TROISIÈME SECTION

AFFAIRE FAZİLET PARTİSİ ET KUTAN c. TURQUIE

(Requête no 1444/02)

ARRÊT

(radiation)

STRASBOURG

27 avril 2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 
 

 

En l'affaire Fazilet Partisi et Kutan c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président
  
J. Hedigan
  
L. Caflisch
  
R. Türmen
  
C. Bîrsan
 Mmes 
M. Tsatsa-Nikolovska, 
  
A. Gyulumyan, juges
et de M.
V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 mars 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 1444/02) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mehmet Recai Kutan, ainsi qu'un parti politique dissous, le Fazilet Partisi (Parti de la Vertu) (" les requérants "), ont saisi la Cour le 18 décembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2.  Les requérants sont représentés par Me Y. Gürkan, avocat à Ankara.

3.  Les requérants alléguaient en particulier que la dissolution du Fazilet Partisi par la Cour constitutionnelle turque emportait violation des articles 9, 10, 11, 14 17 et 18 de la Convention et de l'article 3 du Protocole no 1.

4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

5.  Le 6 avril 2004, la Cour a ajourné l'examen des griefs tirés des articles 9, 10, 11, 14, 17 et 18 de la Convention et 3 du Protocole no 1, et déclaré la requête irrecevable pour le surplus.

6.  Par une décision du 30 juin 2005, la Cour a déclaré le restant de la requête recevable et décidé d'inviter les parties à lui présenter oralement, au cours d'une audience, leurs observations sur le bien-fondé de l'affaire.

7.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 13 octobre 2005 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

-  pour le Gouvernement 
MM. 
Özmen,  co-agent
 
İşcan
Mme 
Emüler
Mme 
Batmaz Keremoğlu
M. 
Karakul
Mme 
Sirmen
Mme 
Pala
M. 
Çiçek
M. 
Karacaconseillers ;

-  pour les requérants 
Mme 
Akgönenç, ancienne députée du parti dissous, conseillère.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Akgönenç puis M. Özmen.

EN FAIT

8.  Les circonstances de l'espèce et le droit interne pertinent se trouvent décrits dans la décision du 30 juin 2005 sur la recevabilité de la présente requête.

EN DROIT

9.  Par une lettre du 2 décembre 2005, M. Recai Kutan a informé la Cour que les requérants entendent retirer leur requête, pour les motifs ci-dessous :

" (...) Pour faire face à l'oppression dans l'Union soviétique et les pays de l'Est, (...) les pays de l'Ouest ont fondé le Conseil de l'Europe le 5 mai 1949 pour avancer vers plus de démocratie et de droits de l'homme, en déclarant : " La Russie et les pays sous sa direction ne respectent pas les droits de l'homme décrits dans la Déclaration et y font obstacle. Pour cette raison, non seulement nous ne pouvons pas appliquer les droits énoncés dans la Déclaration, mais nous estimons aussi ces droits insuffisants ". Le 20 mars 1950, ils ont adopté la Convention européenne des Droits de l'homme (" Convention "). Le 21 juin 1959, les Etats membres du Conseil de l'Europe ont créé la Cour européenne des Droits de l'Homme (" Cour ") pour ne pas laisser impunies les atteintes aux droits des personnes physiques et des institutions tels qu'énoncés dans la Convention. Pendant longtemps, lors de l'examen des requêtes introduites devant elle, cette Cour, créée pour garantir les droits de l'homme, a été en faveur de la liberté, des droits de l'homme et de la démocratie.

La Turquie, qui est un des membres fondateurs du Conseil de l'Europe, a signé la Convention le 20 mars 1950, laquelle a été ratifiée par le Parlement turc le 3 septembre 1952. Toutefois, la Turquie n'a reconnu le droit de recours individuel que le 28 janvier 1987.

Les requêtes introduites devant la Cour à partir de 1987 concernaient essentiellement l'indemnisation des dommages résultant du terrorisme et l'insuffisance de l'indemnité d'expropriation et leur paiement tardif.

A partir de 1991, certains partis politiques dissous par la Cour constitutionnelle turque ont aussi introduit des requêtes devant la Cour. Alors qu'elle a donné raison à des partis politiques encourageant les activités terroristes et condamné la Turquie, la requête du Refah Partisi, qui a été le pionnier pour le développement et l'application effectif des droits de l'homme en Turquie, a été rejetée par des interprétations hypothétiques inimaginables de la Cour et par des suppositions en contradiction totale avec les dispositions de la Convention, sans aucun fondement juridique.

Nous avons introduit notre requête devant la Cour avant que la Grande Chambre statue sur l'affaire Refah Partisi et dans l'espoir de voir condamner la décision de dissolution rendue par la Cour constitutionnelle.

L'objet d'autres requêtes introduites devant la Cour concernait l'interdiction de porter le foulard dans les universités turques pour nos jeunes filles qui voulaient poursuivre leurs études couvertes du foulard qu'elles portent par conviction. Ces requêtes ont été déclarées irrecevables par la Cour, à l'instar de l'affaire Leyla Şahin, au motif que le foulard pouvait être considéré comme un signe religieux et être source de discrimination.

Tant dans l'affaire Refah Partisi que dans l'affaire concernant le foulard islamique, les griefs des requérants tirés de l'article 6 de la Convention (...) ont été déclarés irrecevables par la Cour lors son examen préliminaire sur dossier et sans motivation.

Alors que concernant le chef terroriste Abdullah Öcalan, dans une requête relative à une condamnation par une cour de sûreté de l'Etat, la Cour, en l'espace d'un mois, a indiqué des mesures provisoires, puis a conclu que l'affaire devait être rejugée, elle a refusé d'indiquer des mesures provisoires concernant la condamnation du président du Refah Partisi, Necmettin Erbakan, par une cour de sûreté de l'Etat et n'a toujours pas tenu une audience sur le fond ou pris une décision quant à la tenue d'une audience alors que cinq années se sont écoulées depuis l'introduction de la requête. Cette pratique contradictoire et constitutive d'un double standard de la Cour est un exemple concret de la violation de l'article 14 de la Convention par la Cour elle-même.

Les recours individuels devant la Cour quant à la violation du droit à la liberté de religion énoncé par l'article 9 de la Convention par les juridictions nationales, lequel ne peut être restreint même en période de guerre selon l'article [15] de la Convention, ont été déclarés irrecevables en méconnaissance des principes de " besoin social " et de " prévisibilité de la loi ".

Alors que l'article 14 de la Convention indique que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, et que la Cour a conclu à la violation dans une affaire contre le Royaume-Uni en raison de l'interdiction imposée par les autorités à un Sikh, travaillant dans la police, de porter un turban , elle a conclu à la non-violation dans des affaires turques portant sur le même article et concernant l'impossibilité pour les étudiantes de poursuivre leurs études supérieures couvertures du foulard qu'elles portent par conviction. Cette approche va légitimer l'oppression et les obstacles sur le foulard ; en donnant raison à la Turquie, la Cour a violé l'article 14 de la Convention.

Concernant la violation de l'article 10 de la Convention, alors qu'elle a considéré bien fondées les requêtes introduites par des citoyens des pays d'Europe et des personnes qui incitent à la violence en Turquie, en indiquant que les propos qui choquent, qui heurtent la société sont également sous la protection de l'article 10 de la Convention, elle a conclu à la non-violation dans l'affaire Refah Partisi, lequel a été le seul protecteur des droits de l'homme en Turquie durant ses quinze années d'existence. En abandonnant le critère de danger imminent qu'elle avait adopté auparavant concernant l'article 11 de la Convention, en considérant les griefs du Refah Partisi infondés avec des hypothèses imaginaires et en donnant raison au Gouvernement, la Cour a adopté une pratique constitutive d'un double standard.

La Cour qui défend vivement la pluralité presque dans tous ses arrêts, a approuvé les interdictions frappant Necmettin Erbakan et la dissolution de son parti en raison de ses propos quant au système multijuridique en droit privé, ainsi elle se trouve en contradiction avec sa préoccupation de protéger le pluralisme.

De même, la Cour a ignoré le principe de l'égalité devant la justice découlant de l'article 14 de la Convention, allant dans le sens inverse de sa jurisprudence extensive sur les libertés, développée dans les affaires concernant les autres partis dissous en Turquie. Dans l'affaire Refah Partisi, elle a restreint cette jurisprudence et a violé ouvertement le principe de l'égalité devant la justice.

Tant dans l'affaire Refah Partisi que dans les affaires sur le foulard, en ignorant le droit à l'enseignement qui ne peut être restreint en aucune circonstance selon l'article 2 du Protocole no 2 et le principe de l'égalité énoncé par l'article 14 de la Convention, la Cour a tenté de justifier par des interprétations arbitraires l'ingérence des autorités [quant au port du foulard] figurant parmi les devoirs de l'Islam. D'une autre manière, alors que la Cour tolère ou confirme toujours les propos et actes les plus choquants des individus et institutions fascistes et socialistes, qui sont le fruit de la culture européenne, en adoptant une approche différente pour les requêtes des musulmans d'Europe confrontés à des injustices en raison de leur croyance, elle a créé un double standard, contraire à l'article 14 de la Convention, et a ainsi ouvertement violé les dispositions de la Convention.

Il est possible de citer d'autres exemples. Toutefois, ceux cités ci-dessus mettent en évidence les réalités suivantes :

1.  La Cour qui a été créée pour protéger les droits de l'homme énoncés dans la Convention, rétablir la justice dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, et en Turquie, méconnaît la justice et décide d'une manière arbitraire par ses pratiques exposées ci-dessus.

2.  La Cour rejette constamment les requêtes introduites pas des musulmans et avec sa pratique constitutive d'un double standard met en évidence qu'elle n'est pas un tribunal équitable.

3.  La Cour, au lieu de soutenir les musulmans d'Europe dans l'usage de leur droit de conscience et de religion, empêche l'exercice de ces droits.

4.  La Cour a des préjugés contre l'Islam, qui est une religion universelle. A tel point qu'en outrepassant de manière excessive son pouvoir d'appréciation que lui reconnaît la Convention, elle a formulé des critiques envers une religion universelle au sujet de laquelle elle ne dispose d'aucune connaissance ; elle a même eu l'audace de juger l'Islam. Les exemples que nous avons cités le montrent clairement.

5.  Concernant les droits de l'homme, la Cour est du côté de ceux qui ont été élevés dans la culture européenne et est hostile, contrairement à son devoir d'impartialité imposé par la Convention, à ceux qui veulent vivre selon la culture de l'Islam qui considère l'être humain comme le plus honorable des êtres.

6.  Tant dans l'affaire Refah Partisi que dans l'affaire Leyla Şahin, l'argumentation juridique figurant dans les opinions dissidentes reflète la partialité de la Cour.

7.  Les arrêts de la Cour concernant les allégations de certains citoyens du Sud-Est de la Turquie ne s'expliquent pas par respect du principe de justice énoncé dans la Convention, mais par l'habitude des Etats de l'Union européenne d'accuser et de marginaliser notre pays.

8.  La Cour, telle qu'elle est actuellement, est incapable de répondre au besoin de justice de toute l'humanité, de protéger d'une manière impartiale les droits des personnes et de résoudre leur problème.

Pour toutes ces raisons,

Nous vous informons avec regret que nous retirons notre requête introduite au nom du Fazilet Partisi, dissous par la Cour constitutionnelle, et pour laquelle une audience s'est tenue le 13 octobre 2005, dans la mesure où les arrêts dans les affaires Refah Partisi et Leyla Şahin démontrent que la Cour a des préjugés concernant les communautés musulmanes ; nous avons la conviction que l'on ne peut pas faire confiance en la justice de cette Cour.

J'espère que notre réaction et notre décision inciteront les membres de la Cour à être à l'avenir plus respectueux quant à l'application de la Convention pour la protection des droits de l'homme, et d'être plus minutieux et justes dans l'examen des requêtes introduites par tous les individus vivant en Europe. "

10.  A la lumière des circonstances de l'espèce, la Cour conclut qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête au sens de l'article 37 § 1 a) de la Convention. Par ailleurs et compte tenu en particulier de l'attitude des requérants, telle qu'elle ressort de la lettre reproduite ci-dessus, aucun motif particulier touchant au respect des droits de l'homme garantis par la Convention n'exige la poursuite de l'examen de la requête en vertu de l'article 37 § 1 in fine de la Convention.

11.  Partant, il convient de rayer l'affaire du rôle.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

     Décide de rayer l'affaire du rôle.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 avril 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič 
 Greffier Président


 

ARRÊT FAZİLET PARTİSİ ET KUTAN c. TURQUIE (RADIATION)


 

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