Alain Sériaux, Droit canonique

Paris, P.U.F., 1996, x-902 p. (collection " Droit fondamental - Droit politique et théorique ") [isbn 2-13-047530-2 ; 320 FF]

 

Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).

 

Il existe peu de commentaires en langue française du code de droit canonique de 1983, mis à part le " Dalloz " qui est épuisé depuis plusieurs années (et qui n'est pas stricto sensu un commentaire), la collection " Le nouveau droit ecclésial " qui paraît lentement aux éditions Tardy, et deux traductions de l'espagnol (codes annotés de l'université de Pampelune et de l'université de Salamanque). La sortie d'un Droit canonique aux Presses universitaires de France est donc un événement.

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Ce n'est pourtant pas à un canoniste qu'on le doit, mais à un juriste : Alain Sériaux est professeur de droit à l'université d'Aix-Marseille. La plupart des canonistes francophones sont plutôt des théologiens de formation (à la différence de l'Espagne, de l'Italie ou de l'Allemagne, où le droit canonique est aussi enseigné dans les facultés de droit). On se réjouit donc qu'un juriste français ait pris le temps de s'y intéresser. Ensuite, on est curieux de découvrir ses commentaires, qu'on suppose différents de ce qu'on lit habituellement sous la plume des canonistes-théologiens.

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Premier constat : la somme de travail présentée est impressionnante. Plus de 900 pages d'un texte serré (il faut de bons yeux pour lire certains caractères trop petits), d'innombrables notes, une bibliographie surabondante et internationale sur tous les points traités. Chaque chapitre est suivi d'un long additif, intitulé " Pour aller plus loin ", qui indique l'état des discussions actuelles ou qui évoque des questions connexes. Le tout est parfaitement informé et clairement exposé.

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Le plan adopté regroupe les différents livres du code dans une classification originale. Après une introduction générale (normes générales), deux grandes parties seulement : la première examine " l'organisation de l'Église catholique " (statut des fidèles, hiérarchie, réguliers) ; la seconde traite de " la réalisation de l'Église catholique " en trois titres : le droit des fins (enseignement, sanctification), le droit des biens (biens temporels), le droit des moyens (peines, procès).

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Le code oriental de 1990 n'est traité que de façon secondaire, même s'il n'est jamais oublié. L'auteur s'en explique page 10 : le code de 1983 fixerait, selon lui, " le droit universel commun de l'Église catholique ", alors que le code de 1990 promulguerait un droit " dérogatoire au droit latin ". Cette présentation ne satisfera certainement pas les spécialistes du droit oriental, et ne correspond pas à la réalité : le code de 1983 ne se veut pas universel, mais seulement latin (can. 1), comme le rappelle d'ailleurs l'auteur lui-même dans le résumé historique des pages 46 à 54.

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Le point de vue général du commentaire, ses présupposés théologiques, juridiques ou idéologiques, sont évidemment discutables : c'est le propre de tout commentaire personnel de proposer une présentation que ne partageront pas nécessairement tous les lecteurs. La comparaison entre droit canonique et droit étatique conduit à des considérations intéressantes. Si la méthode juridique leur est commune, souligne l'auteur, le droit canonique présente la particularité d'être souvent exhortatif et non coercitif, tout simplement parce que l'Église n'a plus les moyens de coercition dont elle disposait jadis. L'Église et son droit ne s'adressent plus aujourd'hui " qu'aux hommes et aux femmes de bonne volonté ". On lira aussi avec intérêt les considérations sur les notions comparées de doctrine et de jurisprudence (p. 55), ou les nombreuses remarques de détail, par exemple l'observation que le droit canonique ne connaît pas le recours en révision en cas d'erreur judiciaire (p. 706).

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Le droit canonique est défini comme un " domaine particulier du droit " (c'est le juriste qui parle) ; l'Église catholique est considérée comme une " société parfaite " (p. 1). À partir du bien commun de cette société particulière, " par emboîtements successifs ", on parvient au bien commun ultime : Dieu. On le voit, la perspective d'Alain Sériaux paraît très traditionnelle, pour ne pas dire dépassée du point de vue théologique et ecclésiologique. Il conçoit la société globale comme partagée en deux ordres : l'ordre politique et l'ordre spirituel, le premier appartenant à l'État, le second à l'Église : " le droit canonique est donc le droit qui s'occupe de régler la société humaine dans sa dimension religieuse ; le droit civil est au contraire le droit qui oriente la société humaine dans sa dimension profane ".

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Ces considérations le conduisent à surévaluer la place et l'importance du droit canonique. Il n'existe sans doute plus guère de théologiens qui soutiendraient que le droit canonique a pour vocation de " régler la société humaine ", ne serait-ce que dans sa dimension religieuse : nous ne sommes plus en régime de chrétienté ! On ose penser que l'auteur ne parle que des citoyens catholiques et non de toute la société, mais ce n'est pas précisé. De même, rares sont ceux qui souscriront à l'idée que " le droit canonique existe depuis que l'Église catholique existe : depuis les temps apostoliques ", ou encore qu'" il entend gouverner les relations de l'homme avec cet autrui très particulier qu'est Dieu ". Rien de moins !

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Il est bien sûr impossible d'examiner ici l'ensemble des commentaires d'Alain Sériaux sur les canons du code. L'auteur reproduit la plupart du temps le texte même des canons, en français, en améliorant parfois la traduction lorsque cela paraît utile. Signalons cependant qu'il reste au moins une erreur que reproduisent toutes les traductions françaises parues à ce jour : le texte latin du can. 996 a été modifié en 1988 (AAS 80, 1988, p. 1819), et il faudrait tenir compte de cette correction dans la traduction . Mais c'est bien sûr un détail.

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Prenons un ou deux exemples des commentaires de canons. À propos des fidèles du Christ (can. 204 à 206), l'auteur explique que " le baptisé est nécessairement membre de l'Église catholique " (c'est nous qui soulignons), tout en étant ou non, selon les cas, en pleine communion avec elle. Autrement dit, tout baptisé fait partie de l'Église catholique, même s'il n'est pas toujours dans cette Église. Voilà un cas typique où une théologie plus actuelle serait utile : l'Église catholique ne prétend plus, depuis Lumen gentium 8, se confondre avec l'Église tout court, et le baptisé peut être membre de l'Église sans être membre de l'Église catholique. Il est vrai qu'Alain Sériaux fait tout son commentaire (n° 40) de ces canons fondamentaux sans se référer une seule fois à Vatican II (qui en est pourtant la source directe), mais en citant exclusivement des auteurs appartenant tous à la même école (Mgr Escriva de Balaguer, P. Lombardía, A. del Portillo). Il y a là un véritable problème de méthode : peut-on légitimement commenter les trois premiers canons du De populo Dei sans citer le concile ? " Le code doit être toujours référé à l'image conciliaire de l'Église comme à son exemplaire primordial ", écrivait Jean Paul II dans la constitution Sacrae disciplinae leges (constitution qui elle-même n'est jamais citée, à en croire l'index). On pourrait trouver de nombreux autres passages qui méritent ce reproche, par exemple celui consacré au can. 129 sur le pouvoir de gouvernement. Ne généralisons cependant pas : il arrive, bien sûr, que le concile soit utilisé et commenté. Trop peu. Il arrive souvent, à l'inverse, que l'auteur s'aventure dans des considérations théologiques personnelles, dont les fondements sont discutables.

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Autre exemple, le droit pénal. L'auteur examine en détail, comme il se doit, le can. 1399 qui donne la possibilité à l'autorité ecclésiastique de punir même en l'absence de loi pénale, contrairement à la règle de la légalité des peines énoncée par le can. 221 § 3. Il connaît parfaitement les débats en cours : " l'Église, qui se place si volontiers du côté des droits de l'homme, serait-elle hypocrite, retirant d'une main ce qu'elle donne de l'autre ? ", demande-t-il. Mais différents arguments lui permettent de conclure que non : " le can. 1399 constitue en lui-même une bonne règle qui, utilisée avec la prudence requise, assure au système répressif de l'Église la souplesse qui fait justement défaut aux droits laïques trop légalistes ". Le principe de la légalité des peines (nulla pena sine lege) a été reçu par toutes les déclarations des droits de l'homme, mais l'Église aurait eu tort sur ce point de vouloir suivre leur " légalisme " (l'inventeur du principe, Beccaria, " s'est trompé "). Exit donc le can. 221. Pourtant, et A. Sériaux le signale, le code oriental, lui, a renoncé à l'équivalent du can. 1399.

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Le mariage est décrit en utilisant des notions et un vocabulaire auxquels les canonistes ne sont plus habitués : " sujets actifs " et " sujets passifs du droit canonique " (les actifs étant ceux qui possèdent le pouvoir de gouvernement), " mesures incitatives au mariage " (on parle généralement de " préparation au mariage ") et " mesures dissuasives " (l'enquête préalable), " volition " (pour " consentement "), etc. L'auteur ne s'étend guère sur le sujet (une page à peine pour le can. 1095), et certains de ses jugements sont pour le moins lapidaires : " en tant qu'alliance le mariage est un contrat et ne saurait être que cela " (p. 558) ; " certains auteurs ont pu noter un recentrement personnaliste de la terminologie des codes nouveaux sur le mariage : en réalité il ne s'agit là que d'un effet de l'imagination " (p. 559). Si ce n'est que de l'imagination, il faut croire que les canonistes en ont beaucoup, puisque la plupart d'entre eux ont discerné une tendance au personnalisme dans le nouveau droit matrimonial.

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Malgré ces réserves, le Droit canonique d'Alain Sériaux est stimulant et riche. Nous ne partageons pas nombre de ses points de vue, mais, répétons-le, il présente au moins trois intérêts pour le canoniste : d'abord, c'est l'un des rares commentaires français du nouveau code, et cela seul suffirait à justifier qu'on le lise ; ensuite, il offre une vaste information internationale ; enfin, et c'est son intérêt principal, il apporte les réactions d'un juriste français face au droit canonique, même si ses présupposés idéologiques ne sont pas représentatifs de l'ensemble des juristes français (ce n'est sûrement pas son ambition de les représenter). Il faut féliciter et remercier l'auteur d'avoir eu le courage d'entreprendre et de mener à bien, seul, un travail d'une telle ampleur. Il apporte sa pierre au débat, aux autres d'apporter la leur.

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Jean Werckmeister