PREMIÈRE SECTION

 

AFFAIRE ALEXANDRIDIS c. GRÈCE

(Requête no 19516/06)

 

ARRÊT

 

STRASBOURG

21 février 2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Alexandridis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Loukis Loucaides, président, Christos Rozakis, Nina Vajić, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens, Giorgio Malinverni, juges, et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 janvier 2008,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 19516/06) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Theodoros Alexandridis (" le requérant "), a saisi la Cour le 3 mai 2006 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Le requérant est représenté par le Moniteur grec Helsinki, membre de la Fédération internationale Helsinki. Le gouvernement grec (" le Gouvernement ") est représenté par les délégués de son agent, MM. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat et I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l'Etat.

3. Le requérant allègue en particulier que le fait d'avoir été obligé à révéler qu'il n'était pas chrétien orthodoxe a porté atteinte à son droit de ne pas manifester ses convictions.

4. Le 11 mai 2006, la Cour a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 9 et 13 de la Convention au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Par décision du ministre de la Justice, publiée dans le Journal Officiel du 8 septembre 2005, le requérant fut nommé avocat auprès du tribunal de première instance d'Athènes.

6. Le 2 novembre 2005, le requérant se rendit au tribunal de première instance d'Athènes afin de prêter le serment professionnel. En effet, selon l'article premier du code des avocats (voir paragraphe 17 ci-dessous), la prestation de serment devant un tribunal compétent est une condition requise afin que l'avocat puisse exercer ses fonctions.

A. La version des faits donnée par le requérant

7. Le requérant se rendit au secrétariat du tribunal de première instance. Conformément à la pratique, le secrétariat lui fournit un formulaire de procès-verbal, portant un texte standard, et invita le requérant à le remplir en y ajoutant la date et son état civil.

8. Par la suite, le requérant se présenta auprès de la présidente du tribunal de première instance d'Athènes au cours de l'audience publique que celle-ci tenait ce jour, lui transmit le formulaire de procès-verbal, dûment rempli et demanda à celle-ci de lui permettre de prêter le serment professionnel.

9. La présidente du tribunal invita le requérant à apposer la main droite sur l'Evangile et à prêter serment. Le requérant informa la présidente qu'il n'était pas chrétien orthodoxe et qu'il souhaitait donc faire une affirmation solennelle. La présidente accueillit sa demande.

10. A l'issue de cette procédure, le procès-verbal fut signé par la présidente et le greffier du tribunal.

B. Les versions des faits données par le Gouvernement

1. Selon ses observations initiales

11. Au lieu de se rendre au secrétariat du tribunal, conformément à la procédure établie par la pratique, le requérant se présenta directement devant la présidente du tribunal et demanda à celle-ci de lui permettre de faire une affirmation solennelle. La présidente accueillit sa demande.

12. Par la suite, le requérant se rendit au secrétariat du tribunal de première instance. Alors qu'il existait deux formulaires différents de procès-verbal, l'un pour le serment religieux et l'autre pour la déclaration solennelle, le requérant ne demanda pas le formulaire correspondant à sa situation, mais remplit le formulaire attestant la prestation d'un serment religieux. Le secrétariat signa le procès-verbal et en fournit des copies au requérant.

2. Selon ses observations en réponse à celles du requérant

13. Le requérant se présenta auprès de la présidente du tribunal de première instance d'Athènes, muni d'un formulaire de procès-verbal attestant la prestation d'un serment religieux.

14. La présidente invita le requérant à prendre le serment prévu par l'article 19 du code des fonctionnaires (voir paragraphe 18 ci-dessous), sans lui demander de révéler ses convictions religieuses. Le requérant réagit et demanda de faire une affirmation solennelle. La présidente accueillit sa demande.

15. Dès son retour au secrétariat, le requérant demanda des copies du procès-verbal attestant sa prestation de serment et ne procéda à aucune démarche afin d'obtenir la rectification de celui-ci.

C. Le procès-verbal de l'audience du tribunal de première instance d'Athènes du 2 novembre 2005

16. Le texte standard rédigé à l'issue de la procédure de prestation de serment du requérant se lisait ainsi :

" Lors de l'audience publique qui s'est déroulée aujourd'hui, Theodoros Alexandridis comparut et montra à la présidente le Journal Officiel nº 222 en date du 8/9/2005 en vertu duquel il avait été nommé avocat auprès du tribunal de première instance d'Athènes et demanda l'autorisation de prêter le serment professionnel.

Le procureur prit la parole et proposa qu'il soit autorisé à prêter serment.

La Présidente invita (...) [l'intéressé] qui, après avoir apposé la main droite sur le Saint Evangile, prêta le serment que la Présidente lui dicta :

" Je jure d'être fidèle à la patrie, d'obéir à la Constitution et aux lois et de remplir consciencieusement mes devoirs. "

Le présent procès-verbal fut rédigé et signé à l'appui de ce qui précède. "

(signatures de la présidente et du greffier)

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17. En Grèce, le statut d'avocat est régi par le Code des avocats, décret législatif nº 3026/1954.

Article 1

" L'avocat est un fonctionnaire public non rémunéré (...). Avant tout exercice de ses fonctions, l'avocat est tenu de prêter le serment professionnel devant le tribunal compétent et de s'inscrire au barreau ; suite à son inscription, sa nomination est achevée. "

Article 22

" 1. L'avocat est tenu de prêter le serment de fonctionnaire public lors d'une audience publique du tribunal de première instance (...)

(...)

3. Le greffier du tribunal est tenu de rédiger le jour même le procès-verbal de la prestation de serment et de le transmettre dans les huit jours au barreau ; seul le procès-verbal porte preuve de la prestation du serment. "

18. L'article 19 du code des fonctionnaires est ainsi libellé :

Prestation de serment - Prise des fonctions

1. (...) Le serment est le suivant :

a) " Je jure d'être fidèle à la patrie, d'obéir à la Constitution et aux lois et de remplir consciencieusement mes devoirs ".

(...)

c) Ceux qui déclarent ne croire à aucune religion ou ceux dont la religion ne permet pas la prestation de serment, confirment, au lieu de prêter serment, ce qui suit : " Je déclare, invoquant mon honneur et ma conscience d'être fidèle à la patrie, d'obéir à la Constitution et aux lois et de remplir consciencieusement mes devoirs. (...) "

19. Selon une pratique établie, l'avocat qui souhaite prêter le serment professionnel ou faire une déclaration solennelle se rend au secrétariat du tribunal de première instance dans le ressort du barreau dont il est membre pour se procurer un formulaire de procès-verbal, portant un texte standard. L'intéressé doit remplir quelques informations, telles que la date, son état civil et le numéro du Journal Officiel en vertu duquel il a été nommé avocat. Par la suite, il se présente devant le tribunal et remet le formulaire au président, qui l'invite à prêter serment. Après la prestation de serment, le président et le greffier signent le procès-verbal, dont une copie doit être déposée par l'intéressé au barreau.

20. L'article 145 du code de procédure pénale est ainsi libellé :

Rectification et mise au point des décisions, des arrêtés et des procès-verbaux

" 1. Lorsque des erreurs qui n'entraînent pas la nullité se produisent dans un arrêt ou un arrêté, le juge qui l'a rendu ordonne, ex officio ou suite à la demande du procureur ou d'une des parties, sa rectification ou sa mise au point à condition qu'il n'y ait pas d'altération ou de modification substantielle de ce qui s'est déroulé à l'audience.

2. La rectification peut porter, entre autres, sur l'identité de l'accusé, la mise au point d'une motivation insuffisante et la précision du dispositif de l'arrêt (...)

3. Dans un délai de vingt jours à partir de la transcription de l'arrêt définitif, mis au net, au registre spécial tenu au greffe, les parties et le procureur peuvent demander ou le juge peut ex officio ordonner la rectification des erreurs ou la mise au point des omissions dans les procès-verbaux, si les conditions du paragraphe 1 se trouvent réunies. "

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 8, 9 et 14 DE LA CONVENTION

21. Le requérant se plaint que lors de la procédure de prestation de serment professionnel, prévue par les articles 1 et 22 du code des avocats, il a été obligé à révéler ses convictions religieuses en méconnaissance des articles 8, 9 et 14 de la Convention. La Cour examinera ses griefs uniquement sous l'angle de l'article 9 de la Convention, ainsi libellé :

" 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

A. Sur la recevabilité

22. Le Gouvernement affirme à titre principal que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes, car il aurait pu demander la rectification du procès-verbal en vertu de l'article 145 du code de procédure pénale. Selon le Gouvernement, l'atteinte prétendue à la liberté de religion du requérant se rapportait au fait que le procès-verbal le présentait comme ayant prêté un serment religieux, contrairement à ses convictions. Or, l'introduction d'une demande de rectification aurait pu offrir au requérant le redressement de ses griefs.

23. Le requérant s'oppose aux thèses avancées par le Gouvernement. Selon lui, ses griefs ne portent pas principalement sur le fait que le procès-verbal ne correspond pas à la réalité, mais sur l'obligation de manifester ouvertement ses convictions religieuses lors de la procédure litigieuse. Or, le droit grec n'offre pas de voies de recours disponibles et effectives permettant de redresser cette violation.

24. La Cour rappelle qu'en vertu de la règle de l'épuisement des voies de recours internes énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d'obtenir réparation des violations qu'il allègue, étant entendu qu'il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours invoqué était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible et susceptible d'offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu'il présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, parmi d'autres, Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 66, et Giacobbe et autres c. Italie, nº 16041/02, § 63, 15 décembre 2005).

25. La Cour relève que la demande de rectification évoquée par le Gouvernement ne saurait être considérée comme remplissant les conditions d'accessibilité et d'effectivité voulues par l'article 35 de la Convention. En effet, il s'agit d'une procédure prévue par le code de procédure pénale et applicable a priori dans le contexte pénal. Il ne ressort pas de la formulation de cette disposition que celle-ci puisse être applicable dans le cadre d'autres procédures, notamment dans des procédures sommaires, non-juridictionnelles comme celle de la prestation de serment. Par ailleurs, le Gouvernement n'a fourni aucun exemple jurisprudentiel qui aurait permis à la Cour de constater que le recours proposé a été introduit de manière efficace dans des cas similaires à celui du requérant.

26. A la lumière des considérations qui précèdent, il s'ensuit que l'exception doit être écartée.

27. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

28. Le Gouvernement attache beaucoup d'importance, dans sa version des faits, sur le comportement prétendument négligent du requérant. Il affirme que ce dernier est seul responsable de la situation dont il se plaint devant la Cour, puisqu'il n'a pas été diligent et ne s'est pas conformé à la procédure de prestation de serment. En effet, le requérant s'est présenté directement devant la présidente du tribunal sans s'être muni du formulaire pertinent. Alors qu'il existait deux formulaires différents de procès-verbal, l'un pour le serment religieux et l'autre pour la déclaration solennelle, le requérant n'a pas utilisé le bon formulaire. A ce titre, le Gouvernement produit devant la Cour deux exemplaires de ces formulaires, datés de 2007. Selon le Gouvernement, le requérant n'était pas obligé de manifester ses convictions religieuses. A titre alternatif, le Gouvernement soulève que même si le requérant était obligé de révéler qu'il n'était pas chrétien orthodoxe, ceci était justifié par un but d'intérêt public et conforme au principe de proportionnalité.

29. Le requérant combat les thèses avancées par le Gouvernement. Il allègue que, comme tout avocat qui se présente devant les tribunaux pour prêter serment, il a été considéré, par défaut, comme chrétien orthodoxe et a dû énoncer son appartenance religieuse avant d'être autorisé à prêter un serment différent. Cela explique, selon le requérant, le fait que le procès-verbal le présente comme ayant prêté le serment religieux. A ce titre, le requérant ajoute que la majorité des formulaires standard utilisés devant les tribunaux, tels que les rapports d'audition de témoins, font référence au culte orthodoxe.

30. Concernant les observations du Gouvernement, le requérant soulève que les versions des faits présentées par celui-ci dans les différents documents produits devant la Cour sont contradictoires et incohérentes. En tout état de cause, le requérant affirme qu'il n'est même pas envisageable que la présidente du tribunal autorise un jeune avocat, qui se présente devant elle sans être muni des documents requis, de prêter serment. Par ailleurs, le requérant note que les exemplaires de procès-verbal fournis par le Gouvernement sont datés de 2007 et qu'en 2005, il n'existait qu'un seul formulaire, celui relatif au serment religieux.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

31. La Cour rappelle que, telle que protégée par l'article 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l'une des assises d'une " société démocratique " au sens de la Convention. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme - chèrement conquis au cours des siècles - qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d'adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer (voir, entre autres, Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 17, § 31, et Buscarini et autres c. Saint-Marin [GC], nº 24645/94, § 34, CEDH 1999-I).

32. Si la liberté de religion relève d'abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l'occasion de consacrer des droits négatifs au sein de l'article 9 de la Convention, notamment la liberté de ne pas adhérer à une religion et celle de ne pas la pratiquer (voir, dans ce sens, Kokkinakis c. Grèce, et Buscarini et autres c. Saint-Marin, précités).

b) Application en l'espèce

33. La Cour observe d'emblée qu'elle se trouve confrontée à des versions divergentes sur certains éléments des faits, notamment sur le point de savoir si le requérant avait respecté la procédure à suivre afin de prêter serment. Sur ce point, le Gouvernement, qui conteste la version du requérant, présente deux versions peu compatibles entre elles. Alors que dans ses premières observations, il affirme de manière catégorique que le requérant s'est directement présenté devant la présidente, sans être muni du formulaire de procès-verbal, il soutient, dans ses observations supplémentaires, que le requérant a transmis à la présidente du tribunal un formulaire de procès-verbal erroné.

34. La Cour, qui demeure libre de se livrer à sa propre évaluation à la lumière de l'ensemble des matériaux dont elle dispose (Ribitsch c. Autriche, arrêt du 4 décembre 1995, série A nº 336, p. 24, § 32), note qu'il ne ressort d'aucun document que le requérant n'a pas suivi la procédure prévue. D'ailleurs, le Gouvernement n'a fourni aucun autre élément à l'appui de cette version. En revanche, le procès-verbal de l'audience du tribunal de première instance d'Athènes du 2 novembre 2005 (voir paragraphe 16 ci-dessus), seul document officiel établi à l'issue de la procédure litigieuse, va dans le sens des dires du requérant. En effet, ce document porte les signatures de la présidente et du greffier du tribunal, ce qui corrobore la version du requérant, selon laquelle le formulaire de procès-verbal a été transmis à la présidente lors de l'audience, conformément à la procédure. Eu égard à ce qui précède, la Cour ne peut pas accorder de poids particulier à l'argument du Gouvernement, selon lequel le requérant n'aurait pas respecté la procédure à suivre.

35. Il convient donc d'examiner par la suite le fond des allégations du requérant. A cet égard, la Cour note que, même si l'institution de prestation de serment pourrait générer des doutes quant à sa nécessité dans le cadre d'une procédure devant un tribunal, elle n'est pas toutefois appelée à statuer de manière abstraite sur la prestation de serment en tant que condition d'exercice de la fonction d'avocat. La question qui se pose dans le cas d'espèce est de savoir si la manière dont la procédure de prestation de serment s'est déroulée devant le tribunal de première instance a obligé le requérant à révéler ses convictions religieuses en méconnaissance de l'article 9 de la Convention.

36. La Cour note que la procédure de prestation de serment d'avocat, telle qu'elle résulte des éléments produits devant elle, reflète l'existence d'une présomption, selon laquelle l'avocat qui se présente devant le tribunal est chrétien orthodoxe et souhaite prêter le serment religieux. Ainsi, lorsque le requérant s'est présenté devant le tribunal, il s'est vu obligé de déclarer qu'il n'était pas chrétien orthodoxe et, donc, de révéler en partie ses convictions religieuses, afin de pouvoir faire une affirmation solennelle.

37. Par ailleurs, la lecture du droit interne pertinent appuie ce constat. En effet, selon le premier paragraphe de l'article 19 du code des fonctionnaires (voir paragraphes 18 ci-dessus), le serment que tout fonctionnaire est invité à prêter est en principe le serment religieux. L'intéressé, pour être autorisé à faire une affirmation solennelle, est contraint de déclarer qu'il est athée ou que sa religion ne permet pas la prestation de serment.

38. Or, la Cour considère que la liberté de manifester ses convictions religieuses comporte également un aspect négatif, à savoir le droit pour l'individu de ne pas être obligé à manifester sa confession ou ses convictions religieuses et de ne pas être obligé d'agir en sorte qu'on puisse tirer comme conclusion qu'il a - ou n'a pas - de telles convictions. Aux yeux de la Cour, les autorités étatiques n'ont pas le droit d'intervenir dans le domaine de la liberté de conscience de l'individu et de rechercher ses convictions religieuses, ou de l'obliger à manifester ses convictions concernant la divinité. Cela est d'autant plus vrai dans le cas où une personne est obligée d'agir de la sorte dans le but d'exercer certaines fonctions, notamment à l'occasion d'une prestation de serment.

39. Par ailleurs, la Cour note que le fait que le procès-verbal, seul document officiel portant preuve de la prestation du serment, présente le requérant comme ayant prêté un serment religieux, contrairement à ses convictions, laisse apparaître l'idée que les avocats prêtant serment sont considérés par principe de culte chrétien orthodoxe. Certes, le Gouvernement soutient qu'il existait deux formulaires de procès-verbal, l'un pour le serment religieux et l'autre pour la déclaration solennelle. Toutefois, les exemplaires qu'il produit devant la Cour à l'appui de ses dires datent de 2007. Vu que le Gouvernement ne fournit aucune copie des procès-verbaux établis pendant la période en cause, la Cour ne saurait conclure à l'existence de tels formulaires à l'époque des faits.

40. En tout état de cause, à supposer même que deux formulaires différents existaient, la Cour est d'avis qu'il ne saurait être imputé au requérant l'omission prétendue de se procurer le formulaire adéquat. En effet, la présidente et le greffe du tribunal auraient dû informer le requérant qu'il existait un formulaire spécifique à la déclaration solennelle.

41. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le fait que le requérant a dû révéler devant le tribunal compétent qu'il n'était pas chrétien orthodoxe et qu'il ne souhaitait pas prêter le serment religieux, mais faire la déclaration solennelle a porté atteinte à sa liberté de ne pas avoir à manifester ses convictions religieuses.

Il y a donc eu violation de l'article 9 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

42. Le requérant se plaint qu'il ne disposait en droit interne d'aucun recours au travers duquel il aurait pu soulever ses griefs tirés de la prétendue violation de sa liberté de religion. Il invoque l'article 13 de la Convention, ainsi libellé :

" Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. "

A. Sur la recevabilité

43. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

44. Le Gouvernement soutient que cette disposition n'a pas été enfreinte. En effet, l'intéressé aurait pu demander la rectification du procès verbal en vertu de l'article 145 du code de procédure pénale.

45. Le requérant affirme qu'il ne disposait pas de recours qui aurait pu lui fournir une réparation adéquate pour la violation constatée.

46. La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours pour les griefs que l'on peut estimer " défendables " au regard de la Convention. Un tel recours doit habiliter l'instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. Le recours exigé par l'article 13 doit être " effectif ", en pratique comme en droit (Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, §§ 96-98, CEDH 2000-XI et Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, no 45701/99, § 136-137, CEDH 2001-XII).

47. En l'espèce, la Cour a conclu à la violation des droits du requérant au titre de l'article 9 de la Convention. Ses griefs revêtaient donc un caractère défendable au sens de la jurisprudence de la Cour.

48. Compte tenu des motifs pour lesquels elle a rejeté l'exception de non-épuisement que le Gouvernement tirait de l'article 145 du code de procédure pénale (voir le paragraphe 25 ci-dessus) et vu que le Gouvernement ne fait état d'aucun autre recours que le requérant aurait pu exercer afin d'obtenir le redressement de la violation de sa liberté de religion, force est à la Cour de constater que l'Etat a manqué à ses obligations découlant de l'article 13 de la Convention.

49. Partant, il y a eu violation de l'article 13 de la Convention.

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

50. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "

A. Dommage

51. Le requérant réclame 3 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.

52. Le Gouvernement affirme qu'un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

53. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 2 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

54. Le requérant ne présente pas de demande de remboursement de ses frais et dépens.

55. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

56. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 9 de la Convention ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;

4. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 février 2008, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides Greffier Président

ARRÊT ALEXANDRIDIS c. GRÈCE

ARRÊT ALEXANDRIDIS c. GRÈCE