Péter Erdö, Teologia del diritto canonico

Un approccio storico-istituzionale. Turin, G. Giappichelli Editore, 1996, xiii-215 p

 

Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).

 

Un canoniste se doit de s'interroger sur les racines, les fondements, les idées conductrices de la science qu'il pratique. Lorsqu'un des canonistes les plus connus de notre époque, en l'occurrence le professeur Péter Erdö, de l'Université catholique Péter Pázmany de Budapest, se livre à cette tâche, on peut s'attendre à un ouvrage captivant. Et en effet, dans le livre Teologia del diritto canonico, paru en décembre 1996, Péter Erdö réussit, sans doute, à convaincre les lecteurs les plus sceptiques, dont ceux qui craignent que toute publication concernant la théologie du droit se perde dans des considérations aussi abstraites qu'insaisissables.

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Ce n'est nullement le cas du livre du professeur Erdö, qui est admirablement structuré, mais dont beaucoup de passages incitent aussi à une lecture et à une méditation isolées.

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L'ouvrage contient, outre une présentation fort intéressante fournie par le professeur Rinaldo Bertolino et l'avant-propos de la main de l'auteur lui-même, trois grands chapitres et un épilogue.

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Le premier chapitre (p. 7-51) traite de la théologie du droit canonique comme discipline autonome. L'auteur y donne un aperçu historique des différents courants de pensée et des écoles existantes, avec une grande attention pour l'histoire. D'ailleurs, les idées personnelles de Péter Erdö émergent d'emblée. À juste titre, il évoque l'importance de l'histoire du droit. L'approche historique doit concerner, non seulement les aspects théologiques et juridiques, mais aussi le droit. L'histoire du droit canonique est, pour l'auteur, un locus theologicus, et ceci malgré la démarche, elle-même devenue " historique ", faite par Ulrich Stutz à Bonn en 1905, lorsque dans le programme d'études de droit canonique il sépara les aspects dogmatiques du droit de ses aspects historiques. Cette démarche, à l'époque nécessaire vu la position trop dominante de l'histoire, ne peut pas être à l'origine d'une séparation définitive et radicale. Péter Erdö n'est d'ailleurs pas le seul à mettre en évidence l'importance de la relation entre droit et histoire. Ainsi il cite, avec beaucoup d'approbation, la position de A.M. Rouco Varela, archevêque de Madrid et membre éminent de l'école de Munich, qui affirme que le fondement de l'existence du droit canonique se trouve dans le concept de l'histoire du salut du peuple de Dieu (p. 31). Entre histoire et droit, il y a donc de multiples relations. L'histoire du droit est un locus theologicus, et le droit, quant à lui, ressort de l'histoire du peuple de Dieu.

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Dans le même chapitre, l'analyse des théories et des idées concernant la théologie du droit canonique que fournit le professeur Erdö est fort intéressante. Un grand nombre d'auteurs anciens et contemporains est passé en revue. Concernant l'histoire récente et la situation actuelle, on y rencontre entre autres les canonistes laïcs italiens, l'école de Munich, l'école de Navarre, ainsi que les penseurs aussi originaux qu'incontournables que sont Piet Huizing ou Ladislas Örsy. Cependant, certains auteurs allemands manquent, la littérature française est peu présente, et il en va de même pour les auteurs anglo-saxons, mis à part L. Örsy, qui est d'ailleurs d'origine hongroise. L'absence de ce dernier groupe d'auteurs est due sans doute au style inductif anglo-saxon. Les canonistes des pays anglo-saxons s'avèrent plutôt sceptiques à l'égard des grandes constructions théoriques. Leur méthode se présente, la plupart du temps, comme plutôt inductive, non seulement dans l'analyse des problèmes juridiques concrets, mais aussi dans son approche plus globale : la théologie du droit canonique qui inspire ces auteurs se manifeste plutôt indirectement à travers la description de problèmes concrets. Mais le professeur Erdö a sans doute dû faire une sélection. En tout cas, le résumé qu'il nous offre est à la fois vif et fort intéressant. Et sa conclusion n'est pas sans pertinence : malgré les différents courants de pensée présents dans la littérature catholique, on peut tout de même apercevoir un consensus, unissant tous les auteurs, sur le point suivant : à l'intérieur de l'Église, il existe un droit institutionnel (diritto istituzionale) qui précède le droit positif. La structure fondamentale de la communauté de l'Église coïncide avec l'essence même de celle-ci. Ainsi, les normes juridiques positives ne peuvent être séparées de la réalité essentielle et structurelle, pas même pour des raisons méthodologiques (p. 44).

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Dans le deuxième chapitre, qui traite du droit et de la réalité théologique de l'Église, Péter Erdö s'attarde sur l'application du principe du droit institutionnel, formulé dans le chapitre premier. Après s'être expliqué avec la pensée de Rudolph Sohm - un must pour les spécialistes en la matière - l'auteur analyse le droit hébraïque. Ce système offre, bien entendu, une conception du droit plus ancienne que celle qui domine aujourd'hui et qui est influencée par les idées du siècle des Lumières. Du droit hébraïque, l'auteur déduit des précédents significatifs pour le droit et la réalité théologique de l'Église.

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Les autres fondements théologiques que le professeur Erdö décrit, méritent eux aussi une plus ample méditation. L'auteur nous offre une véritable reconstruction historico-institutionnelle des éléments caractérisant l'Église, comme le souligne à juste titre le professeur Bertolino dans sa présentation du livre. Dans ce cadre, il est intéressant de voir que Péter Erdö ne se limite pas aux seules idées de Vatican II comme facteurs aidant à institutionnaliser l'Église, mais qu'il analyse tout aussi bien des théologiens très concrets. Ainsi, l'auteur s'attarde sur les idées du cardinal Newman et l'image de l'Église comme continuation de l'incarnation du Christ. Une telle approche est intéressante à plusieurs égards : d'abord elle montre que les racines théologiques du droit canonique se trouvent répandues dans plusieurs lieux, ensuite l'approche de Péter Erdö rend plus concrète et visible la théologie qui joue un rôle de prédilection. L'exercice qu'il propose, de façon très heureuse, en faisant usage des idées du cardinal Newman, pourrait sans doute être réalisé également en analysant les écrits d'autres théologiens qui s'intéressent au droit et au droit canonique.

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Vers la fin du chapitre, l'auteur aborde aussi des problèmes plus spécifiques, comme le statut des droits et devoirs dans l'Église, la conscience et l'obéissance, ou encore la question épineuse de la liberté religieuse au sein même de l'Église. Sur ce dernier sujet, la prise de position de P. Erdö se veut nette et logique : l'Église catholique est une communauté religieuse. Selon sa propre foi, un des principes d'unification les plus importants est la profession de foi commune. Ceci rend impossible l'idée d'exercer sa liberté de religion au sein de l'Église tout en demeurant membre de plein droit de la communauté (p. 144-145).

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Dans un troisième chapitre, extrêmement intéressant, Péter Erdö tire les conséquences des idées développées. D'emblée, l'auteur explique l'importance des façons de connaître le droit canonique, essentielles comme point de départ de toute action ou de toute réflexion faisant partie de la réalité juridique de l'Église. Mais cette connaissance du droit canonique se concrétise à plusieurs niveaux qu'il faut bien distinguer. En citant C. Larrainzar, l'auteur énumère cinq niveaux, à savoir les niveaux pratique, casuistique, scientifique, philosophique et théologique (p. 147). D'autres divisions sont possibles. Mais quoi qu'il en soit, les sciences humaines, comme la philosophie, la sociologie ou encore la science juridique séculière ne peuvent, de façon autonome, construire un horizon interprétatif supérieur (p. 149). Un tel principe ultime et organisateur de la vie ecclésiale se trouve ailleurs, aussi bien en ce qui concerne l'ensemble du système du droit canonique, que dans le domaine de la définition des concepts et des institutions canoniques. Ce principe ultime se situe dans la réalité de l'Église que l'on peut connaître par le biais de la méthode théologique (p. 149-150).

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Pour le professeur Erdö, le fait que l'on appelle le droit canonique une science théologique ou juridique ou théologique et juridique importe peu. Fidèle à sa méthode historico-institutionnelle, l'auteur ne s'occupe pas tellement des discussions terminologiques. En revanche, ce qui importe pour lui, c'est que le droit canonique appartienne, dans ses bases, au monde des droits sacrés qui précèdent les systèmes juridiques rationalisés séparant techniquement le droit de la morale.

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C'est précisément ici que l'on pourrait se poser quelques questions. Certes, la construction que nous offre Péter Erdö est éblouissante. En plus, l'auteur hongrois plaide, à maintes reprises, pour une approche réaliste du droit canonique et formule, à partir de la page 153 sous le titre la flexibilité vitale quelques réflexions juridiques pertinentes. Cependant, je crains quelque peu qu'il ne soit pas tout à fait en mesure de faire le lien entre ses idées profondes et la réalité canonique quotidienne qui, quant à elle, s'avère parfois grise et banale. Depuis le concile Vatican II, c'est pourtant au niveau de la réalité et de la pratique du droit canonique que se manifestent les problèmes les plus aigus. La théologie du droit canonique est, de nos jours, bien florissante, comme en témoigne abondamment l'ouvrage précieux du professeur Erdö. Mais c'est la culture juridique " sur le champ " qui fait quelque peu défaut, avec par exemple, une jurisprudence qui, en dehors du droit matrimonial, s'avère bien limitée. Cette crise me semble être due, au moins partiellement, à un scepticisme qu'éprouvent beaucoup de canonistes à l'égard de la propre méthodologie juridique. Ou même à une ignorance de celle-ci ?

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La construction que nous offre le professeur Erdö accentue, à juste titre, l'importance d'un droit institutionnel qui précède le droit positif. Mais cette prise de position pertinente à laquelle je souscris volontiers, doit-elle mener nécessairement à une sorte d'impuissance des règles juridiques qui n'ont pas de lien direct bien établi avec la théologie ? Je m'explique. À la page 137, l'auteur écrit que les devoirs et les droits des fidèles (can. 208-223) ne sont pas fondamentaux. D'abord, selon lui, ils ont une valeur théologique et juridique très inégale. Certains de ces droits émanent de l'essence même du statut de fidèle, d'autres existent aussi dans les systèmes profanes. Ensuite, il y a des droits fondamentaux émanant du caractère sacré de l'organisation de l'Église, qui ne se trouvent pas formulés dans le droit canonique. Conclusion : pour ces deux raisons, les droits concernés ne sont pas fondamentaux et ne peuvent pas servir de base pour un système de garantie des droits.

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Ainsi, les dispositions canoniques sans grande valeur théologique (ce qui, en ce qui concerne les droits et devoirs des canons 208-223, me semble d'ailleurs être une question qui reste encore entièrement à discuter), ne pourront jamais jouer un rôle-clé dans le système canonique. Pas de " système " autour de règles somme toute trop " positivistes ". Ainsi, le fossé entre le droit, avec sa propre dynamique, et la théologie continuera à grandir, car le rôle de la théologie n'est pas seulement crucial pour l'existence du système en tant que tel, mais aussi pour sa dynamique interne. Je préférerais à cet égard une approche plus souple que le professeur Erdö suggère d'ailleurs lui-même, dans un autre contexte, à la page 152 : il faut analyser de façon critique les concepts qui ne sont pas compatibles avec la nature du droit canonique. Cette dernière approche est plus indirecte : la législation canonique positive, dans tous ces détails, n'émane peut-être pas nécessairement des grands principes institutionnels, mais ne peut jamais se trouver en contradiction avec eux. Une telle approche pourrait donner plus de place à la science juridique, et à ses développements récents, au sein d'un droit canonique qui n'en restera pas moins gouverné par un droit institutionnel qui précède le droit positif. Le lien direct entre l'importance des normes au sein du système canonique et leur statut théologique devient, des lors, moins impératif.

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Ceci dit, le livre du professeur Erdö est, de toute évidence, un ouvrage d'une qualité remarquable, plein d'érudition et de maturité. Sa structure impeccable et la netteté des prises de position forcent l'admiration. Et aussi, comme tout ouvrage de qualité, il ouvre la discussion pour un droit canonique à la fois bien fondé et plein de vie au sein d'une Église qui en aura toujours besoin.

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Rik Torfs