Ludwig Schmugge, Kirche, Kinder, Karrieren

Päpstliche Dispense von der unehelichen Geburt im Spätmittelalter. Zürich, Artemis und Winkler, 1995, 511 pages.

 

Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).

 

C'est pour deux raisons que le présent ouvrage est intéressant : d'abord parce qu'il étudie un ensemble de documents des archives du Vatican, à savoir ceux de la Pénitencerie entre 1449 et 1533, documents perdus pendant longtemps et restés en friche depuis leur redécouverte par Emil Göller ; ce n'est en effet qu'en 1986 que ces archives deviennent accessibles. Ensuite, parce qu'il ne s'agit pas d'une simple étude historique, mais aussi d'une contribution à l'étude d'un aspect particulier du statut légal et social des enfants illégitimes durant cette période. Le travail est divisé en huit parties : Introduction (1), Sortir de l'illégitimité : dispense et légitimation (2), Gestion de la conscience (3), L'Église en tant que refuge des illégitimes (4), Modèles de carrières : les fils de pape et les enfants abandonnés (5), l'Église et les enfants illégitimes dans l'empire germanique (6), Fin (7) et Postface (8). Suivent des annexes, des listes d'abréviations, un glossaire ainsi qu'une annexe statistique (nombre de dispenses pour illégitimité de naissance provenant des diocèses allemands ; nombre de dispenses par évêché allemand et par province] ; listes des évêchés allemands par nombre de dispenses ; registre de la Pénitencerie et chiffres de base ; dispense de l'illégitimité de naissance dans le manuscrit BAV Vat. Lat. 6290 f 78r-83r, les dispenses defectus dans les registres de la Pénitencerie ; les prénoms des enfants illégitimes ; dispenses d'illégitimité de naissance par diocèse dans la chancellerie et la Pénitencerie ; les taxes du pénitentiaire d'après le manuscrit ASV Instr. Misc. 7467). L'ouvrage se termine par une liste des tableaux et des illustrations et par un index.

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Une brève recension ne peut pas aborder toutes les questions abordées. Nous allons donc nous contenter de quelques points fondamentaux. Par exemple, l'auteur décrit sa méthode avec précision. Il a trouvé, interprété et saisit statistiquement 37.916 dispenses d'illégitimité de naissance entre 1449 et 1533. Il a approfondi certains cas exemplaires. Il est intéressant de constater que la pratique des dispenses apparaît au moment même où le droit canonique se construit et devient de plus en plus sévère. Aux pages 41 et suiv. se trouvent des études des mandats de dispenses des instances ecclésiastiques. Le développement de la Pénitencerie est décrite de manière détaillée. Il est dirigé par le grand Pénitentier, un cardinal dont la charge est plus ancienne que l'administration car elle apparaît dès le xiie siècle. Il est également compétent en matière de dispenses pontificales. La Pénitencerie apparaît au xiiie siècle. Il ne semble pas exact, comme on le dit souvent, que ce tribunal se limitait au for intérieur ; il faut nuancer. Il ne s'agissait en effet pas exclusivement d'affaires de confession (forum internum sacramentale), mais également du for intérieur ordinaire (forum internum). C'est encore aujourd'hui un des problèmes de la recherche en matière de pénitence : à savoir qu'il semble y avoir risque d'enfreindre le secret de la confession. L'auteur souligne que les cas qu'il traite ne concernent pas le forum internum sacramantale (for de la confession). Cette conception semble actuellement prendre le dessus. Elle est certainement à l'origine du traitement prudent des archives.

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L'accent est naturellement mis sur les dispenses pontificales des naissances illégitimes au Moyen Âge tardif. Les résultats sont parfois surprenants. Parmi les demandeurs auprès de " l'administration de grâce sociale " romaine, il y a aussi bien des enfants abandonnés que des filles bourgeoises ou des bâtards de la noblesse. Mais la majorité est constituée - et c'est surprenant dans l'état actuel des connaissances - par des enfants issus d'entorses au célibat. Les parents sont des curés, mais également des diacres, des moines, des chanoines, des abbés et des abbesses et même des évêques, souvent on peut même prouver que les pères ou mères fautifs ont vécu des années durant dans un concubinage quasiment marital, sans que cela ait dérangé quiconque. Il est peu probable que les résultats soient faussés par le fait qu'un tiers à peu près des archives de la Pénitencerie ait disparu lors de leur déménagement à Paris sous Napoléon et de leur retour.

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À la page 323 on trouve des données qui concernent les diocèses français. De plus de 100 diocèses français, ont émané 6627 suppliques auprès de la Pénitencerie durant la période étudiée, dont 111 (1,7 %) seulement sont le fait de filles illégitimes. La répartition géographique est loin d'être régulière. 2418 (36,5 %) des suppliques proviennent de seulement 8 diocèses de la France du nord-ouest (Flandres, Picardie, Artois, Normandie). Cette concentration géographique confirme que " l'illégitimité a été un phénomène de masse dans les villes des Flandres à la fin du Moyen Âge ". D'autres sources confirment cette part accrue de naissances illégitimes dans le nord de la France. Dans les registres de l'officialité de Ceresy en Normandie on trouve de 10 à 20 % d'illégitimes au début du 14e siècle. À l'époque moderne, cette tendance se confirme : 3 % d'illégitimes vers 1700 contre 1 % en moyenne nationale. 12,3 % des illégitimes viennent des évêchés de Lyon, Clermont, Saint-Flour et Limoges. Pour une comparaison avec des chiffres issus d'autres sources, nous disposons de l'exemple du Forez, où le pourcentage des illégitimes est de 2,5 % (sur la base de 5125 enfants évoqués dans des testaments du 14e siècle) ; la répartitions des demandes françaises par pontificat (maximale sous Nicolas V et Innocent VIIII, avec plus de 50 % au-dessus de la moyenne) confirme également la tendance lisible dans d'autres sources. 489 suppliques ont été enregistrées pour la seule année sainte 1450, sommet plus jamais atteint (contre 200 enregistrements pour les années 1475 et 1500). Le net recul de l'illégitimité au cours du 16e siècle s'explique ainsi : réforme et puritanisme en France, en Suisse et en Angleterre font tendre vers zéro la courbe de l'illégitimité. " En Espagne et en Italie, comme le démontrent les suppliques auprès des pénitentiaires, ces raisons ne furent guère valables. Les chrétiens de ces régions restent fidèles à la source de grâce pontificale " (323 f).

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À la page 324 s., une question intéressante est abordée. On est obligé de penser que la volonté compréhensible d'échapper à un statut socialement discriminatoire et d'utiliser le système des bénéfices ecclésiastiques, suppose une connaissance approfondie du droit canonique et du système de chancellerie correspondant. Comment les demandeurs ou leurs parents ont-ils acquis les connaissances nécessaires en droit canonique et du fonctionnement des chancelleries, comment ont-ils fait pour avoir connaissance des possibilités et des procédures juridiques concernant les dispenses ecclésiastiques en général et de la levée du defectus natalium en particulier ? On peut certainement les supposer chez les nobles et auprès du clergé ayant bénéficié d'une formation canonique. Mais qu'en est-il des laïcs, des enfants de commerçants, de vicaires, de religieuses ou de ceux ayant grandi à l'hospice des enfants trouvés ? À peu près 40 % des suppliques enregistrées étaient le fait d'enfants issus d'unions purement séculières. Il n'y avait alors aucune littérature canonique spécialisée, même pas dans les bibliothèques des cathédrales ou des couvents. Rarement furent conservé des recueils de formules romains à l'usage des curies, comme à Augsbourg. Ceci n'est pas surprenant pour des villes aussi liées à Rome que le furent celles de Saint-Ulrich et Afra. Mais qu'en est-il de régions éloignée de la curie ? Est-ce que l'écart entre les clercs (litterati) et les non clercs (illiterati) s'était vraiment largement réduit à la fin du Moyen Âge ? Est-ce que de larges parts de ce savoir concernant l'ordre ecclésiastique, qui jusqu'à présent était réservé aux clercs, avaient atteint la majorité laïque grâce aux prédications, aux études et à l'expansion du droit et ainsi perdu sa force, qui des siècles durant avait créé et entretenu une classe sociale sans jamais être mise en doute ? La dichotomie entre clercs et laïcs impliquait-elle une frontière juridique ? Que savons-nous actuellement des techniques d'impression utilisées dans les administrations diocésaines ou au niveau ecclésiastique local ? Schmugge ne donne qu'une très brève réponse à cette question. Ceci est certainement lié à l'état général de la recherche. Il est intéressant de constater que la dispense n'était pas considérée comme nécessaire au salut de l'âme du chrétien : les enfants illégitimes pouvaient aller au paradis. Si tout un chacun avait su cela, la fonction d'intégration de la dispense aurait à nouveau été mise en question. Ce fait a peut-être écarté ces règlements de chancellerie des presses des imprimeurs en Allemagne et on a ainsi évité leurs plus large diffusion. Bien que l'appareil de dispense ait été conçu pour tous les fidèles, il a surtout été utilisé avec zèle par la noblesse et la bourgeoisie (328).

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Le livre n'est pas seulement une étude et une description d'un aspect de l'activité curiale au Moyen Âge, l'auteur analyse également les arrière-plans historiques, sociaux et administratifs. C'est ainsi qu'on peut le recommander à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la curie romaine, de la Pénitencerie et à l'histoire sociale du christianisme.

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Richard Puza