EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

DEUXIEME SECTION

 

AFFAIRE VINCENT c. FRANCE

(Requête no 6253/03)

 

ARRÊT

 

STRASBOURG

24 octobre 2006

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Vincent c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président, J.-P. Costa, I. Cabral Barreto, Mmes A. Mularoni, E. Fura-Sandström, D. Jočienė, M. D. Popović, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 juin et 3 octobre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 6253/03) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Olivier Vincent (" le requérant "), a saisi la Cour le 11 janvier 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me M.A. Soubre M'Barki, avocate à Cergy-Pontoise. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, Directrice de la direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères.

3. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1)

5. Le 18 mars 2005, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

7. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 27 juin 2006 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

- pour le Gouvernement

Mme TISSIER, Magistrat, agent, Mme JOLY, Conseillère de tribunal administratif, conseil, Mme REUFLET, Magistrat, conseiller, Mme CHARBONNIER, Directrice des services pénitentiaires, conseiller, Mme TURPIN, Juriste, conseiller.

- pour le requérant

Me SOUBRE M'BARKI, avocate, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Tissier et Me Soubre M'Barki.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8. Le requérant est né en 1970 et est actuellement détenu à la maison d'arrêt de Villepinte.

9. Il est paraplégique depuis un accident de la circulation survenu en 1989. Il ne peut se déplacer qu'en fauteuil roulant. Il a conservé une mobilité normale des membres supérieurs et est autonome. Son état est actuellement stabilisé.

10. Le 25 novembre 2002, il fut mis en examen du chef d'enlèvement et séquestration d'un mineur de quinze ans (enfant de sept mois), et de séquestration pour favoriser la fuite ou l'impunité de l'auteur ou du complice de ce crime. Il fit l'objet d'une ordonnance de mise en détention provisoire du même jour et fut immédiatement incarcéré à la maison d'arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine).

11. Le 4 mars 2005, le requérant a été condamné par la cour d'assises de Seine et Marne à quatorze ans de réclusion criminelle assortis d'une période de sûreté de sept ans.

12. Le 15 mars 2006, cette peine a été ramenée en appel à dix ans de réclusion criminelle.

A. Nanterre

13. Le requérant a été incarcéré à la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine (Nanterre) du 25 novembre 2002 au 17 février 2003.

14. Le 25 décembre 2002, suite à une tentative de suicide (phlébotomie de la cheville), il fut admis au service des urgences de l'hôpital de Nanterre où il fut conduit avec des entraves. Il y resta quelques jours avant de retourner à la maison d'arrêt.

a) Thèse du requérant

15. Dans sa cellule, il rencontra des difficultés quotidiennes d'ordre pratique : il ne pouvait utiliser ni le miroir, ni les placards, placés trop haut, et ne pouvait accéder au bain de l'infirmerie en raison de l'absence d'aménagements spécifiques pour les fauteuils roulants.

16. Il indique n'avoir pu disposer de son fauteuil roulant du 31 janvier au 4 février 2003, en raison d'une défaillance mécanique. Le fauteuil de remplacement fourni par la prison étant vétuste et inutilisable, il dut se déplacer en se traînant sur le sol, notamment pour se rendre aux toilettes.

17. Le 17 février 2003, il fut transféré à Fresnes à la demande du psychiatre de l'établissement, ce dernier souhaitant qu'il puisse être suivi dans un centre pénitentiaire doté d'un service médico-psychologique régional (SMPR) et si possible incarcéré dans un hébergement adapté aux personnes à mobilité réduite.

Ce transfert eut lieu en fourgon cellulaire. L'état de santé du requérant exigeait selon lui un transport sanitaire adapté en ambulance.

b) Thèse du Gouvernement

18. Le Gouvernement souligne qu'un fauteuil de remplacement a été fourni au requérant lorsque le sien a dû être réparé.

Par ailleurs, le requérant disposait à Nanterre d'une chambre individuelle au rez-de-chaussée, avec des portes suffisamment larges pour qu'il passe avec son fauteuil. Il n'avait pas de lit médicalisé et ne pouvait accéder au bain sans un transfert de son fauteuil. Toutefois, il bénéficiait d'une intervention du personnel infirmier pour la toilette et de celle d'un détenu auxiliaire pour le nettoyage de la cellule.

19. Un rapport du chef d'établissement en date du 5 décembre 2002 à la Direction régionale des services pénitentiaires de Paris signalait des difficultés dans la prise en charge sanitaire du requérant. Il demandait le transfert vers un établissement doté de lits médicalisés et d'un service médico-psychologique régional (SMPR). Cette demande fut renouvelée le 12 février 2003 car il n'y avait pas de place la première fois. Le requérant fut transféré le 17 février 2003 en fourgon cellulaire, le médecin ayant estimé que le transport en ambulance n'était pas nécessaire.

B. Fresnes

20. Le requérant fut incarcéré à la maison d'arrêt du Val-de-Marne (Fresnes) du 17 février 2003 au 11 juin 2003. Il y bénéficia d'une cellule avec lit médicalisé, partagée avec un autre détenu également en fauteuil et disposa en outre d'une salle de bain spécialement aménagée partagée avec trois co-détenus.

a) Thèse du requérant

21. Durant ce séjour, il éprouva des difficultés de déplacement à l'intérieur de la prison en raison du manque d'aménagements et notamment de l'étroitesse des portes qui ne lui permettait pas de les franchir en fauteuil. Il ne pouvait accéder au bâtiment du secteur socio-éducatif et ne participa à aucune activité (sport, culte, travail).

22. Le 28 février 2003, le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) adressa au requérant une note ainsi rédigée :

" Après avoir évoqué votre problème pour accéder aux activités au rapport de division, il s'avère effectivement que vous ne pouvez franchir aucune porte avec votre fauteuil roulant. (....) "

23. Le 3 mars 2003, le Docteur Fac de l'unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) fournit au requérant à sa demande une attestation ainsi formulée :

" Je soussigné, Dr C. Fac certifie que [le requérant] (...) bénéficie d'une cellule et de sanitaires adaptés. Néanmoins, il ne peut accéder, comme un détenu valide, à certaines activités en particulier musculation, enseignement, culte... "

24. Le requérant se trouva dans l'impossibilité matérielle d'accéder seul aux activités sportives, culturelles, cultuelles et d'enseignement, ainsi qu'aux cabinets des médecins et psychologues. Habituellement autonome, il se retrouva de fait dans une situation de dépendance, l'intervention d'un surveillant étant à chaque fois nécessaire pour le porter afin de l'aider à franchir les portes et passer le fauteuil en en démontant une roue.

Le requérant estime en outre qu'en cas " d'incendie ou d'incident extraordinaire ", cette dépendance aurait mis sa vie et sa santé en danger en raison de l'impossibilité pour lui d'évacuer les lieux par ses propres moyens.

Enfin, il conteste avoir refusé de l'aide pour se déplacer à l'intérieur de l'établissement.

25. Dans sa cellule, le requérant éprouva également des difficultés à utiliser la douche, celle-ci étant équipée d'appuis latéraux malaisés à utiliser. Il demanda à plusieurs reprises que lui soit fournie une chaise et précise qu'il n'en obtint une que le 16 avril 2003, soit deux mois après son arrivée à Fresnes. Durant cette période, il ne put prendre aucune douche.

26. Le requérant se plaint par ailleurs de ce que le service médical de la maison d'arrêt lui fournit des sondes urinaires périmées.

27. Il déplore en outre le fait d'avoir eu à effectuer ses soins intimes en présence et à la vue directe de ses trois co-détenus (sondages urinaires et touchers rectaux pour l'évacuation des urines et des selles). Il se plaint également des rumeurs que ses co-détenus auraient alimentées dans la prison à ce sujet.

28. Le 6 mars 2003, il fut extrait en fourgon cellulaire pour comparaître devant le juge d'instruction.

Lors de cette extraction le médecin qui donna son accord pour ce mode de transport déclara qu'elle n'était " pas vétérinaire ". Jugeant ces propos inadmissibles, le requérant déposa une plainte contre elle auprès du procureur de la République de Créteil. Le médecin a ultérieurement fait l'objet d'un avertissement de la part d'un magistrat.

29. Le 22 mai 2003, se tenait l'audience de la cour d'appel de Paris concernant l'appel du requérant contre l'ordonnance de mise en détention provisoire du 25 novembre 2002. Il refusa de sortir du fourgon cellulaire pour protester contre ce moyen de transport qu'il estimait inapproprié à son état de santé. En conséquence, l'audience se tint hors de sa présence. Son appel fut déclaré irrecevable comme tardif par un arrêt du 22 mai 2003.

Il forma un pourvoi en cassation, estimant que le principe du contradictoire n'avait pas été respecté. Le pourvoi fut rejeté le 23 septembre 2003.

b) Thèse du Gouvernement

30. La maison d'arrêt de Fresnes a été conçue à la fin du XIXe siècle. Des travaux ont été faits dans une partie des locaux pour améliorer leur accessibilité aux détenus se déplaçant en fauteuil. Ainsi, des cellules ont été aménagées et les embrasures des portes des salles de soin situées au rez-de-chaussée ont été élargies. De même, la porte d'une salle a été élargie pour permettre aux détenus en fauteuil d'être reçus en audience dans des conditions de confidentialité satisfaisantes.

31. Le requérant partageait une cellule aménagée (sanitaire et mobilier) en rez-de-chaussée avec un autre détenu en fauteuil et avait un lit médicalisé. Il partageait une salle de bains adaptée avec trois autres détenus à mobilité réduite, y avait accès quotidiennement et bénéficiait pour ce faire de l'aide d'un détenu auxiliaire rémunéré par l'administration pénitentiaire.

32. Le Gouvernement ajoute que des infrastructures d'accueil des détenus handicapés ont été mises en place sous la forme d'un suivi et d'une garde médicale 24h/24, d'un accès direct aux cours de promenade ainsi qu'aux parloirs. En outre, un accompagnement est proposé pour l'accès à la bibliothèque, aux salles d'enseignement et à la chapelle, mais le requérant a toujours refusé. Un système de prêt d'ouvrages à distance et de cours par correspondance était effectif au moment de l'incarcération du requérant.

L'accès aux infrastructures sportives était subordonné à une liste d'attente.

Pour ce qui est des promenades, le Gouvernement précise que le requérant refusait de sortir de sa cellule car il ne souhaitait pas se promener avec d'autres handicapés.

33. En ce qui concerne l'extraction du 6 mars 2003, il indique que le médecin avait estimé que l'état du requérant n'était pas incompatible avec un transport en fourgon cellulaire.

34. Enfin, pour ce qui est de l'incident avec le médecin le même jour, le Gouvernement précise que le rapport de la Commission nationale de déontologie1 établit que, lorsque le médecin a décidé que le requérant pouvait être transporté en fourgon cellulaire, celui-ci a haussé le ton et indiqué qu'il n'était pas un animal. C'est en réponse à ces mots que le médecin a prononcé les paroles litigieuses. Ce n'était donc pas une expression de mépris mais simplement la réponse aux déclarations excessives du requérant. Elle a toutefois reconnu ensuite que ces propos étaient inappropriés. Elle a été entendue le 17 juin 2003 par les autorités judiciaires et a fait l'objet d'un avertissement de la part d'un magistrat du parquet.

C. Cergy-Pontoise

35. Le requérant a été incarcéré à la maison d'arrêt de Cergy-Pontoise (Osny) du 11 juin 2003 au 21 février 2005.

a) Thèse du requérant

36. Il rencontra là aussi des difficultés d'accès aux différentes activités de la prison.

L'accès à la bibliothèque et aux enseignements requérait l'aide d'une tierce personne pour gravir les escaliers. Convoqué à plusieurs reprises à la bibliothèque, le requérant ne put s'y rendre en l'absence de personnel disponible pour l'aider.

Le requérant déclare que l'accès au sport lui fut impossible jusqu'au 1er septembre 2003, puis de décembre 2003 à octobre 2004 car il avait été, selon lui, exclu sans motif. Il conteste par ailleurs avoir pu travailler.

37. Dans sa cellule, la douche n'était pas adaptée à une personne paraplégique puisqu'il devait actionner le bouton poussoir avec l'arrière de sa tête pour obtenir de l'eau.

Le requérant critique le manque de diligence du directeur de la maison d'arrêt qui constata ce problème de douche le 16 octobre 2003 et ne prit une mesure d'aménagement que le 23 novembre 2003.

38. Par ailleurs, lors de son extraction pour la confrontation du 31 juillet 2003, le requérant rapporte qu'il resta de 9 heures à 20 heures sans boire ni manger.

b) Thèse du Gouvernement

39. Le requérant était hébergé dans une cellule individuelle, située en rez-de-chaussée et équipée d'une douche. Il pouvait accéder, de manière autonome, à l'unité médicale, à la cour de promenade, aux parloirs et aux structures sportives. En revanche, une assistance était nécessaire pour accéder aux activités situées au premier étage (bibliothèque, salle de culte et unité scolaire).

Le requérant pouvait bénéficier du système de bibliothèque ambulante, de l'enseignement par correspondance et de rencontres en cellule avec un aumônier. Il a pu accéder aux activités sportives à partir du 1er septembre 2003.

Il a été classé dans un petit atelier spécifique destiné aux détenus handicapés ou fragiles. Toutefois, faute de commandes, aucune tâche n'a pu lui être proposée. Le Gouvernement précise qu'à cette période, seuls 9% des détenus de cette maison d'arrêt se voyaient régulièrement proposer du travail.

40. Pour ce qui est des difficultés rencontrées avec la douche, les travaux ont été exécutés un mois et demi après leur constatation, après l'établissement d'un devis, la commande de la prestation et le délai d'intervention. Le Gouvernement souligne par ailleurs que, dans un courrier qu'il a adressé le 4 juillet 2003 au directeur régional, le requérant indiquait : " du côté des sanitaires (WC, douche), vu mon état de santé actuel, j'ai encore la possibilité d'y avoir accès grâce à une relative autonomie, cependant vu la rapidité avec laquelle l'évolution de mon état de santé se dégrade, cela sera impossible d'ici quelques mois. " Il en conclut que le requérant reconnaissait avoir pu, dès son arrivée, utiliser la douche de sa cellule, et ce même avant que les travaux soient effectués.

41. En ce qui concerne les extractions pour lesquelles l'heure de retour du prévenu est inconnue, le détenu se voit remettre un " panier repas ".

D. Meaux-Chauconin

42. Le requérant a été transféré le 21 février 2005 dans cet établissement récent et particulièrement adapté aux personnes handicapées. Il ne soulève aucun grief à l'égard de cet établissement.

43. Un médecin inspecteur de santé publique fit, le 27 mai 2005, un compte-rendu d'enquête qui se lit comme suit :

" Situation de Mr Vincent au regard de l'accessibilité des lieux :

Mr Vincent est porteur d'un handicap l'amenant à être en permanence en fauteuil roulant.

Au regard de cette contrainte

- la maison d'arrêt de Meaux/Chauconin est accessible aux handicapés dans tous les lieux.

- Il y a des ascenseurs, accessibles aux fauteuils roulants.

La cellule de Mr Vincent :

- mesure 10m², comporte une douche accessible, aménagée à l'aide d'une chaise à accoudoirs, mais sans tablette ou chaise rabattable,

- des toilettes sont aménagées avec barre d'appui,

- le lit est à bonne hauteur,

- il n'y a pas de sonnette d'appel en cas de chute,

- les portemanteaux ne sont pas à une hauteur facile d'accès.

Au regard des loisirs sportifs

- Mr Vincent me dit avoir accès au gymnase, au tennis de table, au basket ;

- en revanche, il est plus difficile d'accéder à la salle de musculation en raison de marches à monter ;

Au regard de l'accès à la culture et à l'information

- Mr Vincent me fait savoir que l'accès est total.

Il est du reste sollicité pour prochainement devenir le responsable de la médiathèque, qui lui permettra d'accéder à un travail.

Au regard de l'accès aux soins

Mr Vincent peut faire tous les soins que requiert son état :

-Matériel, traitement, accès aux consultations ambulatoires comme les autres détenus.

La kinésithérapie n'est pas un soin possible dans l'UCSA en raison de l'absence de candidature de kinésithérapeute dans l'hôpital (et hors hôpital).

Au total :

Les plaintes de Mr Vincent portent essentiellement sur ses conditions de détention antérieures.

Les conditions actuelles de détention garantissent apparemment sans discrimination son accès aux lieux de vie du centre de détention, son accès aux soins, aux loisirs, à la culture, et prochainement au travail. "

E. Villepinte

44. Le requérant a été transféré le 21 mars 2006 à la maison d'arrêt de Villepinte.

a) Thèse du requérant

45. Selon lui, cette maison d'arrêt n'est pas adaptée à son handicap et il ne bénéficie plus dans cet établissement d'un suivi médical et psychologique. Il ajoute qu'il est privé de l'accès aux services et que sa cellule n'est pas aménagée pour qu'il puisse l'utiliser.

b) Thèse du Gouvernement

46. Le Gouvernement souligne que c'est suite à son propre comportement que le requérant a été transféré à Villepinte. En effet, à partir de la fin de l'année 2005, il a commencé à mettre en cause le directeur adjoint de l'établissement de Meaux-Chauconin et à l'accuser de " harcèlement " et de " brimades ". Il a déposé le 26 décembre 2005 une plainte contre X pour harcèlement moral, qui visait notamment le Directeur adjoint de cet établissement. Dans ces conditions, son maintien à Meaux n'était pas possible et les raisons de son transfèrement lui ont été expliquées dans un courrier du Directeur régional de l'administration pénitentiaire en date du 11 avril 2006 et qui se lit comme suit :

" Pour faire suite à votre courrier du 28 mars 2006 dans lequel vous vous plaignez d'avoir fait l'objet d'un transfert de la maison d'arrêt de Meaux-Chauconin sur la maison d'arrêt de Villepinte, je vous informe que votre transfert a été motivé par votre mauvais comportement sur l'établissement de Meaux-Chauconin. Je vous rappelle que durant votre présence sur la maison d'arrêt de Meaux-Chauconin, vous n'avez eu de cesse de vous plaindre de vos conditions de détention, en atteste votre précédent courrier adressé au Directeur régional le 26/12/2005, tout comme durant l'ensemble de votre détention sur les établissements de Nanterre, Fresnes ou Osny.

Je vous indique d'autre part qu'un dossier d'orientation est en cours d'instruction sur la maison d'arrêt de Villepinte afin de vous affecter sur un établissement pour peines. Vous avez la possibilité de joindre à ce dossier une lettre indiquant vos vœux concernant cette affectation. "

47. Le Gouvernement ajoute que le requérant est hébergé dans une cellule aménagée pour les handicapés, équipée d'une douche. Il a la possibilité d'accéder à la salle de sport, mais n'en avait pas encore fait la demande au 25 avril 2006, à la promenade, au culte, aux parloirs et aux ateliers. La bibliothèque n'est pas directement accessible, mais un fond d'une centaine d'ouvrages, régulièrement renouvelé, est accessible dans l'unité où il se trouve et en outre, la bibliothécaire peut lui apporter les livres demandés.

F. Recours exercés

48. Le requérant indique avoir adressé plusieurs courriers en vain au directeur de la maison d'arrêt de Fresnes les 14 avril, 30 avril et 13 mai 2003, ainsi qu'au directeur de la maison d'arrêt de Cergy-Pontoise les 30 décembre 2003 et 28 janvier 2004.

49. Concernant le problème du fauteuil roulant à Nanterre entre les 31 janvier et 4 février 2003, le requérant déposa une plainte le 10 août 2004 devant le procureur de la République de Nanterre. Celle-ci fit l'objet d'un classement sans suite le 30 décembre 2004, après que le requérant, l'infirmière responsable du personnel para-médical de la maison d'arrêt et un premier surveillant eurent été entendus.

L'infirmière, Mme R., déclara ce qui suit :

" Le jeudi soir, une infirmière m'a appelée à la maison pour me signaler que l'une des roues du fauteuil de M. Vincent était à plat. (...) Je lui ai dit d'échanger ce fauteuil avec celui dont nous disposions au service. Nous avons un fauteuil qui nous sert à aller chercher les détenus dans les étages quand ils ont un malaise ou autre. C'était donc un jeudi soir de 2003. Le vendredi matin j'ai essayé de voir s'il était possible au niveau de la maintenance interne de réparer une chambre à air pour cette roue. Ce n'était pas possible. (...). J'ai vu la directrice qui se trouvait présente à cette période, qui m'a autorisée à sortir la roue de l'établissement et à la faire réparer à mon domicile par mon mari. En attendant, M. Vincent était toujours dans le fauteuil du service, qui se trouvait être en bon état. Le lundi matin, je suis revenue avec la roue réparée par mon mari, que nous avons remise en place sur son fauteuil.

Quand je suis allée, le même jour, rapporter le fauteuil à M. Vincent, j'ai tout de même été très étonnée de voir qu'il me rendait un fauteuil cassé. Il manquait des écrous, plus de roulement à bille. Il me l'a rendu en mauvais état, une roue étant à nouveau cassée et j'ai encore eu un mal fou à le faire réparer, ici et à l'hôpital. Les écrous n'étaient plus sur l'appareil. Il n'a pas rendu les pièces manquantes, ni dit où elles pouvaient être, sans pouvoir nous indiquer où les récupérer et comment il avait pu faire.

Par contre, je ne sais pas à quelle période il a cassé ce fauteuil. Je n'irais pas jusqu'à dire que ce fut volontaire mais je me demande comment il a pu faire. Ces appareils sont tout de même costauds et il aurait pu au moins restituer les pièces manquantes (écrous).

Je sais que le vendredi des faits le fauteuil n'était pas cassé, sinon il aurait bien su nous le faire savoir. Il l'a récupéré le lundi suivant, j'en suis sûre. Il a pu rester trois jours avec le fauteuil de l'administration.

Des infirmières de l'UCSA sont présentes le week-end dans l'établissement même. Il n'a jamais fait appel à celles-ci durant le week-end. Il savait très bien, comme tout détenu, qu'elles étaient là en cas de besoin.

Il est vrai que s'il l'a cassé durant le week-end, il n'avait plus de moyen de locomotion, mais il aurait pu faire appel. (...)

J'ai regardé dans son dossier, il n'y a pas trace d'appel et les infirmières ne se souviennent pas d'une quelconque sollicitation.

Je ne peux rien dire de plus. Nous lui avons fourni un appareil, qu'il a cassé, je ne sais pas à quel moment. "

Le premier surveillant, M. Z., déclara quant à lui :

" Je me souviens très bien de cet incident. A l'époque, j'étais responsable du bâtiment B. Ce monsieur avait un fauteuil roulant personnel. Il était très procédurier. Il sollicitait souvent des audiences pour tout et n'importe quoi. Tous les jours, je descendais lui rendre visite dans sa cellule adaptée pour les handicapés. C'est très rare que nous recevions des personnes handicapées. Il était toujours accompagné quand il avait à circuler dans le bâtiment, soit par le père Léo, soit par une infirmière quand il devait se rendre au service médical.

Par la suite, nous avions convenu avec la direction qu'il pouvait finalement se déplacer tout seul. C'est là que les problèmes ont commencé. Je ne sais pas s'il avait crevé une de ses roues ou pas, toujours est-il qu'il s'est vu attribuer un autre fauteuil, dont disposait l'administration (médicale). Sa roue a été prise par l'infirmière en chef, Mme R., du fait que nous ne disposions pas de l'outillage (rustines) en maison d'arrêt. Elle l'a fait réparer elle-même. Nous lui avions fourni un fauteuil donc, et du fait qu'à mon sens il n'était pas satisfait d'avoir ce nouveau fauteuil, il me l'avait signifié, il avait démonté les deux roues, pas seulement une, arrières de ce nouveau fauteuil. J'ai vu les deux roues arrières, après remise, démontées dans sa cellule. Elles étaient à terre. Je m'étais mis en colère. C'est un type intelligent. Il m'avait déjà menacé de déposer plainte contre nous pour maltraitance. Nous n'avions pas d'autre chariot à lui proposer.

Il n'était pas isolé puisque je venais le voir tous les jours. La plupart du temps, il dormait, était couché dans son lit. Quand je l'interrogeais, il ne répondait pas ou à peine. (...)

Pour moi, le démontage par M. Vincent du fauteuil prêté était volontaire, parce qu'il était mécontent de ce matériel. Il est vrai qu'il pouvait paraître moins facile, moins sophistiqué que le sien. Les deux roues étaient enlevées, écrous dévissés. Je me souviendrai toujours qu'il trouvait ce matériel défectueux, voulait son fauteuil personnel.

Il est vrai que nous n'étions pas préparés à ce genre d'incident. Il a conservé le fauteuil de l'administration à peine deux jours. Il n'en voulait pas.

Quand j'ai retrouvé le fauteuil ainsi dans sa cellule, j'ai signalé au personnel médical que s'il y avait un problème, il lui faudrait se déplacer jusqu'à la cellule.

Il est resté sans fauteuil effectivement le temps de la réparation de la roue de son fauteuil personnel.

De toute façon, il n'allait pas en promenade. Il était mécontent de la structure de l'établissement, voulant aller à Fresnes, mieux adapté pour son cas. Il a toujours été revendicatif pour n'importe quoi.

Il était en surveillance spéciale, ce qui veut dire que les agents doivent le visiter plus régulièrement que les autres, au même titre que les suicidaires ou autres, jour et nuit.

Pour les toilettes, il se débrouillait dans sa cellule, seul, les cellules étant aménagées. Pour la douche, il était conduit tous les deux jours par les infirmières dans les locaux ad hoc. (...) "

50. Le requérant saisit le médecin inspecteur de la santé publique (MISP) qui écrivit ce qui suit au directeur de la maison d'arrêt du Val d'Oise dans un courrier non daté :

" En ma qualité de médecin inspecteur de la santé publique et en application de l'article D. 348-1 du code de procédure pénale, j'ai été saisi à deux reprises par des détenus de la maison d'arrêt du Val d'Oise pour un défaut d'accessibilité de certains services, comme la bibliothèque ou d'autres services de type socioculturel situés dans les étages. Les personnes à mobilité réduite ne peuvent s'y rendre en l'absence d'ascenseur.

J'imagine que la mise en place d'un tel équipement n'est pas réalisable immédiatement, mais je vous demanderais de rechercher tout autre moyen d'améliorer l'accessibilité des étages aux détenus handicapés, leur donnant ainsi des droits égaux à ceux des autres détenus. "

51. Le 14 mai 2003, le requérant reçut en réponse à un courrier du 27 mars 2003 adressé au ministre de la santé, la copie d'un rapport du directeur de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) du Val-de-Marne adressé au chef de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui se lit comme suit :

" (...) [Le requérant] se plaint des conditions d'incarcération non adaptées à son handicap. A Nanterre, les portes larges permettaient [au requérant] de circuler librement mais il ne pouvait accéder au bain sans être transféré de son fauteuil roulant.

A Fresnes, [le requérant] occupe une cellule aménagée spécialement pour handicapés et partage également avec trois autres co-détenus une salle de bain spécialement aménagée. Le siège de douche, trop haut pour lui et sans appuis latéraux, serait malaisé à utiliser. Les portes étroites de la maison d'arrêt (en dehors de celles des cellules, spécialement aménagées) ne lui permettent pas de sortir sur son fauteuil sans être transféré. Refusant de l'aide pour ce transfert, il ne participe pas aux activités. Il a toutefois accès aux promenades.

(...) La visite de la cellule ne permet pas de révéler d'anomalies au niveau de l'aménagement de la salle de bain. Le siège ne comporte pas d'appuis latéraux mais une chaise a été proposée au détenu par l'administration pénitentiaire pour pallier à cet inconvénient. La salle de bains n'est pas tout à fait adaptée au handicap du détenu mais les installations peuvent être utilisées s'il le désire (...)

La demande [du requérant] est d'être transféré dans un centre tout à fait adapté à son handicap.

[Le requérant] a fourni lors de l'enquête des sondes urinaires sèches de marque Coloplast, de type Easicath 5352 et de lot 9290718 périmées en avril 2002. Selon ses dires, ces sondes lui auraient été fournies par [l'unité de consultation et des soins ambulatoires (UCSA)] à son arrivée à Fresnes.

La consultation du dossier médical permet de retrouver que lors de son incarcération à Nanterre, le détenu a continué à utiliser ses propres sondes sèches refusant d'utiliser le matériel fourni par l'UCSA (sondes lubrifiées).

L'équipe infirmière de l'UCSA de Fresnes a été interrogée à ce sujet. Elle a donné [au requérant] des sondes Coloplast Speedicath et n'a pas dans son stock des sondes de type Easicath qui ne sont plus utilisées en raison du risque infectieux supplémentaire induit par l'obligation de les enduire d'eau stérile lors de l'utilisation.

La pharmacie de l'UCSA de Fresnes a retrouvé dans son stock des sondes Coloplast Easicath mais de lot (9994968) et de date de péremption (05/2002) différents. La boîte non entamée n'avait jamais été utilisée. Il s'agit d'un vieux stock oublié.

Conclusion :

[Le requérant] a une personnalité revendicatrice.

La prise en charge [du requérant] au sein de Fresnes dans une cellule spécialement aménagée est optimale en fonction des possibilités offertes par cette prison.

L'accusation par rapport à l'UCSA d'avoir fourni des sondes périmées ne paraît pas plausible.

Le patient a fait l'objet d'un suivi psychiatrique et ne nécessite plus actuellement de prise de traitement. "

52. Le 30 mai 2003 le requérant obtint en réponse à un courrier adressé au ministre de la justice, garde des sceaux le 12 mars 2003, une lettre du chef du bureau de la gestion de la détention indiquant ceci :

" (...) j'ai transmis votre requête à M. le directeur régional des services pénitentiaires de Paris à qui j'ai demandé de procéder à un examen attentif et d'y réserver la suite qu'il convient. (...) "

53. Le 25 avril 2003, l'observatoire international des prisons (OIP) alerté par le requérant, saisit l'IGAS qui diligenta une enquête. Par un courrier du 26 juin 2003 l'IGAS informa l'OIP des résultats de l'enquête et indiqua que :

" (...) La prise en charge de Monsieur [Vincent] à la maison d'arrêt de Fresnes dans une cellule spécialement aménagée pour handicapés est optimale en fonction des possibilités offertes par cette prison. Monsieur [Vincent] partage avec trois autres co-détenus une salle de bain spécialement aménagée. Les portes étroites de la maison d'arrêt ne lui permettant pas de sortir sur son fauteuil sans être transféré, il refuse de l'aide pour ce transfert, et ne participe donc pas aux activités. Il a toutefois accès aux promenades.

Le signalement de la fourniture de sondes périmées ne me paraît pas plausible. (...) ".

54. Le 30 juillet 2003, le directeur régional des services pénitentiaires, saisi par courriers des 19 mars et 4 juillet 2003 du requérant, fournit à ce dernier une réponse ainsi formulée :

" (...) La gestion des personnels placés sous main de justice à mobilité réduite ou en fauteuil roulant est très difficile car nos établissements sont mal adaptés pour cette catégorie de détenus. Dans votre situation après vos difficultés d'adaptation à la maison d'arrêt de Nanterre et à la maison d'arrêt de Fresnes, la maison d'arrêt du Val d'Oise semblait la plus adaptée à votre pathologie malgré quelques inconvénients. Comme dans chaque établissement le personnel pénitentiaire fait preuve de patience et de bonne volonté pour gérer vos difficultés. "

55. La commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la république (autorités publiques, services publics et personnes privées)2 fut saisie le 1er juillet 2003 par M. Noël Mamère, député de la Gironde. Elle auditionna le requérant le 19 novembre 2003 et adopta un avis et une recommandation le 9 janvier 2004 (voir annexe).

56. Le requérant écrivit le 28 février 2004 à la direction régionale des services pénitentiaires de Paris (DRSP) pour attirer l'attention sur sa situation. Le directeur répondit au requérant en ces termes dans un courrier du 22 mars 2004 :

" (...) Vous vous plaignez ainsi de ne pouvoir accéder aux bâtiments du secteur socio-éducatif pour y suivre des enseignements et aller à la bibliothèque. Vous indiquez par ailleurs n'avoir reçu aucune explication de la part de la direction à ce sujet.

Saisi par mes soins, le directeur de la maison d'arrêt du Val d'Oise m'a précisé qu'il vous avait reçu et vous [avait] déjà fourni toutes les explications : si l'unité de soins se trouve en rez-de-chaussée, les salles de cours et la bibliothèque sont situées à l'étage, sans ascenseur. Votre mobilité réduite ne peut vous permettre d'accéder à ce secteur.

Néanmoins, la direction a tout mis en œuvre pour que vos conditions de détention soient aussi justes que possible : le directeur de la maison d'arrêt m'a indiqué que vous aviez la possibilité de vous faire descendre les livres choisis, possibilité dont vous usez actuellement. Si vous souhaitez suivre des enseignements, je vous informe qu'il est possible que soit mis en place à votre attention un enseignement adapté à distance : je vous invite à vous rapprocher du responsable local de l'enseignement.

Concernant votre cellule, le directeur m'a également précisé qu'il avait fait procéder à des travaux complémentaires pour un aménagement aussi satisfaisant que possible, eu égard à votre état de santé.

Par ailleurs, je note dans votre dossier que vous avez été initialement écroué à la maison d'arrêt de Nanterre, dont vous avez été transféré le 17/02/03 sur demande médicale pour la maison d'arrêt de Fresnes, du fait d'une prise en charge médicale et psychologique insuffisante dont vous vous êtes plaint.

Sur Fresnes, par courrier adressé à la direction de cet établissement le 20 février 2003, vous vous êtes à nouveau plaint de votre transfert, jugeant que celui-ci était selon vous incompréhensible, et estimant vos nouvelles conditions de détention insuffisantes. Vous demandiez de pouvoir retourner à Nanterre dont vous aviez peu de temps auparavant demandé à être sorti.

Vous avez en conséquence été réaffecté sur la maison d'arrêt du Val d'Oise, un établissement équivalent à Nanterre, en juin 2003. Dans un courrier du 4 juillet 2003, vous indiquez que vous avez des difficultés à vous rendre dans le secteur socio-éducatif, en raison de l'architecture des lieux, vous notez, je cite, " ...une réelle volonté d'y remédier de la part du personnel pénitentiaire, ce qui n'était pas le cas à Nanterre et à Fresnes "

Il me semble donc qu'à chaque fois, l'ensemble du personnel des différents établissements ainsi que mes services, ont tout mis en œuvre pour répondre au mieux à vos demandes (...). "

57. Le requérant alerta le juge d'instruction sur sa situation dans un courrier du 15 mars 2004. Aucune suite ne semble avoir été donnée à ce courrier.

58. Le requérant fait par ailleurs état de plaintes, sans autres précisions, portées auprès du procureur de la république de Pontoise, contre la direction de la maison d'arrêt du Val d'Oise.

59. Enfin, le requérant signale qu'il alerta par un courrier du 28 avril 2003 le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l'Europe (CPT).

G. Autres procédures

60. Dans ses différentes correspondances adressées au Greffe, le requérant fait état de diverses procédures auxquelles il est partie :

61. D'abord, le requérant interjeta appel de l'ordonnance de mise en détention provisoire du 25 novembre 2002. Son appel fut déclaré irrecevable comme tardif par un arrêt du 22 mai 2003. Il forma un pourvoi en cassation qui fut rejeté le 23 septembre 2003, la Cour relevant notamment qu'ayant refusé d'être extrait pour comparaître devant la chambre de l'instruction, le requérant ne pouvait se faire un grief de ce que cette juridiction ait statué en son absence.

62. Ensuite, le requérant formula plusieurs demandes de remises en liberté. Elles firent toutes l'objet de décisions de rejet (18 mars, 4 avril, 17 avril, 5 mai, et 20 mai 2003) au motif qu'il n'apportait aucun élément nouveau.

63. Par ailleurs, un litige est pendant contre son avocate, qui ne s'est, selon lui, jamais présentée aux audiences et confrontations de son client et qui refuserait de lui restituer certains documents. Le bâtonnier et le procureur de la république de Melun sont saisis de l'affaire.

64. Le 27 novembre 2002, le requérant fit l'objet d'un article de journal qu'il considère comme discriminatoire, diffamatoire et mensonger. Il déposa deux plaintes, les 28 avril et 28 mai 2003, auprès du procureur de la République de Melun, la première pour diffamation, la seconde contre le directeur de la publication pour son refus d'insérer un droit de réponse. Persuadé que ces plaintes seront classées sans suite, il porta également plainte auprès du procureur de la république de Créteil le 3 juin 2003.

65. Le requérant critique enfin les greffes des maisons d'arrêt qui ne transmettraient pas ses correspondances entrantes et sortantes dans les temps. De plus, deux courriers provenant du greffe de la Cour auraient été ouverts par l'administration pénitentiaire.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

66. Le requérant invoque plusieurs violations de l'article 3 de la Convention, tirées des conditions de détention dans les différents établissements où il a séjourné, conditions selon lui incompatibles avec son handicap physique.

67. Concernant la maison d'arrêt de Fresnes, le requérant soulève plusieurs griefs.

68. Tout d'abord, il ne pouvait franchir les portes de l'établissement, y compris celles de sa cellule, dans son fauteuil roulant en raison de l'étroitesse des embrasures.

Ensuite, il éprouva des difficultés à utiliser la douche dans sa cellule, celle-ci étant équipée d'appuis latéraux malaisés à utiliser.

Le requérant se plaint par ailleurs de ce que le service médical de la maison d'arrêt lui fournit des sondes urinaires périmées. Il déplore en outre le fait d'avoir eu à effectuer ses soins intimes en présence et à la vue directe de ses trois co-détenus.

Enfin, il se plaint de ce que le médecin ayant donné son accord pour son extraction en fourgon cellulaire le 6 mars 2003 a déclaré qu'elle n'était pas " vétérinaire ". Jugeant ces propos inadmissibles, le requérant déposa une plainte contre elle auprès du procureur de la République de Créteil.

L'article 3 se lit :

" Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

A. Sur les griefs tirés des conditions de détention à Fresnes

Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

69. Le Gouvernement estime que le requérant n'a pas utilisé les voies de recours dont il disposait devant les juridictions administratives.

70. Les faits soulevés par le requérant devant la Cour concernent en effet ses conditions de détention et relèvent de l'organisation du service public de l'administration pénitentiaire. Il avait donc la possibilité d'exercer un recours devant les juridictions administratives afin de faire reconnaître la responsabilité de l'Etat et obtenir réparation du préjudice causé par l'administration dans le cadre du fonctionnement de ses services publics. Cette possibilité lui offrait un recours effectif, accessible et efficace.

71. Dans le cas plus particulier des services pénitentiaires, la possibilité d'engager la responsabilité de l'administration pour faute dans le cadre de l'organisation et du fonctionnement de ce service publie a été reconnue dès un arrêt du Conseil d'Etat du 3 octobre 1958.

72. Le Gouvernement cite différents jugements permettant d'illustrer les tendances récentes de la jurisprudence concernant la responsabilité de l'Etat en raison des conditions d'organisation du service public pénitentiaire, dont un jugement du tribunal administratif de Paris du 2 mars 2006 qui a condamné l'Etat à verser au requérant un euro symbolique en réparation du préjudice moral résultant de l'ouverture d'un courrier soumis à la confidentialité, un autre du 13 janvier 2006 ayant condamné l'Etat et l'assistance publique des hôpitaux de Paris à verser une somme de 340 000 euros, pour une succession de fautes ayant conduit à une mauvaise prise en charge d'une tuberculose osseuse en prison.

73. Il souligne que les condamnations ne sont pas seulement symboliques, comme en attestent les sommes octroyées, et que les préjudices indemnisés sont variés, de sorte que ce recours en responsabilité est tout à fait efficace.

En l'espèce, il n'apparaît pas que le requérant ait introduit de recours contentieux devant les tribunaux administratifs pour l'ensemble des faits faisant l'objet de sa requête devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

En conclusion, le Gouvernement estime que la requête est irrecevable pour défaut d'épuisement des voies de recours internes.

74. Le requérant souligne qu'il appartient à l'État défendeur de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible, était susceptible de lui offrir le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès.

75. Il expose que la décision, positive ou négative, de transférer un détenu d'un établissement à un autre est traditionnellement qualifiée de mesure d'ordre intérieur et qu'il ne disposait donc pas de recours susceptible d'aboutir à son affectation dans un établissement adapté.

En effet, bien que la catégorie des mesures d'ordre intérieur, c'est -à- dire des mesures qui ne sont pas jugées suffisamment graves pour faire grief à leur destinataire et qui, pour cette raison, sont exclusives d'un recours en annulation devant le juge administratif, soit en net recul depuis le milieu des années 1990, elle n'a pas pour autant disparu. Il estime dès lors qu'on ne pouvait attendre de lui qu'il entreprenne des démarches pour formuler une demande de transfert auprès des autorités pénitentiaires compétentes.

76. Certes, la cour administrative d'appel de Nancy a reconnu que la décision de transférer un détenu échappait à la qualification de mesure d'ordre intérieur. Par conséquent, elle a admis la recevabilité d'un recours contre le refus implicite de l'administration pénitentiaire d'accéder au souhait d'un détenu d'être transféré. Cependant, ce précédent manque de pertinence en l'espèce puisque cette jurisprudence n'émane pas de la plus haute juridiction de l'ordre administratif et que, si l'objet du litige concernait bien l'affectation d'un détenu dans un établissement adapté, la demande n'était pas motivée par un quelconque handicap mais par la nature de la peine.

Enfin et surtout, la cour de Nancy n'a développé cette analyse novatrice que le 2 février 2006.

77. Le requérant rappelle par ailleurs que, sans remettre en cause la légitimité et l'opportunité de l'exigence de l'épuisement des voies de recours internes, la Cour admet que, dans certaines hypothèses, il convient cependant de l'écarter. Ainsi, elle estime que " certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l'obligation d'épuiser les recours internes qui s'offrent à lui ".

78. La consécration d'une telle exception traduit, une fois encore, le souci de mettre en oeuvre la règle de l'épuisement des voies de recours internes en tenant compte, de manière réaliste, du contexte juridique et politique, ainsi que des situations personnelles. Envisager l'article 35 de la Convention sous cet angle répond principalement au besoin de sanctionner la carence, l'incurie ou la mauvaise foi des autorités nationales.

79. Le requérant rappelle par ailleurs que de nombreuses procédures qu'il a entamées sont restées sans suite.

80. Il en conclut que sa requête ne saurait dès lors être rejetée pour défaut d'épuisement des voies de recours internes.

2. Appréciation de la Cour

81. La Cour rappelle que la règle de l'épuisement des voies de recours internes énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention impose aux personnes désireuses d'intenter une action devant la Cour l'obligation d'utiliser auparavant les recours qui sont normalement disponibles dans le système juridique de leur pays et suffisants pour leur permettre d'obtenir le redressement des violations qu'elles allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues. L'article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l'organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l'on entend formuler par la suite, mais il n'impose pas d'user de recours qui sont inadéquats ou ineffectifs (voir les arrêts Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2275-2276, §§ 51-52, Akdivar et autres c. Turquie du 30 août 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, §§ 65-67 et Khachiev et Akaïeva c. Russie, nos 57942/00 et 57945/00, § 116, 24 février 2005).

82. Par ailleurs, l'article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement excipant du non épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible, était susceptible d'offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, précité, p. 1211, § 68 et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-...).

83. La Cour relève que dans la présente affaire, le Gouvernement cite de la jurisprudence visant à démontrer que le requérant pouvait saisir les juridictions administratives d'un recours engageant la responsabilité de l'administration pour faute dans l'organisation du service public pénitentiaire.

Elle note toutefois qu'aucun des jugements fournis ne porte sur des conditions de détention, dont il n'est pas établi que les tribunaux pourraient les considérer comme constitutives d'une faute de l'administration pénitentiaire. Par ailleurs, la jurisprudence citée au sujet du transfert d'un détenu (voir paragraphe 76 ci-dessus) est en tout état de cause postérieure aux faits dénoncés par le requérant.

84. Dans ces conditions, la Cour estime que dans la présente affaire le Gouvernement n'a pas démontré que le recours indiqué était susceptible de permettre de remédier à la situation dénoncée par le requérant.

85. Il s'ensuit que l'exception préliminaire du Gouvernement doit être rejetée.

La Cour constate par ailleurs que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Il convient donc de le déclarer recevable.

Sur le fond

1. Arguments des parties

86. Le requérant soutient que, compte tenu de son handicap, l'absence d'adaptation de ses conditions de détention est en soi constitutive d'un traitement inhumain et dégradant.

87. Concernant le fait qu'il ne pouvait franchir les portes de la prison avec son fauteuil en raison de leur étroitesse, le requérant conteste avoir refusé de l'aide pour se déplacer dans l'établissement et se réfère au certificat médical du docteur Fac du 31 mars 2003 et à une attestation d'un travailleur social en date du 28 février 2003, qui constate que le requérant ne peut franchir aucune porte avec son fauteuil. Il ajoute que tous les paraplégiques n'ont pas les mêmes facultés de déplacement. Son état de santé est reconnu par la COTOREP comme justifiant d'un taux d'invalidité de 85% avec assistance d'une tierce personne.

Pour les personnes atteintes du même handicap que lui, il est prévu une allocation permettant de payer l'assistance d'une tierce personne. Dans ces conditions, dès lors que l'administration pénitentiaire ne met pas une personne à disposition des personnes qui sont reconnues comme devant être assistées d'une tierce personne, il y a violation manifeste des dispositions de la Convention.

88. Il produit, concernant l'incident du 6 mars 2003 avec le médecin, deux procès-verbaux relatifs à son extraction et rapportant les observations d'un gendarme présent sur les lieux. Celui-ci, dans un premier procès-verbal du 7 mars 2003, précise qu'alors que la juge d'instruction chez qui ils devaient conduire le requérant avait demandé à voir impérativement le requérant ce jour-là et que la " plateforme " leur avait conseillé de faire appel au médecin de permanence à la maison d'arrêt, ils avaient été avisés que le médecin refusait de descendre pour examiner le requérant. Quelques instants plus tard, un médecin était arrivé et avait commencé à tenir des propos incorrects au détenu et avait refusé de prendre la décision de le faire extraire en véhicule médicalisé.

89. Dans un procès-verbal du 20 mars 2003, ce même gendarme précisait que le médecin s'était énervé et s'était adressé au requérant en lui disant que de toute façon, elle n'était pas vétérinaire et qu'elle ne s'occupait pas de transport d'animaux. Le gendarme relevait que le médecin n'était pas dans son état normal et se trouvait, a priori, dans un état d'ébriété.

Le requérant indique encore que la plainte qu'il a déposée contre le médecin qui avait déclaré qu'elle n'était pas " vétérinaire " a été classée sans suite et qu'il est toujours en attente d'une réponse à son courrier du 31 août 2005.

90. Le Gouvernement précise qu'à Fresnes, le requérant partageait une cellule aménagée pour l'accueil des handicapés, en rez-de-chaussée avec un autre détenu en fauteuil et avait un lit médicalisé. Il partageait une salle de bains adaptée avec trois autres détenus à mobilité réduite, y avait accès quotidiennement et bénéficiait pour ce faire de l'aide d'un détenu auxiliaire rémunéré par l'administration pénitentiaire.

91. Les cellules de la maison d'arrêt de Fresnes, à la vétusté non contestée puisque l'établissement date du XIXe siècle, ont toutefois fait l'objet d'un aménagement récent pour favoriser la prise en charge des détenus handicapés. Ainsi, les embrasures de portes des salles de soins situées au rez-de-chaussée ont été élargies et la porte d'une salle a également été élargie afin de permettre aux détenus en fauteuil d'être reçus en audience dans des conditions de confidentialité satisfaisantes. Ces aménagements n'ont toutefois pu être faits sur la totalité des salles d'activité et des parties communes de l'établissement en raison de l'ancienneté de la maison d'arrêt et du grand nombre de cellules (supérieur à 1400).

92. Il ajoute que des infrastructures d'accueil des détenus handicapés ont été mises en place sous la forme d'un suivi et d'une garde médicale 24h/24, d'un accès direct aux cours de promenade ainsi qu'aux parloirs. En outre, un accompagnement aux personnes à mobilité réduite est proposée par l'administration pénitentiaire pour les déplacements dans la maison d'arrêt et notamment pour l'accès à la bibliothèque, aux salles d'enseignement et à la chapelle, mais le requérant l'a toujours refusé. En effet, un détenu est employé au service général de la prison pour venir en aide à ses codétenus handicapés.

Un système de prêt d'ouvrages à distance et de cours par correspondance était effectif au moment de l'incarcération du requérant.

L'accès aux infrastructures sportives était subordonné à une liste d'attente.

93. Pour ce qui est de l'incident avec le médecin, le Gouvernement indique que le rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité établit que, lorsque le médecin a décidé que le requérant pouvait être transporté en fourgon cellulaire, celui-ci a haussé le ton et dit qu'il n'était pas un animal. C'est en réponse à ces propos que le médecin a prononcé les paroles litigieuses. Ce n'était donc en rien une expression de mépris mais simplement la réponse aux déclarations excessives du requérant. Il estime que le contexte des faits relativise la gravité des propos tenus mais précise que le médecin a reconnu ultérieurement que les propos qu'elle a tenus étaient inappropriés. Elle a été entendue par les autorités judiciaires et a fait l'objet d'un avertissement de la part d'un magistrat du parquet.

2. Appréciation de la Cour

94. La Cour réaffirme que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l'article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (arrêts Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI, Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001-III, et Gelfmann c. France, no 25875/03, § 48, 14 décembre 2004).

95. La Convention ne comprend aucune disposition spécifique relative à la situation des personnes privées de liberté, a fortiori malades, mais il n'est pas exclu que la détention d'une personne malade puisse poser des problèmes sous l'angle de l'article 3 de la Convention (arrêts Mouisel c. France, no 67263/01, § 38, CEDH 2002-IX et Matencio c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004).

96. Ainsi, en procédant à l'examen de l'état de santé du prisonnier et aux effets de la détention sur son évolution, la Cour a considéré que certains traitements enfreignent l'article 3 du fait qu'ils sont infligés à une personne souffrant de troubles mentaux (arrêt Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 111-115, CEDH 2001-III). Dans l'arrêt Price c. Royaume-Uni, la Cour a jugé que le fait d'avoir maintenu en détention la requérante, handicapée des quatre membres, dans des conditions inadaptées à son état de santé, était constitutif d'un traitement dégradant (no 33394/96, § 30, CEDH 2001-VII).

97. En recherchant si un traitement est " dégradant " au sens de l'article 3, la Cour examinera notamment si le but était d'humilier et de rabaisser l'intéressé. Toutefois, l'absence d'un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l'article 3 (arrêts Peers c. Grèce, précité, §§ 67-68 et 74, CEDH 2001-III et Price c. Royaume-Uni, précité, § 24).

98. La Cour a par ailleurs affirmé le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes à la dignité humaine, de manière à assurer que les modalités d'exécution des mesures prises ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; elle a ajouté que, outre la santé du prisonnier, c'est son bien-être qui doit être assuré de manière adéquate eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement (arrêt Kudła précité, § 94, et Mouisel c. France, précité, § 40).

99. Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d'une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l'article 3 (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 94, CEDH 2000-VII,, Gennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 94, 10 février 2004, § 112 et Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004).

100. Dans la présente affaire se posent la question de la compatibilité de l'état de santé du requérant avec son maintien en détention pendant quatre mois dans un établissement où il ne pouvait circuler seul et celle de savoir si cette situation a atteint un niveau suffisant de gravité pour entrer dans le champ d'application de l'article 3 de la Convention.

101. La Cour constate que requérant et Gouvernement s'accordent sur le fait que la maison d'arrêt de Fresnes, établissement fort ancien, est particulièrement inadaptée à la détention de personnes handicapées physiques, tel le requérant qui ne peut se déplacer qu'en fauteuil roulant.

Si des cellules ont été aménagées au plan du mobilier et des sanitaires, il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce le requérant ne pouvait ni quitter sa cellule, ni se déplacer dans l'établissement par ses propres moyens.

102. Le fait que, pour passer des portes, le requérant ait été contraint d'être porté pendant qu'une roue de son fauteuil était démontée, puis remontée après que le fauteuil eut été passé l'embrasure de la porte peut en effet être considéré comme rabaissant et humiliant, outre le fait que le requérant était entièrement à la merci de la disponibilité d'autres personnes.

En outre, le requérant a vécu dans ces conditions pendant quatre mois, alors que la situation avait été constatée par le service pénitentiaire d'insertion et de probation et un médecin (voir paragraphes 22 et 23 ci-dessus), que de nombreux autres établissements pénitentiaires existent dans la région parisienne et que le Gouvernement ne soutient pas que des raisons impérieuses nécessitaient son maintien à Fresnes.

103. En l'espèce, rien ne prouve l'existence d'une intention d'humilier ou de rabaisser le requérant. Toutefois, la Cour estime que la détention d'une personne handicapée dans un établissement où elle ne peut se déplacer et en particulier quitter sa cellule, par ses propres moyens constitue un " traitement dégradant " au sens de l'article 3 de la Convention. Dès lors, elle conclut pour cette raison à la violation de cette disposition en l'espèce, les autres griefs du requérant relatifs à ses conditions de détention dans la maison d'arrêt de Fresnes n'apparaissant pas aux yeux de la Cour, pour leur part, comme atteignant le seuil de gravité nécessaire pour que l'article 3 entre en jeu.

B. Sur les autres griefs tirés de l'article 3

104. En ce qui concerne sa détention à Nanterre, le requérant expose qu'il rencontra des difficultés quotidiennes d'ordre pratique dans sa cellule.

105. Il indique par ailleurs n'avoir pu disposer de son fauteuil roulant du 31 janvier au 4 février 2003, en raison d'une défaillance mécanique. Le fauteuil de remplacement fourni par la prison étant vétuste et inutilisable, il dut se déplacer en se traînant sur le sol, notamment pour se rendre aux toilettes.

106. Le 17 février 2003, il fut transféré à Fresnes. Ce transfert eut lieu en fourgon cellulaire, alors que l'état de santé du requérant exigeait selon lui un transport sanitaire adapté en ambulance.

107. Le requérant expose qu'à Cergy-Pontoise, l'accès à la bibliothèque et aux enseignements requérait l'aide d'une tierce personne pour gravir les escaliers et que l'accès au sport lui fut impossible jusqu'au 1er septembre 2003, puis de décembre 2003 à octobre 2004.

Par ailleurs, dans sa cellule, la douche n'était pas adaptée à une personne paraplégique puisqu'il devait actionner le bouton poussoir avec l'arrière de sa tête, pour obtenir de l'eau. Le requérant critique le manque de diligence du directeur de la maison d'arrêt qui constata ce problème de douche le 16 octobre 2003 et ne prit une mesure d'aménagement que le 23 novembre 2003.

108. Pour ce qui est du fait que le requérant n'aurait pas disposé de fauteuil roulant en bon état du 31 janvier au 4 février 2003, le Gouvernement indique qu'il est vrai qu'il n'était pas en possession de son fauteuil personnel en raison de sa mise en réparation. Il ajoute toutefois qu'il a naturellement pu bénéficier d'un fauteuil de remplacement mis à sa disposition et que celui-ci n'était ni vétuste ni inutilisable lorsqu'il lui a été remis.

109. Au cours du week-end, le requérant s'est plaint du mauvais état de son fauteuil de remplacement : il y manquait un boulon, des écrous et un roulement à bille, soudainement disparus, alors que le fauteuil lui avait été remis le vendredi soir par le service médical en état de fonctionnement.

Le personnel médical de permanence alerté par le premier surveillant a été informé de ce qu'il devrait se déplacer jusqu'à la cellule s'il y avait une difficulté, en raison de l'absence d'un autre fauteuil disponible.

Or, il n'apparaît pas que le requérant ait sollicité le personnel médical pendant le week-end. Dès le lundi 3 février 2004, il a récupéré son propre fauteuil roulant, réparé pendant le week-end par les bons soins du cadre infirmier.

110. La plainte déposée par le requérant, le 10 août 2004, auprès du procureur de la République de Pontoise a donné lieu à un classement sans suite en l'absence d'infraction, après audition de celui-ci, de Mme Rondineau, responsable du personnel paramédical à la maison d'arrêt de Nanterre, et de M. Zapata, premier surveillant (voir paragraphe 49 ci-dessus).

Enfin, les allégations du requérant selon lesquelles il aurait été contraint de se traîner à terre ne sont corroborées par aucun élément de fait, alors même qu'une enquête a été instruite.

111. La Cour a procédé à l'examen des allégations du requérant en tenant compte également des précisions apportées par le Gouvernement (voir paragraphes 39 à 41 et 49 ci-dessus).

112. Concernant en particulier le problème relatif au fauteuil roulant de remplacement fourni au requérant, elle relève qu'il ne ressort d'aucune pièce versée au dossier que celui-ci ait été vétuste ou défectueux lorsqu'il lui a été remis. Elle observe également que le requérant, qui a pourtant souvent exprimé des plaintes quant à sa situation, n'apparaît pas comme ayant, pendant le week-end en question, signalé au personnel médical la détérioration du fauteuil de remplacement.

113. La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l'article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité.

Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, elle estime que ce minimum n'est pas atteint ici.

114. Dès lors, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 17 DE LA CONVENTION

115. Suite à son refus d'être extrait en fourgon cellulaire pour comparaître devant la chambre de l'instruction, le requérant ne comparut pas à l'audience du 6 mars 2003 et l'arrêt du 22 mai 2003 fut rendu hors de sa présence. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, il se plaint d'une violation de son droit à un procès équitable de ce fait.

Invoquant l'article 6 § 3 b) de la Convention, le requérant se plaint également d'une violation de son droit de disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, le transport en véhicule sanitaire pour se rendre à une audience constituant selon lui une " facilité nécessaire " au sens de cet article. Invoquant enfin une violation de l'article 17 de la Convention sur ce point, le requérant estime que l'État a abusé de son droit car son transport en fourgon cellulaire, et non en véhicule sanitaire, lui fut infligé en raison des faits qui lui sont reprochés.

Ces articles disposent notamment :

Article 6

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. "

3. Tout accusé a droit notamment à :

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;"

Article 17

" Aucune des dispositions de la (...) Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la (...) Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à [la] Convention. "

116. Le requérant expose que c'est le 22 mai 2003, en vue de sa comparution devant la cour d'appel qu'il a refusé l'extraction en fourgon cellulaire. A la demande du chef d'escorte, il a confirmé par écrit qu'il refusait ce mode de transport inadapté et le responsable de l'escorte a lui-même indiqué qu'il ne pouvait pas et ne voulait pas le transporter de cette manière. Il ajoute que la chambre de l'instruction a fait une transcription erronée de son écrit en indiquant qu'il refusait purement et simplement son extraction, ce qui l'a privé d'un examen équitable de son appel.

117. Le Gouvernement a précisé à l'audience que le l7 août 2003, après un transfert en ambulance, le requérant écrivait au directeur régional que "toutes mes extractions de la maison d'arrêt se font en ambulance (...). Moi, je vous informe que mes extractions peuvent se faire dans un véhicule de tourisme. Je suis certes paraplégique mais pas totalement impotent ".

118. La Cour note en premier lieu que l'audience du 22 mai 2003 portait sur l'appel contre l'ordonnance de mise en détention provisoire et non sur l'examen du fond de l'affaire. Dès lors, elle estime que ce grief doit être examiné sous l'angle de l'article 5 § 4 de la Convention qui dispose :

" Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. "

119. Elle rappelle que l'article 5 § 4 confère à toute personne arrêtée ou détenue le droit d'intenter une procédure tendant à faire contrôler par un tribunal le respect des conditions procédurales et de fond nécessaires à la " légalité ", au sens de l'article 5 § 1, de sa privation de liberté (Brogan et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145-B, p. 20, § 65).

Si la procédure au titre de l'article 5 § 4 ne doit pas toujours s'accompagner de garanties identiques à celles que l'article 6 § 1 prescrit pour les procès civils ou pénaux (arrêt Megyeri c. Allemagne du 12 mai 1992, série A no 237-A, p. 11, § 22), il faut qu'elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties appropriées aux types de privation de liberté en question. S'il s'agit d'une personne dont la détention relève de l'article 5 § 1 c), une audience s'impose (arrêt Assenov et autres c. Bulgarie du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, § 162).

120. Selon la jurisprudence de la Cour, la possibilité pour un détenu " d'être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation " figure dans certains cas parmi les " garanties fondamentales de procédure appliquées en matière de privation de liberté " (Sanchez-Reisse c. Suisse, arrêt du 21 octobre 1986, série A no 107, § 51). Tel est le cas notamment lorsque la comparution du détenu peut être considérée comme le moyen d'assurer le respect de l'égalité des armes, l'une des principales sauvegardes inhérentes à une instance de caractère judiciaire au regard de la Convention (Kampanis c. Grèce, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 318-B, § 47).

121. En l'espèce, la Cour relève, comme l'a fait la Cour de cassation, que le requérant ayant lui-même refusé de se présenter à l'audience, il ne peut se faire un grief de ce que la cour d'appel ait statué en son absence (voir paragraphe 61 ci-dessus).

122. Elle note en outre que la présence du requérant à l'audience n'aurait eu aucune incidence sur l'issue du litige dans la mesure où la solution juridique retenue ne prêtait pas à discussion, l'appel du requérant ayant été interjeté tardivement.

123. Eu égard à ce qui précède, la Cour n'aperçoit aucune apparence de violation de l'article 5 § 4 de la Convention quant à la décision de la chambre d'accusation de la cour d'appel de tenir l'audience malgré l'absence du requérant.

124. Pour ce qui est du grief tiré de l'article 17 de la Convention, la Cour relève que rien n'indique que les autorités françaises se seraient prévalues de la Convention pour se livrer à une activité ou pour accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qu'elle reconnaît.

125. Dès lors, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

126. Sous l'angle de l'article 8 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d'une violation de son droit au respect de sa vie privée en raison de l'ouverture par l'administration pénitentiaire de deux courriers provenant du greffe de la Cour. Cet article dispose notamment :

" 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

127. La Cour note que le premier courrier en cause, adressé par le greffe à la prison de Nanterre le 21 février 2003, a été réexpédié au requérant, qui avait été entre temps transféré à Fresnes. Pour ce faire, une étiquette a été collée sur la fenêtre de l'enveloppe, indiquant l'adresse de la maison d'arrêt de Fresnes. Dès lors, le nom du requérant n'était plus visible. Selon toute vraisemblance, c'est pour voir à qui ce courrier était adressé que l'enveloppe a été ouverte, le nom du requérant et son numéro d'écrou ayant ensuite été écrits en rouge sur l'enveloppe. Par ailleurs, la Cour note qu'il s'agissait en l'occurrence de la lettre envoyée au requérant en réponse à son premier courrier et lui fournissant la documentation de base.

128. Le second courrier ouvert était une lettre en date du 22 mars 2005, informant le requérant de la communication de sa requête. Là encore, ce courrier avait été adressé au dernier établissement dans lequel le requérant était détenu à la connaissance du greffe, soit la maison d'arrêt de Cergy-Pontoise (Osny). Toutefois, le requérant avait été transféré le 21 février précédent à Meaux-Chauconin. Une étiquette fut collée sur la fenêtre de l'enveloppe, afin de faire suivre le courrier, cachant ainsi le nom du destinataire. Le requérant précise que ce courrier lui fut remis personnellement par le directeur de la maison d'arrêt qui lui présenta des excuses.

129. La Cour observe qu'aux termes de la circulaire du ministre de la justice du 20 juin 1994 et de l'arrêté du 12 mai 1997 (repris par l'article A 40 du Code de procédure pénale), le Secrétariat de la Commission et le greffe de la Cour faisaient partie des autorités avec lesquelles les détenus sont autorisés à correspondre sous pli fermé.

Il s'ensuit que l'ouverture par les autorités pénitentiaires, d'une lettre adressée au requérant par le Greffe de la Cour est contraire à la réglementation française.

130. La Cour rappelle sur ce point qu'il est essentiel que le canal de communication dont bénéficient les détenus avec les organes de la Convention soit libre de toute restriction inutile (affaire Campbell c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1992, série A no 233, rapport Comm. 12.7.90, p. 40, § 69 et s.).

131. Dans les conditions particulières de l'espèce, la Cour estime toutefois qu'il n'y a pas d'élément permettant de conclure qu'il y a eu une volonté délibérée des autorités de porter atteinte au respect de la correspondance du requérant avec les organes de la Convention, susceptible d'être analysée sans conteste en une ingérence dans son droit au respect de sa correspondance, au sens de l'article 8 § 1 (voir Demirtepe c. France, no 34821/97, §§ 25 et 26, CEDH 1999-IX (extraits) et Touroude c. France, (déc.), no 35502/97, 3 octobre 2000).

Elle note par ailleurs que, si le requérant avait informé le greffe de la Cour de ses changements d'adresse, ces incidents n'auraient pas eu lieu.

132. Dès lors, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

133. Invoquant l'article 9 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d'une violation de son droit de pratiquer sa religion en raison de l'absence d'aménagements à Fresnes et à Osny pour accéder aux lieux de culte. Cette disposition stipule :

" 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

134. Le Gouvernement reconnaît les difficultés éprouvées par le requérant pour se rendre, de façon autonome à l'aide de son fauteuil roulant, à la salle de culte en raison de la configuration architecturale de l'établissement pénitentiaire. Toutefois, le personnel de l'établissement a tout mis en œuvre pour surmonter ces difficultés ponctuelles, notamment en lui proposant des solutions de transfert. Par ailleurs, le requérant a pu rencontrer un aumônier dans sa cellule. Il n'y a eu aucune volonté d'ingérence dans la pratique de la religion du requérant et des dispositions lui ont été proposées à maintes reprises afin de pallier les inconvénients pratiques, mais le requérant a refusé l'aide offerte.

Le Gouvernement conclut que le grief tiré de la violation de l'article 9 n'est pas fondé.

135. Le requérant souligne que la liberté de religion implique que celle-ci puisse s'exercer librement y compris en détention. Il se réfère à l'arrêt Kokkinakis c. Grèce (arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A) et ajoute que la visite d'un aumônier ne saurait remplacer une messe et le partage nécessaire de la foi.

136. La Cour rappelle que l'article 9 de la Convention garantit à toute personne le droit à la liberté de religion, lequel implique le droit de manifester sa religion par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites (arrêt Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, no 45701/99, § 114, CEDH 2001-XII).

137. Elle constate que le fait que le requérant n'a pas pu, selon lui, accéder seul aux salles où étaient organisés les cultes, n'est pas contesté par le Gouvernement. Elle relève toutefois que le Gouvernement précise que de l'aide et de l'accompagnement ont été offerts au requérant pour se rendre aux lieux de culte, mais que celui-ci a refusé. En outre, l'aumônier lui rendait visite dans sa cellule.

138. Dès lors, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

139. Invoquant l'article 13 de la Convention, le requérant se plaint d'une violation de son droit à un recours effectif en ce que ses courriers adressés aux autorités ne reçurent pas de réponse.

" Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. "

140. La Cour note d'emblée que le droit à un recours effectif garanti par la Convention ne comprend pas un droit à obtenir une réponse à tous les courriers et réclamations adressés aux autorités.

Par ailleurs, le requérant a engagé de nombreuses procédures judiciaires qui sont pendantes ou ont abouti.

141. Dès lors, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

142. Le requérant allègue enfin une violation de l'article 14 de la Convention, combiné en substance avec l'article 3 de la Convention du fait qu'il serait victime de discrimination en raison de la différence de traitement entre détenus handicapés et détenus valides.

Cet article dispose :

" La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. "

143. La Cour rappelle que l'article 14 complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour " la jouissance des droits et libertés " qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (arrêts Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni du 28 mai 1985, série A no 94, p. 35, § 71, et Inze c. Autriche du 28 octobre 1987, série A no 126, p. 17, § 36).

144. Par ailleurs, une distinction est discriminatoire au sens de l'article 14 si elle " manque de justification objective et raisonnable ", c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un " but légitime " ou s'il n'y a pas de " rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ". Les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (voir notamment Larkos c. Chypre [GC], no 29515/95, § 29, CEDH 1999-I, Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 40, CEDH 2000-IV et Koua Poirrez c. France, no 40892/98, § 46, ECHR 2003-X).

145. La Cour relève qu'en l'espèce elle a conclu à la violation de l'article 3 du fait que le requérant avait été détenu pendant plusieurs mois dans un établissement où il ne pouvait circuler avec son fauteuil roulant.

S'il est indéniable que ce constat est directement lié à l'état de santé du requérant, la Cour constate néanmoins qu'il ne ressort pas du dossier qu'il ait été fait usage d'un quelconque comportement discriminatoire en raison de la condition d'handicapé du requérant (voir Scoppola c. Italie, (déc.), no 10249/03, 8 septembre 2005). Il apparaît que toute personne dans la même situation aurait rencontré les mêmes difficultés.

146. Dès lors, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

VII. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

147. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "

A. Dommage

148. Le requérant réclame 5 000 000 euros (EUR) au titre des souffrances physiques et psychologiques qu'il a subies en détention. Il demande également à être remis en liberté pour raison médicale.

149. Le Gouvernement estime que ces demandes sont manifestement excessives et dénuées de fondement. Si une violation de l'article 3 devait être constatée, le Gouvernement propose le versement d'une somme de 2 000 EUR.

150. La Cour rappelle qu'elle n'a pas compétence pour statuer sur une demande de libération conditionnelle du requérant.

Pour ce qui est du préjudice subi par le requérant et statuant en équité, elle considère qu'il y a lieu de lui octroyer 4 000 EUR.

B. Frais et dépens

151. Le requérant, qui a bénéficié de l'assistance judiciaire devant la Cour, ne réclame rien à ce titre.

C. Intérêts moratoires

152. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'impossibilité pour le requérant de circuler par ses propres moyens dans la prison de Fresnes et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention, à raison de l'impossibilité pour le requérant de circuler par ses propres moyens dans la prison de Fresnes ;

3. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé A.B. Baka Greffière Président

ANNEXE

Avis et recommandation de la commission nationale de déontologie de la sécurité en date du 9 janvier 2004 :

" (...)

- Récit [du requérant]

(...) Transféré à Fresnes le 17 février [2003], à la suite d'une automutilation par phlébotomie de la cheville qui a nécessité des soins au service d'urgence de l'hôpital de Nanterre, il a bénéficié d'une cellule avec lit médicalisé partagée avec un autre détenu également en fauteuil. Cette cellule était équipée d'une salle de bain mal adaptée aux personnes en fauteuil. Il n'a pas pu prendre de douche pendant trois mois, devant faire sa toilette à l'aide d'un lavabo et d'une cuvette. Finalement, le 16 mai [2003], grâce à l'intervention du directeur et la visite du médecin de la DDASS, il a obtenu une chaise avec accoudoir pour la douche.

Il lui a été fourni des sondes urinaires périmées (date de péremption septembre 2001 et avril 2002). Il a donc contacté l'OIP qui a transmis sa réclamation à la DDASS. Il a pu ainsi obtenir des sondes non périmées.

Le 6 mars [2003], devant être extrait pour se rendre au tribunal de Melun, il lui a été très difficile et douloureux de monter et de voyager dans un fourgon cellulaire. A sa demande et à celle des gendarmes, un médecin, le docteur V. a été appelé et a décidé que le transport était compatible avec son état de santé. Ce médecin a ajouté d'être pas vétérinaire et ne pas s'occuper du transport des animaux. Les gendarmes ont également été choqués et ont fait un rapport à ce sujet. Le détenu a porté plainte auprès du procureur de la république.

Transféré à la maison d'arrêt de [Cergy] le 11 juin 2003, il a une cellule adaptée avec douche mais ne peut aller à la bibliothèque qui est en étage.

- Informations données par le directeur de la maison d'arrêt de Fresnes

[Les cellules de la maison d'arrêt de Fresnes] ont été visées et validées par un médecin de la DDASS et un médecin de l'administration pénitentiaire. Ces cellules sont équipées de douche et de baignoire.

En outre, un détenu volontaire sert de tierce personne dans la journée pour les détenus handicapés.

[Le requérant] est apparu très demandeur et a exprimé son souhait d'avoir une chaise avec accoudoir pour être plus stable sous la douche, chaise qui lui a été fournie le lendemain. Il parait inconcevable qu'il n'ait pas pu prendre de douche pendant trois mois.

Il se plaignait de ne pas recevoir son courrier dans les délais normaux, de ne pas recevoir les produits qu'il avait commandés à la cantine, ce qui était faux.

Il n'a jamais parlé de ses difficultés d'extraction en fourgon ni de son conflit avec le docteur V. A sa connaissance, les transferts en véhicules aménagés ne peuvent être prescrits que par le médecin.

Il a eu connaissance de l'incident ayant opposé [le requérant] au docteur V. par un soit (sic) transmis au parquet de Créteil demandant s'il avait des remarques particulières à faire sur ce médecin. Jusqu'alors, aucun détenu ne s'était plaint de ce médecin.

En ce qui concerne de matériel médical, en particulier les sondes urinaires, ce n'est pas l'administration pénitentiaire qui en a la gestion mais le service médical.

- Informations données par Monsieur L., gendarme, chargé de l'extraction du détenu de la prison de Fresnes.

En arrivant à la maison d'arrêt de Fresnes le 6 mars 2003 pour conduire un détenu au tribunal de grande instance de Melun devant un juge d'instruction, les surveillants lui ont indiqué que [le requérant] était paraplégique et se déplaçait uniquement en fauteuil roulant. Il en a informé la cellule s'occupant de la gestion des transferts à Paris et a fait appel au médecin de permanence de la maison d'arrêt de Fresnes aux fins d'obtenir un certificat pour avoir une ambulance.

Le médecin a vu le détenu et a décidé de ne pas établir de certificat, indiquant qu'il pouvait être transporté dans nos véhicules. Le détenu a haussé le ton en disant qu'il n'était pas un animal, le médecin lui a répondu qu'elle n'était pas vétérinaire et qu'elle ne s'occupait pas des animaux. Le détenu n'a pas refusé d'être extrait dans le véhicule des gendarmes qui ont eu comme consigne d'effectuer ce transport en prenant de grandes précautions. " Nous avons effectué ce transport de la maison d'arrêt de Fresnes au tribunal de grande instance de Melun en prenant toutes les précautions nécessaires ". En arrivant dans le bureau du juge, il a été demandé que les prochaines extractions soient faites en ambulance. Ce qui a été accepté.

Par la suite ce même détenu a été ré extrait pour le conduire devant le juge en ambulance civile avec escorte.

- Informations données par Mme V., médecin de la maison d'arrêt de Fresnes

Médecin généraliste à la maison d'arrêt de Fresnes, à temps partiel, depuis 1996. Elle a été appelée un jour par les surveillants pour aller voir un détenu qui devait être extrait. Il s'agissait d'un détenu en fauteuil qu'elle n'avait jamais reçu auparavant en consultation puisque c'était d'autres médecins qui le soignaient.

Son extraction posait un problème aux gendarmes, en raison de son fauteuil puisqu'ils n'avaient qu'un fourgon normal. Le détenu refusait d'être extrait dans ces conditions. A son arrivée, le début de la rencontre a été difficile et elle a eu une parole qui " n'était pas à propos ". En particulier, elle lui a dit : " Je ne suis pas vétérinaire ". Il s'est énervé, et a dit a plusieurs reprises " je ne suis pas un animal ".

(...)

AVIS

A. Sur les conditions de vie en cellule d'un détenu handicapé

La vie d'une personne paraplégique en fauteuil est toujours difficile, même en vie libre. Sa dignité et sa sécurité ne sont pas forcément respectées. Ceci est encore plus flagrant en détention, non seulement en raison de l'exiguïté des locaux, des conditions des sanitaires et des salles de bain mais aussi de la difficulté à avoir recours à l'aide d'une tierce personne.

B. Sur les soins médicaux et infirmiers d'un détenu handicapé

Tout paraplégique demande une surveillance médicale particulière en raison de sa vulnérabilité et des risques de complications en particulier urinaires. Cette surveillance peut être assurée par le service médical pénitentiaire en particulier à Fresnes. Il paraît inquiétant que des sondes urinaires périmées puissent être distribuées par le personnel infirmier sans que les médecins s'en inquiètent.

Il est choquant qu'un médecin, en s'adressant à un détenu handicapé, s'assimile à un vétérinaire, fût-ce par dérision.

C. Sur les conditions d'extraction d'un détenu handicapé

L'extraction d'un détenu paraplégique ne peut se faire que dans des véhicules adaptés afin que sa sécurité soit assurée. Ceci n'a pas été le cas le 6 mars 2003 malgré la demande des gendarmes chargés de l'escorte, en raison du refus du médecin de garde de la maison d'arrêt de Fresnes. Les raisons de ce refus sont confuses. Cette attitude aurait pu mettre en danger ce détenu pendant son transport en véhicule inadapté.

RECOMMANDATION

1) Tout détenu dont l'état de santé justifie le déplacement en fauteuil roulant doit bénéficier d'un véritable appareillage adapté dès le début de l'incarcération.

2) Les extractions doivent se faire systématiquement en véhicule adapté sans qu'il soit nécessaire qu'une prescription médicale soit délivrée pour chaque déplacement.

3) Tout médecin, y compris évidement en service médical pénitentiaire, doit observer le code de déontologie dans le respect du malade quelle que soit sa pathologie physique et/ou psychique.

4) Il est indispensable que le matériel médical et infirmier soit sous le contrôle des médecins responsables des soins en détention.

(...) "

1 Voir annexe

2 Cette commission, créée par une loi du 6 juin 2000, remet chaque année au président de la république et au parlement un rapport sur les conditions d'exercice et les résultats de son activité.

ARRÊT VINCENT c. FRANCE

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