EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE DIMITRAS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requêtes nos 42837/06, 3237/07, 3269/07, 35793/07 et 6099/08)

ARRÊT

STRASBOURG

3 juin 2010

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 
 

 

En l'affaire Dimitras et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente, 
 Christos Rozakis, 
 Khanlar Hajiyev, 
 Dean Spielmann, 
 Sverre Erik Jebens, 
 Giorgio Malinverni, 
 George Nicolaou, juges, 
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 mai 2010,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouvent cinq requêtes (nos 42837/06, 3237/07, 3269/07, 35793/07 et 6099/08) dirigées contre la République hellénique par trois ressortissants de cet Etat, MM. Panayote Dimitras, Theodoros Alexandridis, Mme Nafsika Papanikolatou et une ressortissante des Etats-Unis, Mme Andrea Gilbert (« les requérants »), qui ont saisi la Cour les 16 août 2006, 4 janvier 2007, 13 juillet 2007 et 11 janvier 2008 respectivement, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants sont représentés par le Moniteur grec Helsinki, membre de la Fédération internationale Helsinki. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, MM. K. Georgiadis, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, G. Kanellopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l'Etat, Mmes O. Patsopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l'Etat, S. Trekli, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat et S. Alexandridou, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat.

3.  Les requérants allèguent notamment une violation de leurs droits garantis par les articles 9 et 13 de la Convention.

4.  Les 23 janvier, 11 septembre 2008, 31 mars 2009 et 3 septembre 2009 respectivement, la présidente de la première section a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés des articles 9 et 13 de la Convention. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Les requérants sont nés en 1953, 1976, 1955 et 1947 respectivement. Ils résident à Athènes. Ils sont les représentants légaux de la Fédération internationale Helsinki, une Organisation non-gouvernementale déployant ses activités dans le champ de la défense des droits de l'homme.

A.  La période entre février et juillet 2006

6.  Le premier requérant, en tant que représentant légal de la Fédération, a participé du 16 février au 19 juillet 2006, en qualité de témoin à des procédures pénales ayant un intérêt pour la protection des droits de l'homme. Il se présentait, soit devant le juge d'instruction soit devant le tribunal compétent, pour être entendu comme témoin, ce qui impliquait de prêter serment. Le premier requérant allègue qu'à chaque fois le magistrat compétent l'invita, en vertu de l'article 218 du code de procédure pénale, à apposer la main droite sur l'Evangile et à prêter serment. Le premier requérant a dû révéler qu'il n'était pas chrétien orthodoxe et qu'il souhaitait donc faire une affirmation solennelle. En vertu de l'article 220 du code de procédure pénale, le juge compétent accueillait à chaque fois sa demande.

7.  Ainsi, les 16 février, 7 mars, 27 mars - à quatre reprises à cette dernière date -, 5 avril, 20 avril, 8 mai, 21 juin et 19 juillet 2006, le premier requérant prêta serment comme témoin devant le juge d'instruction près le tribunal de paix d'Athènes. Selon les procès-verbaux de deux des auditions du 27 mars 2006 ainsi que de celles des 5 et 20 avril 2006, le premier requérant a fait une affirmation solennelle.

8.  Les 6 et 12 avril ainsi que le 25 mai 2006, le premier requérant fut entendu comme témoin devant les tribunaux correctionnels de Céphalonie et de Thessaloniki. Selon le procès-verbal de l'audience du 6 avril 2006, le premier requérant a fait une affirmation solennelle. Toutefois, le procès-verbal du 12 avril 2006 indique qu'il est chrétien orthodoxe tandis que celui de l'audience du 25 mai 2006 signale qu'il a prêté serment en apposant sa main sur l'Evangile et qu'il est chrétien orthodoxe. Le premier requérant adressa deux lettres aux présidents des juridictions compétentes pour solliciter la rectification des procès-verbaux des audiences des 12 avril et 25 mai 2006. Les procès-verbaux ont été rectifiés par la suite, en vertu de l'article 145 du code de procédure pénale.

B.  La période entre août et décembre 2006

9.  Durant le second semestre 2006, les premier, deuxième et troisième requérants furent entendus à plusieurs reprises en tant que représentants légaux de la Fédération internationale Helsinki, en leur qualité de témoins ou plaignants, par le juge d'instruction, le procureur ou la juridiction compétente dans le cadre de procédures préliminaires et à une audience afférentes à des procédures pénales distinctes. Ils allèguent que lors de leur comparution devant les instances judiciaires dans le cadre des procédures sous serment, les magistrats compétents les invitèrent à chaque fois à apposer, selon l'article 218 du code de procédure pénale, la main droite sur l'Evangile et à prêter serment. Ils durent les informer qu'ils n'étaient pas chrétiens orthodoxes et qu'ils souhaitaient donc faire une affirmation solennelle. A chaque fois leur demande fut accueillie, en vertu de l'article 220 du code de procédure pénale.

10.  Ainsi, le 24 août 2006, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par le tribunal correctionnel de Céphalonie. Sur le formulaire du procès-verbal, il est mentionné qu'il est « athée » et qu'il « a fait une affirmation solennelle selon l'article 220 § 2 du code de procédure pénale ».

11.  Le 27 septembre 2006, le premier requérant fut entendu sous serment par le procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes lors du dépôt d'une plainte et de sa constitution de partie civile dans la même procédure. Sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant les termes « articles 218 et 219 du code de procédure pénale », « chrétien orthodoxe » et « ayant apposé sa main sur l'Evangile », a été rayé et remplacé dans les deux cas par les mots « ayant prêté serment selon l'article 220 § 2 du code de procédure pénale ».

12.  A la même date, le deuxième requérant déposa une plainte pénale auprès du procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes. Sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant les termes « chrétien orthodoxe » a été rayé. De plus, la phrase « 220 § 2, code de procédure pénale » est écrite à la main sur le texte standard « ayant apposé sa main sur l'Evangile et prêté serment selon les articles 218 et 219 du code de procédure pénale ».

13.  Le 9 octobre 2006, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par le tribunal correctionnel d'Athènes. Sur le formulaire du procès-verbal, il est mentionné qu'il est « chrétien orthodoxe » et qu'il « a apposé sa main sur l'Evangile pour faire une affirmation solennelle selon l'article 218 du code de procédure pénale ». Le 11 avril 2007, il sollicita la correction du procès-verbal et la radiation du terme « chrétien orthodoxe ». Le procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes renvoya l'affaire devant ledit tribunal afin de procéder à la rectification du procès-verbal. Le 19 octobre 2007, le premier requérant fut entendu sous serment dans le cadre de cette procédure et dut déclarer être athée. Le même jour, le tribunal correctionnel se déclara incompétent et ordonna le renvoi de l'affaire devant le président du tribunal correctionnel ayant tenu l'audience du 9 octobre 2006. Il ressort du dossier que la demande du premier requérant n'a pas à ce jour été examinée par l'organe judiciaire compétent.

14.  Entre-temps, le 24 octobre 2006, le premier requérant a été entendu par le juge d'instruction du tribunal correctionnel d'Athènes. Alors même qu'il s'agissait d'une audition sans serment, il dut déclarer être athée afin de demander la correction du texte standard « chrétien orthodoxe » sur le formulaire du procès-verbal respectif.

15.  A la même date, la troisième requérante fut entendue comme témoin par le juge d'instruction dans le cadre de la procédure préliminaire d'une affaire pénale distincte. Le juge compétent l'invita, selon l'article 218 du code de procédure pénale, à apposer sa main droite sur l'Evangile et à prêter serment. Le formulaire de procès-verbal porte un texte standard « prêta serment conformément aux articles 218 et 219 du Code de procédure civile, après avoir apposé sa main droite sur l'Evangile ». Cette phrase a été mise entre parenthèses à l'exception du mot « prêta ». Une mention manuscrite a été ajoutée : « a fait une affirmation solennelle ».

16.  Le 6 décembre 2006, le premier requérant fut entendu sous serment par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel d'Athènes. Sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant les termes « articles 218 et 219 du code de procédure pénale » et « ayant apposé sa main sur l'Evangile » a été rayé et remplacé par les mots « avoir fait une affirmation solennelle selon l'article 220 § 2 du code de procédure pénale » et « athée selon sa déclaration ».

17.  Le 21 décembre 2006, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin à deux reprises par les juges d'instruction près les tribunaux correctionnels de Patras et d'Athènes respectivement. S'agissant de la procédure devant le juge d'instruction près le tribunal correctionnel de Patras, le premier requérant, qui ne produit pas le procès-verbal de sa déposition, allègue avoir dû déclarer qu'il était athée. Il affirme qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de produire ledit procès-verbal, parce que sa demande fut rejetée par l'instance judiciaire compétente. S'agissant de la procédure devant le juge d'instruction près le tribunal correctionnel d'Athènes, le texte standard comportant les termes « articles 218 et 219 du code de procédure pénale » et « ayant apposé sa main sur l'Evangile » sur le formulaire du procès-verbal a été rayé et remplacé par les mots « avoir fait une affirmation solennelle selon l'article 220 § 2 du code de procédure pénale » et « athée selon sa déclaration ».

C.  La période entre janvier et juin 2007

18.  Durant le premier semestre 2007, les trois premiers requérants ont participé en tant que témoins, en audience publique ou en chambre du conseil, à des procédures pénales ayant un intérêt pour la protection des droits de l'homme. Ils se présentaient soit devant le juge d'instruction, soit devant le tribunal compétent, soit devant des officiers de police pour être entendus comme témoins. Ils allèguent que lors de leur comparution devant les instances judiciaires dans le cadre des procédures sous serment, les magistrats compétents les invitèrent à chaque fois à apposer, selon l'article 218 du code de procédure pénale, la main droite sur l'Evangile et à prêter serment. Ils durent les informer qu'ils n'étaient pas chrétiens orthodoxes et qu'ils souhaitaient donc faire une affirmation solennelle. A chaque fois, leur demande fut accueillie en vertu de l'article 220 du code de procédure pénale.

19.  Ainsi, les 11, 23 janvier, 1er, 2 février, 12 et 27 mars 2007, les premier et troisième requérants ont été entendus tant sous serment, comme témoins, que sans prêter serment, comme parties civiles dans une procédure pénale, par les juges d'instruction près le tribunal correctionnel d'Athènes et de Koropi. A chaque fois, ils durent déclarer au juge d'instruction qu'ils étaient athées, mention qui apparaît sur le formulaire du procès-verbal.

20.  Le 17 avril 2007, le premier requérant fut entendu comme témoin par la cour d'appel de Thessalonique. Dans la décision no 1371/2007, il est mentionné comme chrétien orthodoxe, alors qu'il allègue que lors de l'audience de l'affaire, il avait déclaré être athée.

21.  Le 10 mai 2007, le deuxième requérant fut entendu sous serment comme témoin par le tribunal correctionnel d'Athènes. Il allègue qu'il a dû déclarer au président du tribunal être athée.

22.  Le 1er juin 2007, le premier requérant fut entendu à deux reprises sous serment par le procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes lors du dépôt de deux plaintes. Sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant les termes « articles 218 et 219 du code de procédure pénale », « chrétien orthodoxe » et « ayant apposé sa main sur l'Evangile » a été rayé et remplacé dans les deux cas par les mots « athée selon sa déclaration » et « avoir fait une affirmation solennelle selon l'article 220 du code de procédure pénale ».

23.  Le 2 juin 2007, le deuxième requérant fut entendu comme témoin par des officiers de police au commissariat de Tavros. Sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant les termes « articles 218 et 219 du code de procédure pénale », « chrétien orthodoxe » et « ayant apposé sa main sur l'Evangile » a été rayé et remplacé dans les deux cas par les mots « athée selon sa déclaration » et « avoir fait une affirmation solennelle selon l'article 220 du code de procédure pénale ».

D.  La période entre juillet et décembre 2007

24.  Durant le second semestre 2007, les premier, troisième et quatrième requérants furent entendus à plusieurs reprises, dans le cadre de procédures préliminaires ou d'audiences afférentes à des procédures pénales distinctes, en tant que représentants légaux de la Fédération internationale Helsinki, en leur qualité de témoins, plaignants ou suspects par le juge d'instruction, le procureur ou la juridiction compétente.

25.  Ainsi, le 13 juillet 2007, le premier requérant fut entendu tant sous serment, comme témoin, que sans prêter serment, comme suspect d'avoir commis une fausse dénonciation judiciaire et une diffamation calomnieuse, par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel d'Athènes. A chaque fois, il dut déclarer au juge d'instruction qu'il était athée, mention qui apparaît sur le formulaire du procès-verbal.

26.  Le 23 juillet 2007, la quatrième requérante fut entendue sans prêter serment, comme suspecte d'avoir commis une fausse dénonciation judiciaire, par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel d'Athènes. Elle déclara qu'elle était d'origine juive et sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant le terme « chrétien orthodoxe » a été rayé et remplacé par les mots « américaine et juive ».

27.  Le 26 juillet 2007, le premier requérant fut entendu sans prêter serment, comme partie civile dans une procédure pénale, par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel de Halandri. Il allègue avoir dû déclarer qu'il était athée. Il ne produit pas le procès-verbal de sa déposition.

28.  Le 27 juillet 2007, la troisième requérante fut entendue sous serment comme témoin par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel de Halandri. Elle allègue avoir dû déclarer qu'elle était athée pour se voir dispenser d'apposer sa main sur l'Evangile et procéder à une affirmation solennelle. Sur le formulaire du procès-verbal figure un texte standard « chrétien orthodoxe ». De plus, le texte standard « ayant apposé sa main sur l'Evangile » a été rayé et remplacé par la phrase « avoir fait une affirmation solennelle ».

29.  Le 6 août 2007, le premier requérant fut entendu sans prêter serment, comme partie civile dans une procédure pénale et la deuxième requérante fut entendue sous serment par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel de Halandri. Ils durent déclarer qu'ils étaient athées. Sur les formulaires des procès-verbaux, le texte standard comportant le terme « chrétien orthodoxe » a été rayé et il est mentionné dans les deux cas « athée selon sa déclaration ».

30.  Le 9 août 2007, le premier requérant fut entendu à deux reprises sous serment par le procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes lors du dépôt de deux plaintes. Sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant les termes « articles 218 et 219 du code de procédure pénale », « chrétien orthodoxe » et « ayant apposé sa main sur l'Evangile » a été rayé et remplacé dans les deux cas par les mots « athée selon sa déclaration » et « avoir fait une affirmation solennelle selon l'article 220 du code de procédure pénale ».

31.  Le 19 septembre 2007, le premier requérant fut entendu comme témoin sans prêter serment par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel d'Athènes. Sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant les termes « chrétien orthodoxe » a été rayé et remplacé par le mot « athée ».

32.  Les 25 septembre et 18 octobre 2007, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel d'Athènes. Il allègue avoir dû déclarer être athée pour se voir dispenser d'apposer sa main sur l'Evangile et procéder à une affirmation solennelle. Sur le formulaire du procès-verbal de l'audition du 18 octobre 2007, il est mentionné « athée ». De plus, le texte standard « ayant apposé sa main sur l'Evangile » a été rayé et remplacé par la phrase « avoir fait une affirmation solennelle ».

33.  Le 19 octobre 2007, le premier requérant fut entendu sous serment par le procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes lors du dépôt d'une plainte. Sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant les termes « articles 218 et 219 du code de procédure pénale », « chrétien orthodoxe » et « ayant apposé sa main sur l'Evangile » a été rayé et il est mentionné dans les deux cas « athée selon sa déclaration » et « avoir fait une affirmation solennelle selon l'article 220 du code de procédure pénale ».

34.  A la même date, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par le tribunal correctionnel d'Athènes suite à sa demande de correction du procès-verbal et de la décision no 56081/2006 de la même juridiction. Le premier requérant allègue que, malgré sa déclaration explicite selon laquelle il est athée, lesdits documents mentionnent qu'il est chrétien orthodoxe et qu'il a prêté serment. Par sa décision no 55607/2007, le tribunal correctionnel d'Athènes rejeta la demande de correction en se déclarant incompétent. A ce jour, aucune correction des documents en cause n'est intervenue.

35.  A la même date, le premier requérant fut entendu sous serment par le procureur près la Cour de cassation suite à une plainte déposée contre le procureur adjoint près la Cour de cassation. Il allègue avoir dû révéler ses convictions religieuses pour faire une affirmation solennelle selon l'article 220 du code de procédure pénale.

36.  Le 23 octobre 2007, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par la cour d'appel de Thessalonique. Dans la décision no 3432/2007, il est mentionné comme chrétien orthodoxe, alors qu'il allègue que lors de l'audience de l'affaire, il avait déclaré être athée.

37.  Les 1er et 15 novembre 2007, le premier requérant fut entendu par le procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes tant sous serment comme témoin que sans prêter serment, dans le cadre d'une affaire pénale où il s'était constitué partie civile. Il allègue avoir dû déclarer qu'il était athée. Sur le formulaire du procès-verbal afférent à l'audition du 1er novembre, le texte standard « chrétien orthodoxe » a été rayé.

38.  Le 21 novembre 2007, les premier et troisième requérants furent entendus sous serment comme plaignant et témoin, respectivement, par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel de Halandri. Sur les formulaires des procès-verbaux, le texte standard comportant les termes « articles 218 et 219 du code de procédure pénale », « chrétien orthodoxe » et « ayant apposé sa main sur l'Evangile » a été rayé et remplacé dans les deux cas par les mots « athée » et « avoir fait une affirmation solennelle selon l'article 220 § 2 du code de procédure pénale ».

39.  Le 22 novembre 2007, le premier requérant fut entendu à deux reprises, d'abord sous serment comme témoin, puis sans prêter serment, par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel d'Athènes. Il allègue avoir dû déclarer qu'il est athée. Sur les formulaires de procès-verbaux, il est mentionné « athée » et le texte standard « ayant apposé sa main sur l'Evangile » a été rayé et remplacé par la phrase « avoir fait une affirmation solennelle selon les articles 218 et 220 du code de procédure pénale ».

40.  Le 26 novembre 2007, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par le tribunal correctionnel de Patras. Sur les procès-verbaux, il est mentionné qu'il est athée et qu'il a fait une affirmation solennelle.

41.  Le 30 novembre 2007, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par le tribunal de première instance d'Athènes. Il allègue avoir dû révéler qu'il était athée afin de pouvoir faire une affirmation solennelle.

42.  Le 4 décembre 2007, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par la cour d'appel d'Athènes. Sur le procès-verbal il apparaît comme « chrétien orthodoxe ». Le 15 avril 2008, il sollicita la correction du procès-verbal et la radiation du terme « chrétien orthodoxe ». Le 14 janvier 2009, ladite demande fut rejetée par la cour d'appel d'Athènes (arrêt no 214/2009).

43.  Le 6 décembre 2007, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par le procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes. Le procès-verbal indique qu'il est « athée selon sa déclaration », qu'il a apposé sa main sur l'Evangile et qu'il a prêté serment selon les articles 218 et 219 du code de procédure pénale.

44.  Le 31 décembre 2007, le premier requérant fut entendu sous serment comme témoin par le juge d'instruction près le tribunal correctionnel d'Athènes. Sur le formulaire du procès-verbal, le texte standard comportant le terme « chrétien orthodoxe » a été rayé et il est mentionné « athée selon sa déclaration ».

45.  En général, les requérants soutiennent que chaque fois que leur comparution impliquait la prestation de serment, le magistrat compétent les invita, selon l'article 218 du code de procédure pénale, à apposer la main droite sur l'Evangile et à prêter serment. Les requérants durent l'informer qu'ils n'étaient pas chrétiens orthodoxes et qu'ils souhaitaient donc faire une affirmation solennelle, demande accueillie à chaque fois. Lorsque leur comparution n'impliquait pas la prestation de serment, ils relèvent qu'ils furent obligés de révéler leurs convictions concernant la divinité afin de demander la correction du texte standard « chrétien orthodoxe » du formulaire de procès-verbal.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La Constitution

46.  L'article 13 de la Constitution hellénique dispose :

« 1.  La liberté de conscience religieuse est inviolable. La jouissance des libertés publiques et des droits civiques ne dépend pas des convictions religieuses de chacun.

2.  Toute religion connue est libre, et les pratiques de son culte s'exercent sans entrave sous la protection des lois. Il n'est pas permis que l'exercice du culte porte atteinte à l'ordre public ou aux bonnes mœurs. Le prosélytisme est interdit.

3.  Les ministres de toutes les religions connues sont soumis à la même surveillance de la part de l'Etat et aux mêmes obligations envers lui que ceux de la religion dominante.

4.  Nul ne peut, en raison de ses convictions religieuses, être dispensé de l'accomplissement de ses obligations envers l'Etat ou refuser de se conformer aux lois.

5.  Tout serment n'est imposé qu'en vertu d'une loi qui en détermine aussi la formule. »

B.  Le code de procédure pénale

47.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale prévoient :

Article 145

Rectification et mise au point des décisions, des arrêtés et des procès-verbaux

« 1.  Lorsque des erreurs qui n'entraînent pas la nullité se produisent dans un arrêt ou un arrêté, le juge qui l'a rendu ordonne, ex officio ou suite à la demande du procureur ou d'une des parties, sa rectification ou sa mise au point, à condition qu'il n'y ait pas d'altération ou de modification substantielle de ce qui s'est déroulé à l'audience.

2.  La rectification peut porter, entre autres, sur l'identité de l'accusé, la mise au point d'une motivation insuffisante et la précision du dispositif de l'arrêt (...)

3.  Dans un délai de vingt jours à partir de la transcription de l'arrêt définitif, mis au net, au registre spécial tenu au greffe, les parties et le procureur peuvent demander ou le juge peut ex officio ordonner la rectification des erreurs ou la mise au point des omissions dans les procès-verbaux, si les conditions du paragraphe 1 se trouvent réunies. »

Article 217

Vérification de l'identité du témoin

« Le témoin, avant son audition, est invité à fournir ses nom et prénom, son lieu de naissance, son adresse de résidence, son âge et sa religion (...). »

Article 218

Prestation de serment lors de l'audience

« 1.  Tout témoin doit, sous peine de nullité de la procédure, prêter serment en public avant d'être entendu lors d'une audience, en apposant sa main droite sur l'Evangile, en prononçant ce qui suit : « Je jure devant Dieu de dire toute la vérité et uniquement la vérité sans rien ajouter ni dissimuler. »

(...). »

Article 220

Prestation de serment des non-orthodoxes

« 1.  Si le témoin croit à une religion reconnue ou simplement tolérée par l'Etat, la forme connue du serment, si celui-ci existe, est valide dans le cadre de la procédure pénale.

2.  Si le témoin croit à une religion qui ne permet pas la prestation de serment ou si le juge d'instruction ou le tribunal sont convaincus, après déclaration de l'intéressé, que celui-ci ne croit à aucune religion, le serment est ce qui suit : « Je déclare, invoquant mon honneur et ma conscience, que je dirai toute la vérité et uniquement la vérité sans rien ajouter ni dissimuler. »

C.  Le code civil

48.  Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes du code civil :

Article 57

« Celui qui, d'une manière illicite, est atteint dans sa personnalité, a le droit d'exiger la fin de l'atteinte et, en outre, l'abstention de toute atteinte à l'avenir (...).

En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n'est pas exclue. »

Article 59

« Dans les cas prévus par les deux articles précédents le tribunal peut, par son jugement rendu à la requête de celui qui a été atteint et compte tenu de la nature de l'atteinte, condamner en outre la personne en faute à réparer le préjudice moral de celui qui a été atteint. Cette réparation consiste dans le paiement d'une somme d'argent, dans une mesure de publicité, et aussi dans tout ce qui est indiqué par les circonstances. »

D.  La loi d'accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code civil

49.  L'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil se lit comme suit :

« L'Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l'exercice de la puissance publique, sauf si l'acte ou l'omission a eu lieu en méconnaissance d'une disposition destinée à servir l'intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l'Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

50.  Cette disposition établit le concept d'acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l'Etat. Cette responsabilité résulte d'actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l'administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d'accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112 ; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217; arrêt no 535/1971 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 19e année, p. 1414; arrêt no 492/1967 de la Cour de cassation ; Nomiko Vima, 16e année, p. 75). La recevabilité de l'action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l'acte ou de l'omission.

E.  Le code de procédure civile

51.  La partie pertinente de l'article 408 du code de procédure civile dispose :

« Avant son audition le témoin doit prêter serment. Il est ainsi demandé s'il préfère prêter un serment religieux ou faire une affirmation solennelle.

(...) »

F.  La jurisprudence du Conseil d'Etat

52.  Dans son arrêt no 285/2001, l'assemblée plénière du Conseil d'Etat considéra :

« La liberté de conscience religieuse, qui protège les convictions de l'individu à l'égard de la divinité contre toute ingérence étatique, comprend, entre autres, le droit pour l'individu de ne pas divulguer sa confession ou ses convictions religieuses et de ne pas être obligé de faire ou de ne pas faire en sorte qu'on puisse tirer comme conclusion qu'il ait de telles convictions. Aucune autorité étatique ni aucun organe n'a le droit d'intervenir dans le domaine de la conscience de l'individu, qui est inviolable selon la Constitution, et de rechercher ses convictions religieuses, ou de l'obliger à extérioriser ses convictions concernant la divinité. La divulgation volontaire de ses convictions faite par un individu aux autorités dans le but d'exercer certains droits spécifiques reconnus par l'ordre juridique aux fins de la protection de la liberté religieuse (par exemple, celui d'être exempté de service militaire pour des raisons d'objection de conscience, ou du cours d'éducation religieuse ou d'autres obligations scolaires, comme assister à la messe ou à la prière, ou celui de créer une maison de prière ou une association à caractère religieux) n'est pas à mettre sur le même plan. (...) »

G.  L'avis du président du Conseil d'administration du tribunal administratif d'Athènes

53.  Dans son avis, daté du 8 décembre 2008 et adressé au Conseil juridique de l'Etat, le président dudit Conseil, juge en appel, a considéré ce qui suit :

« La lettre des articles 218 et 220 du code de procédure pénale semble porter atteinte à la liberté de religion, telle qu'elle est conçue dans l'arrêt no 2285/2001 de l'assemblée plénière du Conseil d'Etat (...). En effet, cette violation [de la liberté de religion] devient plus évidente, à la comparaison des articles 218 et 220 du code de procédure pénale avec l'article 408 du code de procédure civile, selon lequel le témoin est uniquement requis d'opter entre le serment religieux et l'affirmation solennelle. Au contraire, conformément à l'article 220 du code de procédure pénale, le juge doit être convaincu que le témoin n'est l'adepte d'aucune religion pour lui permettre de faire une affirmation solennelle. Toutefois, dans la pratique, (...), le juge pénal n'insiste pas pour examiner le for intérieur de l'intéressé et se satisfait de sa déclaration de ne pas vouloir prêter serment religieux, même à défaut de justification (...) »

EN DROIT

I.  JONCTION DES AFFAIRES

54.  Compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et à la question de fond qu'elles posent, la Cour décide de les joindre et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

II.  SUR LA RECEVABILITÉ DES REQUÊTES

55.  Les requérants se plaignent que la présence de symboles religieux dans les salles de tribunaux et le fait que les juges grecs sont des chrétiens orthodoxes, contribuent à faire naître des doutes quant à leur impartialité objective, voire subjective. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, disposition ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

56.  La Cour note d'emblée que, à supposer même que ce grief remplisse les conditions de recevabilité prévues par l'article 35 § 1 de la Convention, il n'est aucunement étayé. De surcroît, en ce qui concerne la présence de symboles religieux dans les tribunaux, la Cour constate que la plupart des incidents relatés par les requérants concernent des comparutions en chambre du conseil devant le juge d'instruction pour être entendus comme témoins, à savoir des procédures qui n'ont pas eu lieu dans une salle de tribunal. En outre, il ne ressort pas du dossier que les autorités judiciaires aient manqué à leur devoir d'impartialité vis-à-vis des requérants.

57.  En dernier lieu, la Cour rappelle que le système de recours individuel prévu à l'article 34 de la Convention exclut les requêtes introduites par voie d'actio popularis. Les requêtes doivent donc être introduites par des personnes se prétendant victimes d'une ou de plusieurs dispositions de la Convention. Ces personnes doivent pouvoir démontrer qu'elles ont été directement affectées par la mesure incriminée. En l'occurrence, la Cour observe qu'il n'a pas été établi qu'un lien suffisamment direct existe entre les requérants et les violations alléguées de l'article 6 § 1.

Il s'ensuit que cette partie des requêtes doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

58.  En outre, les requérants se plaignent qu'à plusieurs reprises, lors des procédures de prestation de serment devant des instances judiciaires, ils ont été obligés de révéler leurs convictions religieuses en méconnaissance des articles 8, 9 et 14 de la Convention. De surcroît, ils allèguent, sous l'angle de l'article 13 de la Convention, qu'ils ne disposaient en droit interne d'aucun recours au travers duquel ils auraient pu soulever leurs griefs tirés de la prétendue violation de leur liberté de religion.

59.  La Cour note qu'à titre principal, le Gouvernement plaide l'irrecevabilité des griefs allégués, faute pour les requérants d'avoir épuisé les voies de recours internes. En particulier, il affirme que rien n'empêchait les requérants de saisir les juridictions administratives d'une action tirée des articles 57 et 59 du code civil combinés avec l'article 105 de la loi d'accompagnement du même code, tendant à leur indemnisation pour l'atteinte prétendue à leur personnalité en raison de l'obligation de révéler ses convictions religieuses auprès des organes judiciaires. Le Gouvernement fournit un certain nombre d'arrêts rendus par les juridictions internes et ayant alloué des dommages-intérêts pour diverses causes d'atteinte à la personnalité des plaignants. Il note qu'il n'a pas à sa disposition des décisions de justice ayant appliqué les articles 57 et 59 du code civil dans des cas de restrictions imposées à la liberté de religion et, en particulier, dans le cadre de la prestation de serment. De l'avis du Gouvernement, cela est dû à la réalité grecque où il n'est pas fréquent que l'intéressé considère la prestation de serment comme un acte qui peut porter atteinte à sa liberté de religion. Par conséquent, il est fort improbable que dans cette hypothèse l'intéressé aurait recours à la justice, à l'instar des requérants. Sur cette base, le Gouvernement affirme qu'une action en dommages-intérêts en vertu des articles 57 et 59 du code civil ne saurait être considérée en principe comme inefficace et les requérants auraient dû épuiser cette voie de recours avant d'introduire leurs requêtes auprès de la Cour.

60.  La Cour estime que ladite exception est étroitement liée à la substance du grief articulé par les requérants sur le terrain de l'article 13 de la Convention et décide de la joindre au fond.

61.  La Cour constate par ailleurs que les griefs soulevés sous l'angle des articles 8, 9, 13 et 14 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'elles ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de déclarer cette partie des requêtes recevable.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

62.  L'article 13 de la Convention se lit ainsi :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

A.  Thèses des parties

63.  Le Gouvernement soutient que l'article 13 de la Convention n'a pas été enfreint. En se référant à son argumentation élaborée dans le cadre de son exception quant à la recevabilité des requêtes, il affirme que les intéressés auraient pu saisir les juridictions administratives d'une action en dommages-intérêts sur la base des articles 57 et 59 du code civil combinés avec l'article 105 de la loi d'accompagnement du même code, en vue de leur indemnisation pour l'atteinte prétendue à leur personnalité. Il ajoute que, de toute manière, en ce qui concerne de manière générale la compatibilité des dispositions du code de procédure pénale en cause avec la Convention, les juridictions grecques sont obligées, selon la Constitution, de ne pas appliquer une loi non conforme avec celle-ci ou avec la Convention.

64.  Les requérants affirment qu'ils ne disposaient pas de recours susceptibles de leur fournir une réparation adéquate pour la violation en cause. Ils arguent tout d'abord que la jurisprudence produite par le Gouvernement concerne des cas d'espèce qui n'ont aucun rapport avec l'affaire en cause. Ils notent à ce titre que lesdits arrêts sont afférents, entre autres, à la prohibition imposée à une personne d'entrer dans un casino, à l'emploi illégal d'une marque commerciale par une entreprise, à l'installation illégale d'une antenne téléphonique, ainsi qu'à des propos diffamatoires exprimés par un quotidien contre un universitaire. En outre, ils arguent que le Conseil d'Etat, dans son arrêt no 2601/1998, cité dans les observations du Gouvernement, admet que l'obligation de révéler ses convictions religieuses ou le fait d'être athée afin de pouvoir procéder à une affirmation solennelle au lieu de prêter serment n'enfreint pas les articles 13 de la Constitution hellénique et 9 de la Convention, du fait que ladite obligation ne vise pas la persécution de l'intéressé pour ses convictions religieuses. Par conséquent, les requérants affirment que l'ordre juridique interne ne leur offrait aucune voie de recours pour formuler le grief d'atteinte à leur liberté de pensée, de conscience et de religion.

B.  Appréciation de la Cour

65.  La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours pour les griefs que l'on peut estimer « défendables » au regard de la Convention. Un tel recours doit habiliter l'instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition (voir, parmi d'autres, Sampanis et autres c. Grèce, no 32526/05, § 55, 5 juin 2008).

66.  En outre, la Cour note que l'article 13 présente d'étroites affinités avec la règle de l'épuisement des voies de recours internes, énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention, se fondant sur l'hypothèse que l'ordre interne offre un recours effectif, en pratique comme en droit, quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI ; Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, §§ 96-98, CEDH 2000-XI). La Cour rappelle qu'en vertu de la règle de l'épuisement des voies de recours internes, le requérant doit, avant de saisir la Cour, avoir donné à l'Etat responsable, en utilisant les ressources judiciaires pouvant être considérées comme effectives et suffisantes offertes par la législation nationale, la faculté de remédier par des moyens internes aux violations alléguées (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I).

67.  L'article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, entre autres, Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 87, § 38). Enfin, celui qui a exercé un recours de nature à remédier directement – et non de façon détournée – à la situation litigieuse n'est pas tenu d'en épuiser d'autres éventuellement ouverts mais à l'efficacité improbable (Manoussakis et autres c. Grèce, arrêt du 26 septembre 1996, Recueil 1996-IV, § 33).

68.  En l'occurrence, la Cour note que le Gouvernement n'a produit aucun exemple jurisprudentiel propre à démontrer que l'utilisation de l'action en dommages-intérêts en vertu des articles 57 et 59 du code civil combinés avec l'article 105 de la loi d'accompagnement du même code, aurait pu constituer une voie de recours efficace en vue de leur dédommagement pour l'atteinte prétendue à leur personnalité. En outre, le Gouvernement ne relate aucun arrêt des juridictions internes ayant refusé d'appliquer les dispositions législatives en cause en raison de leur incompatibilité alléguée avec la Constitution hellénique et/ou la Convention. Or, il appartient à l'Etat qui excipe du non-épuisement des voies de recours internes d'établir l'existence de recours effectifs et suffisants (Soto Sanchez c. Espagne, n66990/01, § 34, 25 novembre 2003). Au vu de ce qui précède, force est à la Cour de rejeter l'exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes. En outre, compte tenu du fait que le Gouvernement n'a fait état d'aucun autre recours que les requérants auraient pu exercer afin d'obtenir le redressement de la violation alléguée au titre de l'article 9 de la Convention, la Cour conclut que l'Etat a manqué à ses obligations découlant de l'article 13 de la Convention.

69.  Au vu des considérations qui précèdent, la Cour considère qu'il convient d'écarter l'exception soulevée par le Gouvernement quant au non-épuisement des voies de recours internes et de conclure à la violation de l'article 13 de la Convention.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8, 9 et 14 DE LA CONVENTION

70.  La Cour note qu'elle examinera tout d'abord sous l'angle de l'article 9 de la Convention le grief des requérants portant sur l'obligation de révéler leurs convictions religieuses lors des procédures de prestation de serment devant des instances judiciaires. Cette disposition se lit ainsi :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

A.  Thèses des parties

1.  Le Gouvernement

71.  Le Gouvernement affirme qu'en l'espèce il n'y a pas eu ingérence dans l'exercice de la liberté de religion des requérants. Il considère que la procédure de prestation de serment devant les instances judiciaires, telle que décrite par les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, n'est pas contraire à la liberté de religion. Il estime que même dans le cas où ladite liberté serait limitée par l'obligation faite à l'intéressé de choisir entre la prestation de serment et l'affirmation solennelle, ladite restriction serait justifiée par l'objectif de garantir la bonne administration de la justice. Le Gouvernement estime que l'abolition de la prestation de serment et son remplacement par l'affirmation solennelle, comme le laisseraient entendre les requérants, ne serait pas une mesure adéquate pour garantir la véracité des témoignages et des dépositions des personnes concernées dans le contexte du procès pénal. Il ajoute que la possibilité de choisir entre la prestation de serment et l'affirmation solennelle est nécessaire, puisque chaque individu, selon sa personnalité, son éducation et sa vision du monde peut se sentir engagé soit sur son honneur, soit sur ses sentiments religieux.

72.  Le Gouvernement considère que l'option entre différents types de serments ou d'affirmations solennelles, prévue par l'article 220 § 2 du code de procédure pénale, n'implique pas nécessairement que l'organe judiciaire compétent oblige à chaque fois l'intéressé à révéler s'il est ou non chrétien orthodoxe. Celui-ci n'a qu'à choisir entre la prestation de serment et l'affirmation solennelle pour accomplir ses devoirs dans le cadre du procès pénal. En ce qui concerne les cas d'espèce, le Gouvernement note qu'il ne peut pas connaître les circonstances exactes dans lesquelles chaque procédure en cause s'est déroulée. Il ajoute que, selon la pratique, le juge pénal n'invite pas l'intéressé à expliquer les raisons pour lesquelles il ne souhaite pas prêter serment. Il se réfère sur ce point à l'avis, daté du 8 décembre 2008, du président du Conseil d'administration du tribunal administratif d'Athènes, qui considère que selon la pratique judiciaire, le juge pénal n'insiste pas à scruter le for intérieur de l'intéressé et se satisfait de sa déclaration de ne pas vouloir prêter serment religieux, même à défaut de justification.

73.  En tout état de cause, l'article 145 du code de procédure pénale prévoit la possibilité de rectification des décisions judiciaires, des arrêtés et des procès-verbaux, si des erreurs s'y sont produites. Le Gouvernement indique que si les requérants avaient été qualifiés à certaines reprises, par inadvertance, comme des « chrétiens orthodoxes » sur les procès verbaux en cause, ils avaient le droit de solliciter leur rectification conformément à l'article 145 du code de procédure pénale. En effet, il note qu'à chaque fois qu'ils avaient soumis une telle demande auprès de l'organe judiciaire compétent, celle-ci fut accueillie et, par conséquent, l'Etat a remédié à l'atteinte prétendue à leur liberté de religion.

2.  Les requérants

74.  Les requérants combattent les thèses avancées par le Gouvernement. Ils affirment tout d'abord que la lettre des articles 217, 218 et 220 du code de procédure pénale porte atteinte à la liberté de religion du fait qu'il y est sous-entendu que le témoin est en principe chrétien orthodoxe. Par conséquent, l'intéressé doit révéler ses convictions religieuses afin de ne pas prêter le serment religieux prévu par l'article 218 du code de procédure pénale. Les requérants se réfèrent à l'avis, daté du 8 décembre 2008, émis par le président du Conseil d'administration du tribunal administratif d'Athènes, et fourni par le Gouvernement. Ils notent que le Gouvernement omet de se référer à la partie de cet avis où il est considéré que la lettre des articles 218 et 220 semble en soi porter atteinte à la liberté de religion en le mettant en comparaison avec l'article 408 du code de procédure civile.

75.  En outre, s'agissant des circonstances de l'espèce, les requérants allèguent qu'ils ont dû à chaque fois déclarer auprès des autorités judiciaires qu'ils n'étaient pas chrétiens orthodoxes ou qu'ils étaient athées ou de confession juive, pour pouvoir faire une affirmation solennelle. De plus, ils ont dû extérioriser leurs sentiments religieux afin de demander la suppression du texte standard « chrétien orthodoxe » qui apparaissait sur les formulaires des procès-verbaux. Enfin, les requérants allèguent que l'article 145 du code de procédure pénale prévoit, certes, la rectification des procès-verbaux en cause. Cependant, cet élément ne peut pas a posteriori remédier au fait qu'ils ont déjà été obligés de révéler leurs convictions religieuses en public ou in camera. En tout état de cause, les requérants notent qu'à certaines reprises, bien qu'ils aient demandé la rectification des procès-verbaux en vertu de l'article 145 du code de procédure pénale, celle-ci n'a jamais eu lieu.

B.  Appréciation de la Cour

1.  Principes généraux

76.  La Cour rappelle que, telle que protégée par cette disposition, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l'une des assises d'une « société démocratique » au sens de la Convention. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d'adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer (voir, entre autres, Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 17, § 31, et Buscarini et autres c. Saint-Marin [GC], nº 24645/94, § 34, CEDH 1999-I).

77.  Si la liberté de religion relève d'abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l'occasion de consacrer des droits négatifs au sein de l'article 9 de la Convention, notamment la liberté de ne pas adhérer à une religion et celle de ne pas la pratiquer (voir, dans ce sens, Kokkinakis c. Grèce, et Buscarini et autres c. Saint-Marin, précités).

78.  En outre, la liberté de manifester ses convictions religieuses comporte également un aspect négatif, à savoir le droit pour l'individu de ne pas être obligé de manifester sa confession ou ses convictions religieuses et de ne pas être obligé d'agir en sorte qu'on puisse tirer comme conclusion qu'il a - ou n'a pas - de telles convictions. Aux yeux de la Cour, les autorités étatiques n'ont pas le droit d'intervenir dans le domaine de la liberté de conscience de l'individu et de rechercher ses convictions religieuses, ou de l'obliger à manifester ses convictions concernant la divinité. Cela est d'autant plus vrai dans le cas où une personne est obligée d'agir de la sorte dans le but d'exercer certaines fonctions, notamment à l'occasion d'une prestation de serment (voir en ce sens, Alexandridis c. Grèce, no 19516/06, § 38, CEDH 2008-...).

2.  Application en l'espèce

a)  Sur l'existence d'une ingérence

79.  La Cour observe d'emblée qu'elle se trouve confrontée à des versions divergentes quant à la manière dont les procédures en cause se sont déroulées devant les instances judiciaires compétentes. En particulier, les requérants affirment qu'à chaque fois le juge compétent les invitait à apposer la main droite sur l'Evangile et à prêter serment. A chaque fois, les requérants devaient l'informer qu'ils n'étaient pas chrétiens orthodoxes et que, pour cette raison, ils souhaitaient faire une affirmation solennelle. Pour sa part, le Gouvernement s'abstient de confirmer ou d'infirmer la version des faits présentée par les requérants. Il note qu'il ne peut connaître la manière exacte dont les procédures en cause se sont déroulées.

80.  La Cour, qui demeure libre de se livrer à sa propre évaluation des faits à la lumière de l'ensemble des documents dont elle dispose (Alexandridis c. Grèce, précité, § 34 ; Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, § 32, série A nº 336), note qu'il ressort du dossier que les procès-verbaux soumis par les parties comportent un texte standard, rayé dans la plupart des cas d'espèce, indiquant que la personne qui se présente devant l'organe judiciaire compétent est « chrétien orthodoxe ». De surcroît, dans un certain nombre des procès-verbaux fournis, les requérants sont explicitement mentionnés comme « athées » ou « de confession juive ». Ces éléments donnent à penser que les requérants ont été considérés par principe comme chrétiens orthodoxes et qu'ils dû indiquer, soit en audience soit in camera, qu'ils n'appartenaient pas à cette religion et, à certaines reprises, qu'ils étaient athées ou de confession juive pour procéder à la radiation du texte standard susmentionné (voir en ce sens, Alexandridis c. Grèce, précité, § 39). Par conséquent, la Cour conclut qu'il y a eu en l'espèce une ingérence dans l'exercice, par les requérants, de leur liberté de religion, protégée par l'article 9 de la Convention.

b)  Sur la justification et la proportionnalité de l'ingérence

81.  Pareille ingérence est contraire à l'article 9 sauf si elle est « prévue par la loi », vise un ou plusieurs des buts légitimes cités au paragraphe 2 de l'article 9 et est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts. La Cour note qu'il n'est pas contesté par les parties que l'ingérence incriminée était « prévue par la loi », à savoir les articles 218 et 220 du code de procédure pénale. En outre, la mesure en cause poursuivait un but légitime au regard de l'article 9 § 2 de la Convention, à savoir la protection de l'ordre et, en particulier, la garantie de la bonne administration de la justice. Les parties ont concentré leur argumentation sur la nécessité de l'ingérence en cause. La Cour se penchera alors sur la question de savoir si l'ingérence litigieuse était proportionnée au but légitime poursuivi.

82.  La Cour note d'emblée que la présente affaire a trait à de multiples incidents au cours desquels les requérants ont dû révéler leurs convictions religieuses. Avant de passer à l'appréciation de chaque cas en cause de manière distincte, la Cour estime nécessaire d'examiner le cadre législatif régissant la prestation de serment dans le contexte du procès pénal. Elle observe qu'en ce qui concerne le procès pénal, la procédure de prestation de serment est régie par les articles 218 et 220 du code de procédure pénale. La question qui se pose dans le cas d'espèce, n'est pas donc de savoir si l'obligation faite aux intéressés de choisir entre la prestation de serment et l'affirmation solennelle porte atteinte à l'article 9 de la Convention, comme le Gouvernement le prétend. En revanche, la Cour doit déterminer si les dispositions pertinentes permettent à l'intéressé, à l'instar des requérants, d'opter pour l'affirmation solennelle au lieu de prêter serment, sans que cela entraîne la méconnaissance de l'aspect négatif de sa liberté de religion.

83.  La Cour note que l'article 218 du code de procédure pénale dispose que tout témoin est obligé, sous peine de nullité de la procédure, de prêter serment avant d'être entendu par l'organe judiciaire compétent. De plus, ladite disposition décrit explicitement la procédure de prestation de serment : l'intéressé doit apposer la main droite sur l'Evangile et jurer devant Dieu. En outre, l'article 220 du code de procédure pénale prévoit la procédure de prestation de serment pour les non-orthodoxes. D'une part, en ce qui concerne les religions reconnues ou simplement tolérées par l'Etat, l'intéressé peut choisir la forme du serment prévue par sa religion. D'autre part, l'intéressé peut faire une affirmation solennelle, à condition de croire à une religion qui ne permet pas le serment ou de ne croire à aucune religion. Dans ce dernier cas, le second paragraphe de l'article 220 dispose que l'organe judiciaire compétent doit en être convaincu.

84.  De l'avis de la Cour, ledit cadre législatif, appliqué par les juridictions internes dans les cas d'espèce, se concilie mal avec les exigences de la liberté de religion, telle qu'elle est garantie par l'article 9 de la Convention. En particulier, il ressort de ce qui précède que l'article 218 du code de procédure pénale crée une présomption, selon laquelle le témoin est chrétien orthodoxe et souhaite prêter le serment religieux (voir, en ce sens, Alexandridis c. Grèce, précité, § 36). Ladite présomption est corroborée en l'espèce par le texte standard des divers procès-verbaux soumis par les requérants dans le cadre des présentes affaires, selon lequel le témoin est considéré en principe être « chrétien orthodoxe » et avoir prêté serment en apposant la main droite sur l'Evangile.

85.  L'article 220 du code de procédure pénale, intitulé « prestation de serment des non-orthodoxes », prévoit ainsi les exceptions à la règle posée par l'article 218 du même code. Or, il ressort de la lettre de cette disposition que l'intéressé ne peut pas se soustraire à l'obligation de prêter le serment religieux prévu par l'article 218 en optant simplement pour l'affirmation solennelle. La formulation même de l'article 220 implique la production d'informations plus précises sur ses convictions religieuses pour se voir soustraire à la présomption de l'article 218. L'intéressé doit soit déclarer au juge pénal, à l'instar de la quatrième requérante, être l'adepte d'une autre religion reconnue ou tolérée par l'Etat, afin de pouvoir prêter le serment religieux prévu par celle-ci, soit révéler qu'il croit à une religion ne permettant pas la prestation de serment pour faire une affirmation solennelle. En outre, il peut être obligé de convaincre le magistrat compétent qu'il ne croit à aucune religion, à l'instar des premier et troisième requérants, lorsque il souhaite faire une affirmation solennelle. Enfin, dans le cas où l'intéressé ne parviendrait pas à convaincre le juge d'instruction ou le tribunal, il apparaît qu'il serait obligé de prêter le serment prévu par l'article 218 du code de procédure pénale. Qui plus est, les articles 218 et 220 du code précité ne prévoient aucune exception pour les témoins qui sont orthodoxes mais pour lesquels prêter le serment prévu par l'article 218 serait contraire à leurs convictions. Dans ce cas aussi, la lettre des articles précités laisse entendre qu'ils seraient obligés de prêter un type de serment en contradiction avec leurs croyances religieuses.

86.  L'incompatibilité des dispositions législatives en cause avec l'article 9 de la Convention devient plus évidente si l'on prend en compte deux éléments supplémentaires : en premier lieu, selon l'article 217 du code de procédure pénale, aux fins de vérification de son identité, et avant son audition, le témoin est censé indiquer, parmi d'autres éléments, sa religion. Même si ladite disposition ne concerne pas directement la procédure de prestation de serment, elle est particulièrement pertinente en l'espèce. Il est ainsi établi que tout témoin est, en tout état de cause, en principe obligé de révéler aux organes judiciaires compétents ses convictions religieuses pour pouvoir être auditionné dans le cadre de la procédure pénale.

87.  En second lieu, la Cour relève qu'à la différence du code de procédure pénale, l'article 408 du code de procédure civile prévoit que le témoin peut, à son gré et sans condition supplémentaire, choisir entre la prestation de serment religieux et l'affirmation solennelle. Partant, la Cour observe une nette divergence du droit interne entre les procédures civile et pénale quant à la procédure à suivre pour l'audition des témoins ; en effet, dans le cadre de la première et à la différence de la seconde, le législateur a veillé à ce que la révélation des convictions religieuses de l'intéressé ne soit pas nécessaire lors de son audition comme témoin. Cette constatation est confirmée par l'avis du président du Conseil d'administration du tribunal administratif d'Athènes, daté du 8 décembre 2008 et soumis par le Gouvernement. Celui-ci admet que la lettre des articles 218 et 220 du code de procédure pénale semble porter atteinte à la liberté de religion, et que cette violation de la liberté de religion devient plus évidente si l'on compare les articles 218 et 220 du code de procédure pénale avec l'article 408 du code de procédure civile.

88.  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que les dispositions législatives appliquées en l'espèce ont imposé aux requérants la révélation de leurs convictions religieuses afin de faire une affirmation solennelle, ce qui a porté atteinte à leur liberté de religion. La Cour conclut que l'ingérence litigieuse n'était pas justifiée dans son principe ni proportionnée à l'objectif visé. Cette constatation ne rend pas nécessaire l'examen des incidents relatés par les requérants au cas par cas.

Il y a donc eu violation de l'article 9 de la Convention.

89.  Eu égard à sa conclusion sur le terrain de ladite disposition, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément ce grief sous l'angle des articles 8 et 14 de la Convention.

V.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

90.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

91.  Les requérants réclament conjointement et au total 116 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'ils auraient subi en raison de la violation de leur liberté de religion et de l'absence de recours effectif à cet égard dans tous les incidents relatés dans la présente affaire. De plus, ils invitent la Cour, en vertu de l'article 46 de la Convention, à faire des recommandations précises au Gouvernement afin de modifier la procédure de prestation de serment dans le cadre du procès pénal.

92.  Le Gouvernement affirme que le constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante pour les deuxième et troisième requérants en ce qui concerne la requête enregistrée sous le no 3237/07. Quant aux autres requêtes, le Gouvernement affirme que la somme à allouer ne saurait dépasser 2 000 EUR pour chacun des requérants concernés dans le cadre de chaque affaire respective.

93.  La Cour ne saurait contester le préjudice moral subi par les requérants du fait de la violation constatée de l'article 9 de la Convention. Statuant en équité et eu égard à toutes les circonstances pertinentes de l'affaire, elle alloue conjointement aux requérants 15 000 EUR à ce titre, plus toute somme pouvant être due à titre d'impôt.

94.  En outre, en ce qui concerne la demande des requérants en vertu de l'article 46 de la Convention, la Cour rappelle que dans le cadre de l'exécution d'un arrêt en application de ladite disposition, un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique au regard de cette disposition de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Il en découle notamment que l'Etat défendeur, reconnu responsable d'une violation de la Convention ou de ses Protocoles, est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 487, CEDH 2004-VII ; Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 198, CEDH 2004-II). De surcroît, il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu'en ratifiant la Convention les Etats contractants s'engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec celle-ci. Par conséquent, il appartient à l'Etat défendeur d'éliminer, dans son ordre juridique interne, tout obstacle éventuel à un redressement adéquat de la situation du requérant (Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, § 47, CEDH 2004-I).

B.  Frais et dépens

95.  Les requérants ne présentent pas de demande de remboursement de leurs frais et dépens. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

96.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Décide de joindre les requêtes ;

2.  Joint au fond l'exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;

3.  Déclare les requêtes recevables quant aux griefs tirés des articles 8, 9, 13 et 14 de la Convention portant sur l'obligation des requérants de révéler leurs convictions religieuses lors des procédures de prestation de serment devant des instances judiciaires et sur l'absence de recours au travers duquel ils auraient pu soulever leurs griefs tirés de la prétendue violation de leur liberté de religion, et irrecevables pour le surplus ;

4.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;

5.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 9 de la Convention ;

6.  Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément le grief tiré des articles 8 et 14 de la Convention ;

7.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 juin 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Nina Vajić 
 Greffier Présidente


 

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