COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME 

 

QUATRIÈME SECTION 

 

AFFAIRE INSTITUT DE PRÊTRES FRANÇAIS ET AUTRES 
c. TURQUIE
 

(Requête n° 26308/95

 

ARRÊT

(Radiation) 

 

STRASBOURG 

14 décembre 2000 

 

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.

 

  En l'affaire Institut de Prêtres français et autres c. Turquie,

  La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

      MM. A. Pastor Ridruejo, président

  V. Butkevych, 

 Mme N. Vajic, 

 MM. J. Hedigan, 

  M. Pellonpää 

 Mme S. Boutoucharvo, juges

 M. F. Gölcüklü, juge ad hoc,

et de M. V. Berger, greffier de section,

  Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 et 21 novembre 2000,

  Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

 

 

PROCÉDURE

  1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 26308/95) dirigée contre la Turquie et dont l'Institut de Prêtres français dénommés les Augustins de l'Assomption, branche turque de la Congrégation des Augustins de l'Assomption, institution de droit canon, représenté par son supérieur religieux et le secrétaire général de la Congrégation, ainsi qu'un groupe de prêtres et de paroissiens avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") le 18 janvier 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

  2.  Les requérants sont représentés par Me Tekin Akillioglu, avocat au barreau d'Ankara. Le gouvernement turc (" le Gouvernement ") n'a pas désigné un agent pour la procédure devant la Cour.

  3.  Les requérants se plaignent de ce que les juridictions internes, en statuant sur l'inscription du domaine de l'Institut au nom du Trésor et de la Direction générale des fondations, ont violé le droit de l'Institut au respect de ses biens. Ils allèguent en outre que la décision d'inscription au registre du domaine où se trouvent des lieux de culte méconnaît la liberté de religion telle que garantie par l'article 9 de la Convention.

  4.  Le 28 février 1996, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement, en l'invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 2 septembre 1996 et la partie requérante y a répondu le 14 novembre 1996.

  5.  La Commission a déclaré la requête recevable le 19 janvier 1998, puis, faute d'avoir pu en terminer l'examen avant le 1er novembre 1999, l'a déférée à la Cour à cette date, conformément à l'article 5 § 3, seconde phrase, du Protocole n° 11 à la Convention.

  6.  La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement. A la suite du déport de M. R. Türmen, juge élu au titre de la Turquie (article 28), le Gouvernement a désigné M. F. Gölcüklü pour siéger à sa place en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

  7.  Le 15 novembre 2000, le représentant des requérants et le Gouvernement ont présenté des déclarations formelles d'acceptation d'un règlement amiable de l'affaire.

  8.  Au vu de ces déclarations, le président de la chambre a décidé, le 15 novembre 2000, d'annuler l'audience sur le fond qui devait se tenir le lendemain.

 

 

EN FAIT

  9.  L'acte de fondation (le firman) accordé par le Sultan ottoman autorisa en 1859 l'archevêque de la communauté catholique à construire une église et d'autres locaux de culte sur un terrain situé à Kadiköy (Istanbul).

  10.  Une chapelle et un bâtiment de séminaire furent érigés sur le domaine. Le 20 septembre 1910, le domaine fut enregistré au nom des Augustins de l'Assomption, comme lieu de culte, séminaire et monastère. Par l'accord franco-turc du 18 décembre 1913, l'Institut fut reconnu par le gouvernement turc comme établissement religieux français. Une lettre annexée au Traité de Lausanne du 24 juillet 1923 assura la reconnaissance et la protection des institutions religieuses françaises, entre autres l'Institut de Prêtres français. Elle précisa que ces institutions devaient être " traitées sur un pied d'égalité avec les institutions similaires turques ".

  11.  Le 30 mai 1982, en vue de trouver des moyens financiers pour l'entretien des lieux de culte, l'Institut loua une partie du jardin et des locaux à une société privée.

  12.  Le 7 novembre 1988, le Trésor public intenta une action devant le tribunal de grande instance de Kadiköy, tendant à l'annulation du titre de propriété de l'Institut et à la restitution du domaine. Il soutenait que l'Institut n'avait pas le droit de procéder sur les lieux à des activités lucratives. Il exposa qu'en louant certaines parties du domaine, l'Institut ne poursuivait plus de but religieux.

  13.  Par un jugement du 6 juin 1989, le tribunal de grande instance de Kadiköy rejeta la demande du Trésor. Il considéra notamment que " les Augustins de l'Assomption, Institut de Prêtres français, font partie des institutions françaises reconnues et protégées par le Traité de Lausanne, et que l'utilisation des lieux à but lucratif ne confère pas le droit de restitution de ces lieux au Trésor ".

  14.  Sur pourvoi du Trésor, la Cour de cassation, par un arrêt du 18 mai 1990, cassa le jugement du 6 juin 1989 et renvoya l'affaire devant la juridiction de première instance. Elle considéra que " l'autorisation d'acquisition des biens immobiliers accordée par l'Empire ottoman en vertu d'une loi promulguée en 1868, aux personnes morales étrangères pour la construction d'édifices religieux, scolaires, de bienfaisance, tels églises, couvents, écoles, hôpitaux, dispensaires, presbytères, est donnée à condition d'utiliser lesdits lieux conformément au but initial relatif à leur utilisation ". Elle estima aussi que ces institutions étrangères devaient avoir, avant le 30 octobre 1914 et actuellement, la personnalité juridique reconnue par la législation. Elle jugea également que les institutions en question ne devaient pas se livrer à des activités et utilisations lucratives. Elle constata qu'en l'espèce, contrairement à l'article 3 de la loi sur le registre foncier de 1934 (Tapu Kanunu), l'Institut n'avait pas de personnalité juridique et n'était pas reconnu par l'Etat turc.

  15.  Par un jugement du 5 avril 1993, se conformant à l'arrêt de la Cour de cassation, le tribunal de grande instance de Kadiköy donna gain de cause au Trésor. Il ordonna l'inscription du domaine au nom du Trésor. Il considéra en outre qu'une partie du domaine litigieux devait être inscrite au nom de la Direction générale des fondations (Vakiflar Genel Müdürlügü) qui était intervenue dans la procédure engagée par le Trésor.

  16.  L'Institut forma un pourvoi en cassation contre ce jugement. A l'issue d'une audience le 12 avril 1994, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué.

  17.  Le 19 septembre 1994, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification de l'Institut.

 

 

EN DROIT

  18.  Le 15 novembre 2000, la Cour a reçu la déclaration suivante, signée par le représentant des requérants :

 " J'ai l'honneur de vous informer qu'en date d'aujourd'hui (le 14 novembre 2000) le Gouvernement vient de me communiquer le texte d'un règlement amiable susceptible de mettre fin à l'affaire citée en marge.

 J'en ai aussitôt informé mon client le Père Alain Fontaine afin d'avoir son acquiescement. Le Père Alain Fontaine m'a déclaré que le texte proposé donne satisfaction aux souhaits de l'Eglise auparavant formulés.

 Le texte présenté en annexe contient notamment :

  1.  Les titulaires actuels du terrain, respectivement le Trésor et la Direction générale des fondations, reconnaissent le droit d'usufruit en faveur des prêtres en charge dans l'Institut requérant. Le droit d'usufruit comprend la pleine utilisation et la jouissance des lieux et des bâtiments qui s'y trouvent. Cela implique aussi que l'Institut pourra louer le terrain [à des] fins lucratives pour subvenir à ses besoins. L'Institut consent au prélèvement d'une somme raisonnable sur le revenu provenant des loyers au profit du Trésor et de la Direction générale des fondations. Les deux administrations consentent à [remplir] les formalités pour inscrire leurs déclarations respectives sur le registre immobilier en vue du renouvellement du droit d'usufruit en faveur des prêtres qui vont remplacer [les] actuels titulaires du droit d'usufruit.
  2.  Le Trésor accepte la première disposition pour ce qui le concerne.
  3.  La Direction générale des fondations renonce à son droit de créance de 41 670 USD en charge de l'Institut requérant pour la collecte des loyers survenue dans les cinq ans après l'annulation du titre de propriété.

 Mon client, croyant que le Gouvernement va rester fidèle à son engagement, considère désormais l'affaire réglée par ces dispositions [dont] les parties sont convenues. "

  19.  Toujours le 15 novembre 2000, la Cour a reçu du Gouvernement la déclaration suivante :

 " J'ai le plaisir de vous informer par la présente que le Gouvernement turc est parvenu à un règlement amiable avec les requérants. Je joins en annexe la déclaration relative au règlement amiable.

 En outre, le Gouvernement s'engage à ne pas demander le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre conformément à l'article 43 de la Convention. "

  Annexe

 " 1.  Mettre en place un droit à l'usufruit au profit des Prêtres de l'Assomption sur la partie de l'immeuble utilisée à des fins commerciales qui comprend une église et un terrain, enregistrés au registre foncier au nom de la Direction générale des fondations suite à un arrêt judiciaire devenu définitif sous condition de céder en contrepartie, une partie des revenus qui seront perçus, à déterminer par accord entre les parties, à la direction générale des fondations, conformément à l'article 57/g de la loi sur les appels d'offre ; reconnaître le droit à l'usufruit de la partie du terrain qui comprend exclusivement l'église et ses dépendances aux prêtres qui les utilisent en vue du seul usage religieux, assurant leur entretien et les travaux de réparation et autres ; enregistrer l'ensemble des inscriptions nécessaires à cet effet au registre foncier et conférer la garantie jugée comme appropriée afin d'assurer la même facilité à ceux qui, en cas de décès, succéderont aux prêtres dans leurs fonctions.

 2.  Assurer la solution adéquate concernant le droit à l'usufruit pour la partie de l'église transférée au Trésor en vertu d'un arrêt judiciaire définitif conformément à la [réglementation émanant de] la Direction générale des domaines nationaux.

 3.  Renonciation de la part de la Direction générale des fondations, dans le cadre du règlement amiable, à sa créance de 41 670 USD y compris les intérêts moratoires légaux découlant des suites de l'action intentée concernant le terrain utilisé par les Prêtres (ce point a été admis par l'arrêt no. 2000/80 rendu par la première chambre du Conseil d'Etat le 19 avril 2000). "

  20.  La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties (article 39 de la Convention). Elle est assurée que ce règlement s'inspire du respect des droits de l'homme tels que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement).

  21.  Partant, il convient de rayer l'affaire du rôle.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

      Décide de rayer l'affaire du rôle.

  Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 décembre 2000 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 

 

      Vincent Berger Antonio Pastor Ridruejo 

 Greffier Président