie, ce critère paraît pouvoir être favorable aux deux parties en litige, en réalité l’Église gréco-catholique ne détient aucun lieu de culte, tous ces biens se trouvant, selon les requérants, dans le patrimoine de l’Église orthodoxe. Ils exposent que c’est pour cette raison que la partie orthodoxe n’aurait eu aucun intérêt à participer aux commissions mixtes et aurait longtemps bloqué l’accès des parties intéressées au tribunal.

104. Dans leurs observations complémentaires, les requérants ajoutent que la partie orthodoxe a obtenu gain de cause grâce à l’application du critère de la volonté des fidèles. Ils considèrent que la réduction de la compétence des tribunaux à la constatation formelle de la volonté de l’une des parties en litige a eu pour effet de rendre leur droit d’accès à un tribunal illusoire. Ils précisent que, dans des affaires similaires, certaines juridictions ont procédé à une comparaison des titres de propriété sans prendre en considération la volonté des fidèles détenteurs du bien et qu’eux-mêmes ont dès lors subi une discrimination par rapport à d’autres paroisses gréco‑catholiques confrontées à la même situation qu’eux.

b) Le Gouvernement

105. Le Gouvernement estime que les requérants n’ont nullement démontré avoir subi une discrimination, ni par rapport aux communautés religieuses orthodoxes ni par rapport aux autres communautés gréco‑catholiques se trouvant dans une situation analogue à la leur.

106. Dans ses observations complémentaires, se référant à la prévisibilité du critère litigieux, le Gouvernement explique que ce critère reflète une conception avec des fondements sociaux et historiques profonds. Il met l’accent sur la spécificité des immeubles en litige, à savoir des lieux de culte. Selon lui, la législation adoptée visait à permettre aux fidèles de décider du sort du lieu de culte étant donné que les fidèles avaient contribué à la construction du lieu de culte, l’avaient entretenu et avaient rendu possible sa destination. Il ajoute qu’au moment de l’adoption du décret-loi no 126/1990 toutes les options étaient ouvertes aux paroissiens : le culte gréco-catholique pouvait légitimement espérer refaire sa communauté dans des dimensions similaires à celles existantes avant sa dissolution tandis que le culte orthodoxe pouvait envisager une perte des fidèles, à savoir ceux qui avaient quitté à contrecœur le culte gréco-catholique pendant le régime totalitaire.

107. Le Gouvernement souligne que le critère de « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens » a été confirmé par la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle qui avait exposé dans ses décisions les motifs pour lesquels la solution législative adoptée était non seulement constitutionnelle mais en accord avec la réalité sociale (paragraphes 51 et 52 ci-dessus).

108. Il indique enfin que les requérants ont pu présenter leur demande aux juridictions internes, lesquelles auraient examiné l’action sur le fond et rendu des décisions amplement motivées et sans indice d’arbitraire. Il ajoute que les instances ont établi la volonté des fidèles après avoir examiné une multitude de facteurs sociaux, historiques et juridiques et que les requérants n’ont pas été désavantagés en raison de leur religion. Il conclut que le critère litigieux prévu par le décret-loi no 126/1990 n’a pas été appliqué afin de favoriser une certaine communauté religieuse, mais afin de permettre aux fidèles de décider du sort du bien qu’ils avaient bâti, et ce, d’après le Gouvernement, dans l’optique de ne pas créer des injustices plus graves que celles qu’il essayait de redresser.

2. L’appréciation de la Cour

a) Les principes applicables

109. Comme la Cour l’a toujours dit, l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles. Cet article n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup d’autres, E.B. c. France [GC], no 43546/02, §§ 47-48, 22 janvier 2008).

110. De même, selon la jurisprudence établie de la Cour, la discrimination consiste à traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175, CEDH 2007‑IV). Toutefois, l’article 14 n’interdit pas à un État membre de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des « inégalités factuelles » entre eux ; de fait, dans certaines circonstances, c’est l’absence d’un traitement différencié pour corriger une inégalité qui peut, sans justification objective et raisonnable, emporter violation de la disposition en cause (Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 44, CEDH 2000-IV ; Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], no 65731/01, § 51, CEDH 2006‑VI). La Cour a également admis que pouvait être considérée comme discriminatoire une politique ou une mesure générale qui avait des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe de personnes, même si elle ne visait pas spécifiquement ce groupe (Hoogendijk c. Pays-Bas (déc.), no 58641/00, 6 janvier 2005 ), et qu’une discrimination potentiellement contraire à la Convention pouvait résulter d’une situation de fait (Zarb Adami c. Malte, no 17209/02, § 76, CEDH 2006‑VIII).

111. Une distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. (Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], précité, § 51).

b) L’application des principes en l’espèce

112. La Cour note qu’en l’espèce les requérants se prétendent victimes d’une discrimination dans l’exercice de leur droit d’accès à un tribunal, discrimination qui serait fondée sur l’application par les juridictions internes du critère de la volonté des fidèles de la communauté détentrice du bien, communauté qui était la partie défenderesse dans la procédure. Compte tenu également du fait que la communauté orthodoxe détentrice du bien représente la religion majoritaire à Lupeni, les intéressés estiment avoir subi une discrimination qui serait fondée sur leur appartenance à une minorité religieuse.

113. La Cour estime dès lors que le grief des requérants relève de l’article 14 de la Convention qui, dans les circonstances de l’espèce, s’applique en combinaison avec l’article 6 § 1 de la Convention.

i. Sur le point de savoir s’il y a eu différence de traitement fondée sur la religion entre des personnes se trouvant dans des situations similaires

114. La Cour note que, ainsi qu’il est libellé dans l’article 3 du décret-loi no 126/1990, le critère en cause impose aux commissions mixtes de prendre en compte « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens ». Elle relève qu’aucune différence de traitement fondée sur la religion ne figure dans le texte de loi critiqué. Les requérants soutient toutefois que la discrimination litigieuse serait le résultat d’une situation de fait évidente, à savoir que les détenteurs des biens revendiqués sont toujours représentés par l’Église orthodoxe qui est la religion majoritaire du pays.

115. La Cour observe que le lieu de culte en litige était détenu par l’Église orthodoxe de Lupeni, celle-ci étant partie défenderesse dans la procédure. D’ailleurs, elle constate que, tel qu’il ressort des données historiques présentées par les parties, de manière générale, dans les cas où le décret-loi no 126/1990 est appelé à s’appliquer, les lieux de culte revendiqués sont détenus par des entités appartenant à l’Église orthodoxe, l’Église gréco-catholique étant en position de demander leur restitution (paragraphe

9 ci-dessus). Dans ce contexte, en prévoyant comme critère pour décider de la situation juridique du bien litigieux « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens », l’article 3 du décret-loi no 126/1990 pourrait être interprété comme créant une position privilégiée pour la partie défenderesse au détriment des requérants. La Cour a considéré l’article 3 susmentionné dans le contexte de l’article 6 de la Convention (paragraphe 81 ci-dessus et suivants). Dès lors, il existe une différence de traitement entre deux groupes – l’Église gréco-catholique et l’Église orthodoxe - qui, en ce qui concerne leurs prétentions de propriétaire sur le lieu de culte disputé, se trouve dans une situation similaire.

ii. Sur le point de savoir s’il existe une justification objective et raisonnable

116. La Cour rappelle que si une politique ou une mesure générale a des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe de personnes, la possibilité qu’elle soit considérée comme discriminatoire ne peut être exclue même si elle ne vise pas spécifiquement ce groupe (Zarb Adami précité, § 80). Par ailleurs, elle réitère que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Stec et autres précité, § 51). Une ample latitude est d’ordinaire laissée à l’État pour prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale. Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d’utilité publique en matière économique ou en matière sociale, et la Cour respecte en principe la manière dont l’État conçoit les impératifs de l’utilité publique, sauf si son jugement se révèle « manifestement dépourvu de base raisonnable » (Stec et autres, précité, § 52).

117. La Cour constate que le Gouvernement soutient que le critère litigieux avait été élaboré afin de tenir compte de l’histoire de l’affaire et de la nature religieuse du bien en cause. Il ressort des dires du Gouvernement que par cette législation l’État visait à protéger la liberté de ceux qui avaient été forcés pendant le régime totalitaire à quitter la religion gréco-catholique de manifester leur volonté quant à la religion à suivre, tout en gardant la possibilité d’utiliser le lieu de culte qu’ils avaient construit.

118. La Cour accorde ensuite de l’importance au fait que, en faisant application du critère de « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens » les juridictions roumaines ne se sont pas limitées à constater le refus de la partie défenderesse de restituer l’église mais ont effectué une mise en balance des intérêts en cause. Elles ont, ainsi, pris en compte un ensemble d’éléments factuels concrets relatifs aux circonstances dans lesquelles l’édifice a été construit et utilisé au fil des années, à l’interdiction du culte gréco-catholique et à l’obligation imposée à l’époque à ses fidèles de « passer » au culte orthodoxe, et au choix opéré par ces fidèles après la réhabilitation de leur culte. Après un examen approfondi de la situation de fait, les juridictions internes ont rendu des arrêts détaillés et motivés, dont le raisonnement s’inscrivait dans la ligne constante de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (paragraphes de 29 à 31 et 34 ci‑dessus).

119. En outre, la Cour note que, saisie d’exception de non‑constitutionnalité du critère litigieux, la Cour constitutionnelle a présenté les motifs liés à la nécessité de protéger la liberté des cultes et la liberté d’autrui, tout en les intégrant dans le contexte historique de l’affaire. À cet égard, la Cour rappelle qu’elle a eu à maintes reprises l’occasion de souligner le rôle de l’État en tant qu’organisateur neutre et impartial de la pratique des religions, cultes et croyances, et d’indiquer que ce rôle contribuait à assurer l’ordre public, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique, particulièrement entre des groupes opposés (voir, mutatis mutandis, Sindicatul « Păstorul cel Bun » c. Roumanie [GC], no 2330/09, § 165, CEDH 2013 (extraits)). Le respect de l’autonomie des communautés religieuses reconnues par l’État s’était manifesté en l’espèce par l’affirmation de celui-ci du droit pour ces communautés de décider elles-mêmes du droit de propriété sur leurs lieux de culte.

120. La Cour relève enfin que les arguments des requérants tirés d’une divergence de jurisprudence concernent un aspect relatif au respect du principe de la sécurité juridique et qu’elle les a déjà examinés sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle estime qu’un nouvel examen sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention ne s’impose pas.

121. Dès lors, la Cour estime que, compte tenu de l’objectif poursuivi et de ses justifications raisonnables, l’adoption par le législateur national du critère litigieux n’était pas contraire à l’article 14 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 14 en combinaison avec l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION, CONSIDÉRÉ ISOLÉMENT ET EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

122. Les requérants allèguent que la manière dont les juridictions nationales ont tranché le litige en cause et leur refus d’ordonner la restitution de l’église ont porté atteinte à leur droit à la liberté de religion, en violation de l’article 9 de la Convention, pris isolément et en combinaison avec l’article 14 de la Convention (précité).

123. L’article 9 de la Convention se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Sur la recevabilité

1. Les arguments des parties

a) Le Gouvernement

124. Le Gouvernement invite la Cour à ne pas statuer sur ce grief des requérants, soutenant que, celui-ci étant selon lui de caractère procédural, il y a lieu de l’examiner sous l’angle du seul article 6 de la Convention.

125. Il indique ensuite que les intéressés ont toujours pu manifester librement leur religion et qu’il n’y a donc pas eu ingérence dans leur droit à la liberté de religion. Il précise que la communauté religieuse gréco‑catholique est reconnue par la loi, que ses prêtres peuvent officier et que ses membres peuvent se réunir pour pratiquer leur religion dans un bâtiment adéquat. Il soutient en outre qu’il n’est pas établi que l’office religieux gréco-catholique soit lié de manière indissociable à la propriété de l’église litigieuse.

126. Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement ajoute qu’il n’ignore pas le rôle joué par un lieu de culte pour une communauté religieuse. Il indique que l’État roumain a prévu non seulement des mesures à caractère déclaratif mais également des mesures à caractère réparateur, tout en respectant, selon le Gouvernement, son devoir de rester neutre et impartial dans l’exercice de son pouvoir de réglementation en la matière et dans ses relations avec les diverses religions. Il soutient de plus que 237 lieux de culte ont été restitués aux communautés gréco-catholiques et que d’autres communautés gréco-catholiques ont bénéficié de l’aide à l’édification de nouveaux lieux de culte. Il dit enfin que les requérants n’ont pas demandé à bénéficier d’une aide financière.

b) Les requérants

127. Les requérants estiment que le rejet de leur action visant à la restitution d’un édifice de culte a constitué une ingérence dans le respect de leur droit à la liberté de religion. Ils arguent que le droit protégé par l’article 9 de la Convention implique la liberté de manifester sa religion et que la pratique de leur culte gréco-catholique dans une église constitue une telle manifestation. Ils estiment que leur utilisation des locaux d’une église catholique et le paiement dont ils s’acquitteraient pour cette location ne doivent pas décharger l’État de l’obligation qui serait la sienne de leur permettre de récupérer leur ancien lieu de culte ou de les aider à construire une nouvelle église.

128. Les requérants soutiennent en outre que l’ingérence qu’ils dénoncent dans leur droit à la liberté de religion était prévue par l’article 3 du décret-loi no 126/1990. Toutefois, compte tenu selon eux de son absence de prévisibilité, cette disposition légale ne répondrait pas aux exigences de qualité imposées par la Convention. Les requérants affirment ensuite que pareille ingérence n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Selon eux, le critère énoncé par la loi spéciale fait prévaloir la volonté de la majorité et n’est dès lors pas compatible avec une société démocratique qui devrait promouvoir la tolérance, l’acceptation de toutes les différences, y compris religieuses et culturelles, et la protection des minorités.

129. Dans leurs observations complémentaires, les requérants indiquent qu’ils n’ont pas obtenu la restitution de l’église et qu’aucune autre aide ne leur a été offerte, comme cela était, selon eux, prévu par l’article 4 du décret-loi no 126/1990. Par ailleurs, ils considèrent que l’article 4 susmentionné a un libellé général qui ne viserait pas exclusivement l’Église gréco-catholique. Ils précisent enfin qu’ils ne disposent pas, à ce jour, d’une église réservée à l’exercice de leur culte.

2. L’appréciation de la Cour

130. La Cour décide d’examiner ces griefs des requérants (paragraphe 124 ci-dessus).

a) Les principes applicables

131. La Cour renvoie à sa jurisprudence constante selon laquelle, telle que la protège l’article 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention. Elle rappelle qu’elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais qu’elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société (Église métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, no 45701/99, § 114, CEDH 2001‑XII).

132. La Cour rappelle également que, si la liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle « implique » de surcroît, notamment, celle de « manifester sa religion » individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. Le témoignage, en paroles et en actes, se trouve lié à l’existence de convictions religieuses. Cette liberté suppose, entre autres, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou non (Église métropolitaine de Bessarabie et autres, précité, § 114).

133. Par ailleurs, la Cour redit que, les communautés religieuses existant traditionnellement sous la forme de structures organisées, l’article 9 doit s’interpréter à la lumière de l’article 11 de la Convention qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’État. Vu sous cet angle, le droit des fidèles à la liberté de religion, qui comprend le droit de manifester sa religion collectivement, suppose que les fidèles puissent s’associer librement, sans ingérence arbitraire de l’État. En effet, l’autonomie des communautés religieuses est indispensable au pluralisme dans une société démocratique et se trouve donc au cœur même de la protection offerte par l’article 9. En tout état de cause, la Cour rappelle que le devoir de neutralité et d’impartialité de l’État, tel que défini dans sa jurisprudence, est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de la part de l’État quant à la légitimité des croyances religieuses, et que ce devoir impose à l’État de s’assurer que des groupes opposés l’un à l’autre, fussent-ils issus d’un même groupe, se tolèrent (Juma Mosque Congregation et autres c. Azerbaïdjan (déc.), no 15405/04, §58, 8 janvier 2013).

b) L’application des principes en l’espèce

134. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour constate que les requérants se plaignent du refus des juridictions internes de reconnaître leur droit de propriété sur l’église en litige. Dès lors, la Cour doit examiner si ce refus constitue en soi une ingérence dans l’exercice par les intéressés de leur droit à la liberté de religion garanti par l’article 9 combiné avec l’article 14 de la Convention.

135. À cet égard, la Cour relève que le décret-loi no 126/1990 a reconnu officiellement le culte gréco-catholique en Roumanie. Toutefois, aucune disposition légale n’a ordonné la restitution automatique des lieux de culte ayant appartenu avant 1948 à cette Église et ayant ensuite été inscrits dans le patrimoine de l’Église orthodoxe.

136. La Cour réitère que l’on ne saurait tirer de la Convention un droit pour une communauté religieuse de se voir garantir un lieu de culte par les autorités publiques (Griechische Kirchengemeinde Munchen et Bayern E.V. c. Allemagne (déc.), no 52336/99, 18 septembre 2007). En l’espèce, le refus les juridictions internes de reconnaître le droit de propriété des intéressés sur une église n’a pas fait obstacle au fonctionnement des requérants et n’a pas restreint leur droit de construire un lieu de culte dans les conditions prévues par la loi.

137. La Cour relève ensuite que la Haute Cour a répondu aux allégations des requérants relatives au respect de leur droit à la liberté de religion. Aux yeux de la Cour, compte tenu du contexte social et historique de l’affaire, ainsi que de ses conclusions ci-dessus quant au droit d’accès des requérants à un tribunal, les arguments utilisés par la plus haute juridiction interne sont compréhensibles et ne prêtent pas à la critique au regard de la Convention.

138. La Cour rappelle enfin que l’article 9 de la Convention ne confère pas aux communautés religieuses un droit de bénéficier d’un financement accru de la part de l’État, même si l’octroi de subventions aux différentes communautés religieuses – et, partant, aux différentes religions – appelle le contrôle le plus rigoureux (Magyar Keresztény Mennonita Egyház et autres c. Hongrie, nos 70945/11, 23611/12, 26998/12, 41150/12, 41155/12, 41463/12, 41553/12, 54977/12 et 56581/12, § 106, CEDH 2014). À cet égard, la Cour note que l’article 4 du décret-loi no 126/1990 énonce que, dans les communes où le nombre des lieux de culte est insuffisant par rapport au nombre des fidèles, l’État apportera son soutien à la construction de nouvelles églises. À cette fin, l’État mettra le terrain approprié à la disposition des cultes concernés s’ils n’en ont pas et contribuera à la collecte des fonds nécessaires. La Cour constate que cette disposition légale donne la possibilité aux paroisses qui ne bénéficient pas d’un lieu de culte d’obtenir l’aide de l’État à la construction d’un tel édifice. Le texte de loi n’impose aucun autre critère susceptible de bloquer l’accès des intéressés à ces aides financières (voir, a contrario, Magyar Keresztény Mennonita Egyház et autres, précité, § 110). Par ailleurs, la Cour relève que, d’après des renseignements fournis par le Gouvernement et non contestés par les requérants, d’autres paroisses gréco-catholiques qui avaient sollicité une aide en vertu de l’article 4 du décret-loi no 126/1990 ont pu bénéficier de différents types de financement destinés à la construction d’une nouvelle église. Les requérants bénéficient donc toujours de cette voie pour obtenir une aide de l’État.

139. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, le refus des juridictions internes de reconnaître un droit de propriété en faveur des requérants sur l’église en litige n’a pas constitué une ingérence injustifiée dans l’exercice de leur droit à la liberté de religion. De même, elle estime que la mesure litigieuse ne revêtait pas un caractère discriminatoire. Les juridictions internes n’ont pas fondé leur décision sur des éléments relatifs à l’appartenance religieuse mais sur des éléments factuels concrets (paragraphe

118 ci-dessus).

140. Eu égard à tous les éléments qui précèdent, la Cour estime que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION, PRIS ISOLÉMENT ET EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

141. Les requérants estiment que le refus des juridictions internes d’ordonner la restitution de l’église et la manière dont elles ont jugé l’affaire ont porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, seul et en combinaison avec l’article 14 de la Convention (précité). L’article 1 du Protocole no 1 à la Convention est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Sur la recevabilité

1. Les arguments des parties

a) Le Gouvernement

142. Déclarant se référer à l’arrêt Paroisse gréco-catholique Sâmbata Bihor (précité, § 87), le Gouvernement invite d’abord la Cour à ne pas statuer sur ce grief des requérants, estimant que celui-ci concerne une absence de protection procédurale qui aurait déjà été examinée sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.

143. Il excipe ensuite de l’irrecevabilité ratione materie de ce grief. À cet égard, il indique que les juridictions internes n’ont pas reconnu, par une décision définitive, le droit de propriété des requérants sur l’église en litige. Dès lors, selon lui, les intéressés ne peuvent se prévaloir en l’espèce ni d’un « bien » ni d’une « espérance légitime » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention.

144. Le Gouvernement estime que les requérants n’ont pas démontré avoir subi une discrimination et qu’en tout état de cause, ils n’ont pas fait l’objet d’un traitement discriminatoire en l’espèce.

b) Les requérants

145. Les requérants estiment que leur grief est recevable. Ils considèrent que, dans le contexte factuel particulier de l’affaire, l’article 480 du code civil, qui régirait l’action en revendication, combiné avec les modifications apportées à l’article 3 du décret-loi no 126/1990, qui prévoirait pour les églises gréco-catholiques un droit d’agir en justice afin d’obtenir la restitution des lieux de culte, constitue au moins une « espérance légitime » quant au droit de propriété sur l’église. Ils estiment que la reconnaissance officielle de leur Église a rétabli celle-ci dans tous les droits et obligations qui étaient les siens avant sa dissolution en 1948, y compris le droit de propriété sur l’église. Ils indiquent également que l’église orthodoxe avait pris possession de l’église et qu’elle avait abusivement fait inscrire celle-ci à son nom dans le livre foncier. Ils en déduisent que toutes les prémisses factuelles et légales existaient pour créer une espérance légitime de voir le lieu de culte réintégrer leur patrimoine. Ils considèrent enfin que, si les juridictions internes avaient appliqué le droit commun dans leur action en revendication et non pas le critère de la volonté des fidèles fixé par la loi spéciale, l’église objet du litige aurait été restituée à leur paroisse.

146. Les requérants estiment avoir été victime d’une discrimination tant en raison du critère adopté par la loi régissant la restitution des lieux de culte que de son application en l’espèce, alors que d’autres juridictions internes ont tranché les actions en revendication en suivant les règles du droit commun.

2. L’appréciation de la Cour

a) Sur la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1

147. La Cour se prononcera sur l’applicabilité à la présente espèce de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (paragraphe 142 ci-dessus).

i. Les principes applicables

148. La Cour rappelle la jurisprudence constante des organes de la Convention selon laquelle des « biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention peuvent être soit des « biens existants » (Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, 13 décembre 2000), soit des valeurs patrimoniales, y compris des créances, pour lesquelles un requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » de les voir concrétiser (voir, par exemple, Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, série A no 332, et Ouzounis et autres c. Grèce, no 49144/99, § 24, 18 avril 2002). En revanche, ne sont pas à considérer comme des « biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 l’espoir de voir revivre un droit de propriété qui s’était éteint depuis longtemps, ni une créance conditionnelle qui se trouve caduque par suite de la non-réalisation de la condition (Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98, § 69, CEDH 2002‑VII).

149. De plus, la Cour réaffirme que la Convention n’impose aux États contractants aucune obligation spécifique de redresser les injustices ou dommages causés avant qu’ils ne ratifient la Convention. De même, l’article 1 du Protocole no 1 ne peut s’interpréter comme restreignant la liberté pour les États contractants de choisir les conditions dans lesquelles la restitution des biens dont certaines personnes avaient été dépossédées avant qu’ils ne ratifient la Convention (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004‑IX).

ii. L’application des principes en l’espèce

150. Dans la présente affaire, la Cour note que les requérants allèguent avoir perdu la possession et la propriété de l’église qu’ils revendiquent en 1948, soit avant la ratification de la Convention par la Roumanie, le 20 juin 1994. Ils ont engagé une action en justice aux fins de la restitution du bien litigieux à la suite des modifications législatives qui reconnaissaient leur culte et leur ouvraient la voie en justice à cet égard.

151. Malgré la réhabilitation judiciaire de leur culte en 1990, leurs anciens biens étaient toujours détenus par l’Église orthodoxe. En effet, le décret-loi no 126/1990, bien que reconnaissant officiellement l’Église roumaine unie à Rome, énonçait que la situation juridique des édifices religieux et des maisons paroissiales qui avaient été attribués à l’Église orthodoxe serait établie par une commission mixte à l’issue d’une procédure administrative suivie d’une procédure judiciaire. Il ne prévoyait donc pas la restitution automatique des biens litigieux. Les requérants sont ainsi restés privés d’un droit de propriété. Cela ne signifie pas que l’application par les autorités nationales des dispositions juridiques pertinentes dans un cas particulier ne puisse soulever une question sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. Toutefois, avant de rechercher si la manière dont la loi a été appliquée a porté atteinte aux droits des requérants, la cour doit rechercher si la créance de restitution litigieuse s’analysait en un « bien » au sens de ladite disposition.

152. À cet égard, il convient de noter que les requérants ont cherché à obtenir la restitution du lieu de culte par voie judiciaire. Ils ne pouvaient donc pas prétendre que les biens leur appartenaient en dehors de toute intervention des tribunaux. Dès lors, ils n’avaient pas un « bien actuel ».

153. Sur le point de savoir si les requérants avaient au moins une « espérance légitime » de voir se concrétiser une quelconque créance actuelle et exigible, la Cour note que la créance de restitution était dès le départ une créance conditionnelle, dans la mesure où la loi prévoyait la condition selon laquelle la situation juridique des lieux du culte devait être tranché. En l’espèce, la question de la réunion par les intéressés des exigences légales devait être tranchée dans le cadre de la procédure judiciaire et les juridictions internes ont jugé en définitif que la condition prévue par la loi n’était pas remplie. Dès lors, la créance des requérants ne pouvait pas être réputée suffisamment établie pour s’analyser en une « valeur patrimoniale » appelant la protection de l’article 1 du Protocole no 1.

154. La Cour note également qu’à aucun moment les autorités du pays n’ont pris un acte normatif ou administratif mentionnant la restitution de l’église en cause aux intéressés (voir, a contrario, Archidiocèse catholique d’Alba Iulia c. Roumanie, no 33003/03, §§ 82-88, 25 septembre 2012). Pour autant que les requérants dénoncent une jurisprudence divergente des juridictions internes quant au droit applicable aux affaires concernant la restitution de lieux de culte, la Cour rappelle que la persistance de divergences dans l’interprétation par les juridictions nationales du droit interne ne donne pas lieu à une « espérance légitime » (voir, en ce sens, Albu et autres c. Roumanie, no 34796/09, § 47, 10 mai 2012, et Liepājnieks c. Lettonie (déc.), no 37586/06, §§ 95-96, 2 novembre 2010).

155. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 § 4.

b) Sur la violation alléguée de l’article 14 de la Convention en combinaison avec l’article 1 du Protocole no 1

156. En ce qui concerne le grief tiré du caractère discriminatoire du critère régissant la restitution du lieu de culte, la Cour l’a déjà rappelle au paragraphe 109 ci-dessus que l’application de l’article 14 ne présuppose pas nécessairement la violation de l’un des droits matériels garantis par la Convention. Il faut, mais il suffit, que les faits de la cause tombent « sous l’empire » de l’un au moins des articles de la Convention (voir Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 39, CEDH 2005‑X et Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 58, CEDH 2008‑...). L’interdiction de la discrimination que consacre l’article 14 dépasse donc la jouissance des droits et libertés que la Convention et ses Protocoles imposent à chaque État de garantir. Elle s’applique également aux droits additionnels, relevant du champ d’application général de tout article de la Convention, que l’État a volontairement décidé de protéger (Stec et autres (déc.), précitée, § 40).

157. Si l’article 1 du Protocole no 1 ne peut être interprété comme faisant peser sur les États contractants une obligation générale de restituer les biens leur ayant été transférés avant qu’ils ne ratifient la Convention (Kopecký, précité, § 35d)), il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’un État contractant, après avoir ratifié la Convention, y compris le Protocole no 1, adopte une législation prévoyant la restitution totale ou partielle de biens confisqués en vertu d’un régime antérieur, semblable législation peut être considérée comme engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 pour les personnes remplissant ses conditions (ibidem). Dans des cas tels celui de l’espèce, où des requérants formulent sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 un grief aux termes duquel une restitution leur a été refusée pour un motif discriminatoire visé à l’article 14, à savoir l’appartenance religieuse, le critère pertinent consiste à rechercher si, n’eût été la condition d’octroi litigieuse, les intéressés auraient eu un droit, sanctionnable devant les tribunaux internes, pour obtenir la restitution du bien en cause (voir, mutatis mutandis, Stec et autres (déc.), précitée, § 54 et Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, § 64, CEDH 2010). Il s’ensuit que les intérêts des requérants entrent dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1, et du droit au respect des biens qu’il garantit, ce qui suffit pour rendre l’article 14 de la Convention applicable.

158. La Cour constate que les requérants dénoncent une discrimination dans la législation concernant la restitution des lieux de culte fondée sur la religion. Or, la Cour vient de constater que ni le critère prévu par la loi, ni la manière dont il avait été appliqué en l’espèce, n’ont pas constitué une discrimination fondée sur la religion contraire à l’article 14 de la Convention. Dès lors, pour les mêmes raisons que celles présentées aux paragraphes 116 à 120 ci-dessus, la Cour conclut que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

V. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

159. Les requérants se plaignent sur le terrain de l’article 6 de la Convention d’un défaut d’indépendance et d’impartialité des tribunaux, dans la mesure où, en appliquant, selon les intéressés, le critère de la volonté de la majorité des fidèles, ces tribunaux auraient favorisé la partie orthodoxe qui représente la religion majoritaire du pays. Toujours sur le terrain du même article, ils dénoncent un défaut d’équité de la procédure au motif que certains juges auraient été remplacés au cours de la procédure dans les formations où ils avaient siégé et que certaines mentions concernant le déroulement oral de la procédure n’auraient pas été consignées avec rigueur. Ils se plaignent enfin d’une violation de leurs droits garantis par l’article 13 de la Convention en combinaison avec les articles 9 de la Convention et 1 du Protocole no 1, en soutenant qu’ils n’avaient pas bénéficié au niveau interne d’un recours pour faire valoir leurs droits.

160. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que ces griefs sont irrecevables et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

161. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

162. Les requérants réclament, pour préjudice matériel, la restitution de l’église, du terrain et de la maison paroissiale. À défaut de restitution en nature des biens immeubles, ils demandent, se fondant sur un rapport d’expertise, 282 343 euros (EUR), un montant qui correspond d’après eux à la valeur marchande des immeubles en litige. Ils réclament également 50 000 EUR pour préjudice moral.

163. Le Gouvernement réplique que les valeurs figurant dans le rapport d’évaluation sont exorbitantes par rapport aux prix marchands estimés par la chambre des notaires pour des terrains similaires à celui qui est revendiqué. Il estime que, si la Cour conclut que les requérants ont subi un préjudice moral, un éventuel arrêt constatant une atteinte à leurs droits conventionnels constituerait une réparation suffisante du préjudice moral et qu’en tout état de cause la somme sollicitée pour préjudice moral est excessive.

164. La Cour relève que l’octroi d’une satisfaction équitable en l’espèce ne peut se justifier que par le fait que les requérants n’ont pas bénéficié d’un procès dans un délai raisonnable. Étant donné qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice matériel allégué, la Cour rejette la demande à cet égard.

165. S’agissant de la réparation du préjudice moral, la Cour estime que la violation constatée a dû causer, dans le chef des intéressés, des désagréments et une incertitude prolongée que le simple constat de violation ne saurait réparer. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle alloue conjointement aux requérants 2 400 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

166. Les requérants demandent également 7 930,61 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, qu’ils détaillent comme suit : 5 173,50 EUR pour Me D.O. Hatneanu, à verser directement à l’avocate, 2 385,50 EUR au titre des honoraires pour Me C.T. Borsanyi, 71,54 EUR représentant des frais de correspondance supportés par cette dernière, à verser directement à l’avocate, et 300 EUR représentant les frais de secrétariat et de correspondance à verser à l’Association pour la défense des droits de l’homme en Roumanie – le Comité Helsinki (« APADOR-CH »). Les requérants ont versé au dossier le récapitulatif des heures de travail de leurs avocates et les contrats d’assistance judiciaire, ainsi que la convention conclue avec APADOR-CH par laquelle cette dernière association s’était engagée à supporter les frais de secrétariat nécessaires pour soutenir la présente requête devant la Cour.

167. Le Gouvernement considère que les honoraires de l’avocate D.O. Hatneanu sont excessifs et non nécessaires, compte tenu de ce qu’elle a représenté les requérants dans la présente procédure uniquement après la communication de la requête au Gouvernement et de ce qu’elle représente plusieurs requérants dans des affaires similaires devant la Cour. Il considère que les frais sollicités par cette avocate pour les observations complémentaires ne devraient pas faire partie des frais et dépens. Pour ce qui est des frais sollicités par Me C.T. Borsanyi, qui a introduit la requête devant la Cour, le Gouvernement invite la Cour à octroyer, en équité, une somme pour les frais réellement exposés et incontournables.

168. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], no 23118/93, § 62, CEDH 1999‑VIII). En l’espèce, la Cour note que les requérants indiquent en détail et avec précision la ventilation de leurs prétentions. Compte tenu de la nature de l’affaire, des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, elle estime raisonnable la somme de 2 202 EUR pour les honoraires de Me D.O. Hatneanu et de 2 385 EUR pour les honoraires de Me C.T. Borsanyi, à payer directement aux avocates. La Cour estime également raisonnable la somme de 71 EUR pour les frais de correspondance exposés par Me C.T. Borsanyi et l’accorde à cette dernière ainsi que celle de 300 EUR pour les frais de secrétariat et de correspondance d’APADOR-CH (voir, en ce sens, Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, § 111, 26 juillet 2007), à verser directement à cette dernière.

C. Intérêts moratoires

169. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention pour ce qui est du droit d’accès à un tribunal, du respect du principe de la sécurité juridique et du droit à un procès équitable dans un délai raisonnable, et au grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit d’accès à un tribunal ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit à un procès équitable dans le respect du principe de la sécurité juridique ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la durée de la procédure ;

5. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit d’accès à un tribunal ;

6. Dit à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 2 400 EUR (deux mille quatre cents euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 2 202 EUR (deux mille deux cent deux euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens, à verser directement à Me D.O. Hatneanu ;

iii. 2 456 EUR (deux mille quatre cent cinquante-six euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens, à verser directement à Me C.T. Borsanyi ;

iv. 300 EUR (trois cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens à verser directement à APADOR-CH ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mai 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stephen Phillips Josep Casadevall Greffier Président